Les femmes aux jeux Olympiques

Refondés en 1894 par Coubertin, les Jeux olympiques (JO), célébration de la virilité, sont réservés aux sportifs ; admises à participer à partir de 1900 aux épreuves dites compatibles avec leur féminité et leur fragilité, les femmes demeurent exclues des épreuves reines de l’athlétisme. Sur l’initiative de la Française Alice Milliat et de la Fédération sportive féminine internationale (FSFI), un bras de fer s’engage avec le Comité international olympique (CIO). Pour le faire céder, sont organisées des Olympiades féminines de 1922 à 1934. Les JO se féminisent peu à peu mais le déséquilibre sexué, y compris au CIO, domine tout le xxe siècle. Pour lutter contre ces effets de genre, la charte olympique rend obligatoire depuis 2007 la présence des femmes dans tout sport ; en 2014 la Commission européenne défend, elle, l’égalité dans le sport et le CIO inscrit la parité à l’agenda olympique 2020.

Suzanne Lenglen, la « diva du tennis », ou l’émancipation du corps féminin par le sport, 1923.
À peine ouvert aux femmes, le 800 mètres, remporté en 1928 par Lina Radke (à droite de la photo), leur est interdit jusqu’en 1960, jugé inadapté à la condition physique féminine. Source : Wikimedia Commons commons.wikimedia.org/wiki/File:HitomiKinue_at_Ams.jpg?uselang=fr
Sommaire

1894 : le baron français Pierre de Coubertin (1863-1937) refonde lors d’un congrès à la Sorbonne les Jeux olympiques (JO), hymne à la virilité, alliance du « muscle et du cerveau », dont seuls les hommes seraient capables. Aussi nul besoin d’en exclure formellement les athlètes féminines car leur absence va de soi : elles ne sont pas pensées car non pensables. Et les premiers JO de 1896 de se dérouler sans elles, à leur grand mécontentement. Malgré l’opposition misogyne du fondateur, largement répandue dans toute l’Europe, les JO de Paris comptent en 1900 22 sportives (Françaises, Belges, Italiennes, Russes, etc.) sur 997 concurrents, chaque sexe concourant séparément ; la tenniswoman britannique Charlotte Cooper (1870-1966) y est la première médaillée d’or. Toutefois, cette participation doit se limiter à des sports dits féminins, anciens loisirs de l’aristocratie (tennis, voile, croquet, équitation, patinage artistique), protégeant féminité et fécondité, mais aussi respecter la décence et éviter tout effort violent et continu, exigence incompatible avec le sport de haut niveau. C’est donc vêtue d’une jupe à mi-mollets, que la championne du monde de patinage artistique, la Britannique Madge Syers (1881-1917), est couronnée d’or à Londres en 1908, et de bronze en couple avec son mari. Ses compatriotes s’illustrent aussi, notamment l’archère Queenie Newall (1854-1929) qui se classe première sur 25 participantes britanniques, françaises et étatsuniennes. Malgré la ferveur populaire, les organisateurs des JO freinent toujours la présence féminine. Mettre fin à cette injustice devient à partir de 1917 le combat de la pionnière en aviron, Alice Milliat (1899-1938), présidente du club omnisport féminin Femina sport (1912) et trésorière de la Fédération française du sport féminin (1917). Elle réclame l’admission des sportives à toutes les épreuves des JO, rappelant que le rôle des femmes durant la Première Guerre mondiale invalide l’argument d’une « fragilité naturelle » avancé par leurs adversaires. En 1919, le Comité international olympique (CIO), entièrement masculin, refuse la féminisation des épreuves reines d’athlétisme aux JO d’Anvers. Cette année-là, la presse s’esbaudit moins de la médaille d’or de la patineuse Magda Julin (1894-1990) que de la « longue robe de velours noire égayée d’un col blanc » de la Suédoise. Pourtant de grandes figures apparaissent, comme la Française Suzanne Lenglen (1899-1938) surnommée la « diva du tennis ».

Tenace, Alice Milliat, en relation avec d’autres sportives européennes, fonde en 1921 la Fédération sportive féminine internationale (FSFI). L’infatigable militante réanime à Paris en 1922 les Jeux olympiques féminins de Héra, fondées par seize femmes au vie siècle avant J.-C. ; les 77 sportives représentent principalement la Grande-Bretagne, la Suisse, l’Italie, la Norvège et la France.  La Britannique Mary Lines (1893-1973) s’y illustre au sprint et au saut en hauteur, avec trois médailles d’or, deux d’argent et une de bronze. À la suite de la virulente réaction du président de la Fédération internationale d’athlétisme, le Suédois Johannes Sigfrid Edström (1870-1964), Alice Milliat concède de remplacer l’adjectif « olympiques » par « mondiaux ». Alors que, aux JO de 1924, les femmes dont la présence est limitée à quelques sports ne sont que 13 pour 245 hommes, nageuses, tenniswomen, escrimeuses, lanceuses de disque, athlètes défilent aux jeux féminins de Göteborg, le 27 août 1926, derrière le drapeau de dix nations, sous les applaudissements de 8 000 spectateurs. Sont particulièrement remarquées les performances de la Polonaise Halina Konopacka (1900-1989) au lancer de disque (37,71 mètres), de la Française Marguerite Radideau (1907-1978) à la course au 100 yards (équivalent du 100 mètres) en 12 secondes. Ces brillants résultats et le départ de Coubertin de la direction du CIO en 1925 permettent la véritable entrée des sportives dans l’arène olympique en 1928 aux jeux d’été. À Amsterdam, les sportives concourent pour la première fois aux 100 mètres, 4 fois 100 mètres, 800 mètres, saut en hauteur ; l’Union soviétique qui a toujours refusé de participer aux JO crée la même année à Moscou leur équivalent « prolétarien », la Spartiakade, ouverte aux femmes. Alors que généralement les féministes européennes ne revendiquent qu’accessoirement la pratique sportive sans restriction par les femmes et leur participation aux JO, les Anglaises boycottent cette année-là la compétition face aux réticences antiféministes du nouveau président, le Belge Henri de Baillet-Latour (1876-1942) et aux incessantes critiques du monde sportif et de la presse. Celle-ci humilie la record-woman du 800 mètres l’Allemande Karoline Radke-Batschauer dite Lina Radke (1903-1983) à laquelle elle reproche d’avoir gagné sans grâce, aux côtés de « pauvres femmes », incapables d’atteindre le niveau requis, de par leur constitution fragile et leur manque d’entraînement.

Face à ce « spectacle affligeant » – ce que dément la version filmée de la course – le CIO interdit cette épreuve aux sportives et ce jusqu’en 1960. Convaincue de la volonté de celui-ci de contrôler le sport féminin, la FSFI organise de nouveaux jeux en 1930 à Prague. Leur succès sportif et médiatique contraint le CIO à proposer des réformes, mais à condition que les jeux féminins cessent. La FSFI réplique en demandant l’expulsion des femmes des JO afin qu’elles se consacrent aux Olympiades féminines où se déroulent « tous les genres d’activités sportives féminines ». Devant un nouveau refus, les derniers jeux féminins ont lieu à Londres en 1934. Le retrait pour raison de santé de Milliat, l’évolution des mentalités et la banalisation du sport féminin font vaciller peu à peu les résistances. La féminisation des JO se poursuit, lentement (13 % à Tokyo en 1964, 23 % à Los Angeles en 1984), soutenue par la participation des Soviétiques à partir de 1952, cette année-là l’équitation devient individuellement mixte. Ce n’est que dans les décennies 1970 et 1980, suivant les directives des Nations unies affirmant que le sport est favorable à la santé et à la disparition des stéréotypes sexistes, qu’est encouragée la présence des femmes aux JO. Néanmoins, la part de chaque sport reflète toujours les préjugés genrés : le ski compte jusqu’en 1980 le plus de grand nombre de licenciées, détrôné alors par le tennis, de retour aux JO après une éclipse depuis 1924 ; en 1990, l’athlétisme n’est qu’à la dixième place quand les sports équestres se maintiennent à la quatrième. Cependant, depuis 1991, toute nouvelle discipline aux JO doit obligatoirement comporter des épreuves féminines ; en 2012, ceux de Londres sont à 44 % féminins.

Les effets de genre marquent aussi, depuis toujours, la composition du CIO : exclusivement masculin jusqu’en 1981, il l’est majoritairement jusqu’à la fin du siècle. Mais depuis 2007, la Charte olympique affirme : « Le rôle du CIO est d’encourager et soutenir la promotion des femmes dans le sport, à tous les niveaux et dans toutes les structures, dans le but de mettre en œuvre le principe d’égalité entre hommes et femmes. » (Charte olympique 2015, Règle 2, paragraphe 7.) L’Union européenne approuve cette orientation qui rejoint la sienne :  après avoir organisé en décembre 2013 à Vilnius la conférence Gender equality in sport [Égalité de genre dans le sport], la Commission européenne publie en 2014 ses Propositions stratégiques pour l’égalité dans le sport. La même année, la 11e recommandation du CIO (alors à un tiers féminin) inscrite à l’agenda olympique 2020 fait de la parité un objectif. La revendication des hommes à concourir en gymnastique rythmique et en natation synchronisée rejetée en 2012 devrait donc réexaminée.

Citer cet article

Yannick Ripa , « Les femmes aux jeux Olympiques », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 22/06/20 , consulté le 19/03/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/12316

Bibliographie

Berlioux, Monique, Olympica, Paris, Flammarion, 1967.

Devron, André, Alice Milliat, la pasionaria du sport féminin, Paris,  Vuibert, 2005.

Drumond, Siobhan, Rathburn, Elizabeth, Grace & Glory, Washington D.C., Multimedia Partners Ltd, 1996.

Vidéos INA

Magazine sur les femmes et le sport, SANS - De nos jours, 1956

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