D’une éducation pour l’Europe à une éducation européenne

Domaine jalousement gardé par les États tant il est constitutif de l’identité nationale, l’éducation reste pendant longtemps en marge des préoccupations des premières institutions européennes créées dans l’après-guerre et orientées avant tout vers des objectifs économiques. Les mouvements fédéralistes pro-européens sont les premiers à prendre conscience au début des années 1950 que l’école peut être une alliée pour favoriser l’adhésion de la population au projet d’unification. Tandis que les autorités américaines et soviétiques déploient une grande énergie pour s’assurer le soutien de la jeunesse dans le contexte de guerre froide, il faut attendre la fin des années 1960 pour voir les prémisses d’une politique d’éducation communautaire se mettre en place. On passe alors d’une « éducation pour l’Europe » promue par des organisations privées, s’attachant à inculquer une forme de « conscience européenne », à la mise en place d’une véritable « éducation européenne » par les institutions officielles européennes visant à servir et à légitimer le processus en marche. Plus récemment, depuis les années 2000, les politiques européennes en matière d’éducation cherchent davantage à renforcer le rôle et l’image de l’Union européenne dans le monde.

Association des états généraux des étudiants de l’Europe (AEGEE). Délégation de l’AEGEE, en présence du président fondateur Franck Biancheri sur le perron de l’Élysée, le jour de la rencontre avec le président François Mitterand (15 mars 1987). Cette rencontre fut cruciale dans les négociations qui ont conduit à l’adoption du programme Erasmus
Association des états généraux des étudiants de l’Europe (AEGEE). Délégation de l’AEGEE, en présence du président fondateur Franck Biancheri sur le perron de l’Élysée, le jour de la rencontre avec le président François Mitterand (15 mars 1987). Cette rencontre fut cruciale dans les négociations qui ont conduit à l’adoption du programme Erasmus
Sommaire

La préhistoire (1948-1968) : l’éducation pour inculquer une forme de « conscience européenne »

En 1948 déjà, lors du congrès de l’Europe réuni à La Haye – premier rassemblement d’envergure dans l’après-guerre des partisans du projet européen –, la commission culturelle souligne dans sa résolution l’importance de réveiller et de développer une « conscience européenne » qui reposerait sur une « unité profonde » fondée sur « un commun héritage de civilisation chrétienne, de valeurs spirituelles et culturelles, et d’un commun attachement aux droits fondamentaux de l’homme, notamment à la liberté de pensée et d’expression ». L’échec du projet de Communauté européenne de défense l’été 1954 rend encore plus patente la nécessité de développer un sentiment européen dans la population pour mettre fin aux résistances. Cette prise de conscience voit alors naître plusieurs initiatives privées, notamment dans le champ éducatif, visant à créer une communauté supranationale européenne via des projets pédagogiques. Les sources de financement à la base de ces diverses initiatives reposent largement, dans un premier temps, sur des fonds américains (American Committee for a United Europe, Fondation Ford, Fondation Farfield, etc.). Engagées dans la lutte contre le communisme, les autorités américaines soutiennent le projet d’unification européenne dans une perspective d’endiguement. 

Dans un article intitulé « Former des Européens » paru en 1956, le fédéraliste suisse Denis de Rougemont, à la tête du Centre européen de la culture (CEC), pose les bases doctrinales de l’« éducation pour l’Europe », « une éducation tendant à développer dans nos divers pays la conscience de la communauté de civilisation et de destin historique de tous les Européens ». Même si l’idée de départ est plutôt d’intervenir dans le champ de l’éducation populaire, le CEC se tourne aussi vers le monde enseignant et les élèves, encouragé par le rapprochement qu’il opère avec une association professionnelle créée en 1956, l’Association européenne des enseignants (AEDE).

Seuls des professeurs et des instituteurs peuvent faire partie de cette association de militants pro-européens fédéralistes qui se développe d’abord en Belgique, au Luxembourg, en France, en Italie et en Allemagne. Conduite à ses débuts par le Belge André Alers, préfet d’Athénée à Bruxelles, et le Français Alain Fréchet, professeur agrégé d’histoire et membre du Mouvement fédéraliste européen, cette association compte, une dizaine d’années après sa fondation, 30 000 membres répartis en douze sections nationales, toutes sises à l’Ouest. L’objectif de l’AEDE est de réunir des enseignantes et des enseignants pour réfléchir ensemble aux moyens d’« européaniser » l’enseignement et, par là même, la jeunesse européenne qui constituera les citoyens de demain en s’intéressant particulièrement aux degrés scolaires primaire et secondaire. Dans cette perspective, des stages de formation sont organisés (plus de 300 en 1966), des revues et brochures spécifiques sont publiées, à l’image du Guide européen de l’enseignant qui paraît en 1958 avec la collaboration du Centre européen de la culture et qui rencontre un certain succès (tirage à plus de 80 000 exemplaires et traduction en quatre langues). L’ensemble du corps enseignant est appelé à modifier ses pratiques pédagogiques dans une perspective européenne. Il ne s’agirait pas d’enseigner l’Europe comme une discipline nouvelle, mais plutôt de porter un regard nouveau sur toutes les matières enseignées.

Un autre chantier important est conduit, celui de la révision des manuels scolaires. Le mouvement de révision des manuels en faveur de la paix et de la compréhension internationale s’est déjà manifesté à maintes reprises depuis la fin du xixe siècle, mais le fait de repenser ces manuels dans un cadre européen et non plus national, puis international est une perspective propre à la deuxième moitié du xxe siècle. Il ne s’agit plus seulement d’épurer les manuels des erreurs et imprécisions historiques qui perpétueraient les préjugés nationalistes et conduiraient aux confits, mais de mettre aussi en avant l’idée d’un héritage commun fondant la culture européenne et la nécessité de s’unir pour survivre dans un monde en profonde mutation.

Ces mouvements éducatifs pro-européens sont aussi conscients de la nécessité d’éveiller l’intérêt des jeunes pour les questions européennes. Dans cette perspective, la Journée européenne des écoles est mise sur pied, en 1953, sur l’impulsion du Mouvement européen et de la Campagne européenne de la jeunesse qui la finance. Ce concours annuel international vise à évaluer, pour le niveau primaire, un dessin (jusqu’à 14 ans) et, pour le niveau secondaire, une rédaction (élèves de 14 à 16 ans) et une dissertation (16 à 19 ans) sur une thématique européenne commune choisie par un Comité international présidé par le Néerlandais Hendrik Brugmans, recteur du Collège d’Europe. En 1959, environ 800 000 élèves provenant de onze pays prennent part à ce concours. Toujours dans la perspective de faire naître un sentiment de communauté entre les élèves des différents pays d’Europe, d’autres formes d’échanges sont encouragées par ces mouvements militants dans les établissements scolaires : des appariements ou jumelages des écoles à l’échange de correspondance, en passant par les voyages d’études.

Néanmoins, des résistances à l’« éducation pour l’Europe » existent. La question de la neutralité scolaire est régulièrement discutée par la gauche. Les milieux communistes dénoncent ce qu’ils perçoivent comme une pénétration de la politique gouvernementale à l’école. De plus, la croissance des attentes envers l’école que les injonctions comme l’éducation pour la compréhension internationale ou l’éducation pour l’Europe expriment, ainsi que la surcharge de travail que cela engendre pour les enseignants, sont l’objet de critiques et de vives inquiétudes.

Les Six, quant à eux, conviennent d’entamer une coopération dans le domaine de l’éducation, mais avec beaucoup de prudence. Hormis une référence à la création d’une université européenne et une mention d’une politique commune en matière de formation professionnelle, aucun des deux traités fondateurs signés à Rome en 1957 ne prévoit une politique européenne de l’éducation. Cela s’explique pour plusieurs raisons. Le traité sur la Communauté économique européenne a une portée essentiellement économique, l’objectif final étant de réaliser un marché commun. Or la formation professionnelle semble suffisante pour atteindre cet objectif. En outre, les responsables des grandes universités européennes sont déterminés à défendre la liberté académique et l’autonomie des institutions qu’ils dirigent par rapport à la Communauté européenne (CE). Plus important encore, les gouvernements nationaux ne veulent pas renoncer à leur souveraineté dans un domaine politique aussi sensible. Le tissu éducatif européen, créé progressivement par les initiatives privées mentionnées plus haut, encourage néanmoins le développement d’une politique d’éducation communautaire à partir de la fin des années 1960.

La phase de développement (1968-1999) : l’éducation pour servir et légitimer le processus d’unification européenne

La situation change rapidement entre la fin des années 1960 et le début des années 1970. L’économie européenne entre dans une nouvelle phase caractérisée par d’importantes innovations en matière de technologie et de processus de production, ainsi que par un déplacement progressif de la main-d’œuvre de la production vers les services. Ces évolutions s’accompagnent de l’achèvement de l’Union douanière européenne. Dans ce contexte, les hommes politiques et les représentants des syndicats et des organisations patronales commencent à faire valoir la nécessité de mettre en œuvre des politiques générales d’éducation au niveau communautaire en complément à la formation professionnelle. Pendant ce temps, les manifestations étudiantes contraignent les autorités politiques et universitaires à se tourner vers la Communauté européenne pour trouver une solution à la crise de l’éducation qui touche alors tous les pays d’Europe occidentale. Ces manifestations montrent également l’indifférence des jeunes à l’égard du processus d’intégration européenne qui, selon les organisations pro-européennes et les principaux membres de la Commission et du Parlement européens, doit être traitée par l’éducation. Enfin, la détérioration de l’image des États-Unis en Europe occidentale incite à créer et à diffuser un modèle culturel et éducatif européen que la CE pourrait contribuer à faire émerger. La crise économique du début des années 1970 vient ajouter une nouvelle préoccupation et une nouvelle raison d’agir. Même si l’UNESCO, le Conseil de l’Europe et, plus tard, l’OCDE jouent un rôle non négligeable, la Communauté européenne s’impose à cette période comme l’épine dorsale de la coopération européenne dans le domaine de l’éducation.

En 1975, la CE crée le Centre européen pour le développement de la formation professionnelle (CEDEFOP) à Berlin-Ouest. Son objectif est de soutenir le développement des politiques européennes d’enseignement et de formation professionnels et de contribuer à leur mise en œuvre. À la même période, les États membres de la CE conviennent de la création, sur une base intergouvernementale, d’un Institut universitaire européen (IUE) à Florence. Sa convention entre en vigueur en 1975 et ses activités débutent l’année suivante. Dans l’intervalle, les ministres de l’Éducation des pays de la CE commencent à se réunir au sein du Conseil. En 1974, ils adoptent une importante résolution sur la coopération dans le champ éducatif qui en fixe les principes sous-jacents et les domaines d’action. Deux ans plus tard, ils approuvent également une résolution sur un programme d’action dans le domaine de l’éducation, qui énonce les principales priorités. Du milieu des années 1970 au milieu des années 1980, la CE met en œuvre des mesures visant à faciliter la transition des jeunes vers la vie active, à promouvoir la coopération et les échanges entre les universités, à améliorer l’éducation des enfants de travailleurs migrants et à encourager l’échange d’informations. Les conditions, cependant, ne sont pas faciles. Le manque de ressources financières et de bases juridiques empêche la Communauté de développer une action plus incisive.

La situation change à nouveau au milieu des années 1980. Le climat politique devient de plus en plus favorable aux mesures visant à rapprocher la CE des citoyens. En 1984, le Conseil européen réuni à Fontainebleau charge le comité Adonnino d’élaborer un plan visant à améliorer l’image de la Communauté européenne et à la rendre plus attrayante pour le citoyen lambda. Son rapport final, adopté par le Conseil européen à Milan en 1985, souligne le rôle déterminant que l’éducation peut jouer dans la réalisation de ces objectifs. Parallèlement, le Livre blanc de Cockfield sur l’achèvement du marché unique fait valoir qu’une plus grande coopération dans le domaine de l’éducation contribuerait à créer un système économique européen plus moderne et plus intégré, qui, à son tour, pourrait aider les États membres à relever les défis d’une économie émergente mondialisée et fondée sur la technologie. En outre, le principe de la libre circulation des personnes, qui fait partie intégrante du projet de marché unique, signifie que le concept d’un marché du travail ouvert ne peut plus s’appliquer uniquement aux ouvriers de l’industrie, mais aussi aux travailleurs plus qualifiés. Le système universitaire doit donc être en mesure d’offrir aux étudiants une perspective « européenne » qui impliquerait clairement une meilleure connaissance des langues étrangères et une expérience à l’étranger.

La Cour de justice de la CE, par son interprétation large du traité instituant la CEE, donne à la Commission européenne les possibilités juridiques d’agir. Cette action est encouragée et soutenue par les partenaires sociaux et les milieux universitaires. Le monde académique, en particulier, prend de plus en plus conscience de l’importance de l’internationalisation pour améliorer l’enseignement et la recherche, ainsi que pour attirer et générer des ressources supplémentaires. La conférence des recteurs européens et le comité de liaison des conférences des recteurs des États membres des Communautés européennes, créé à Bruxelles en 1973, soutiennent avec détermination la Commission et ses efforts pour encourager la coopération dans le domaine de l’enseignement supérieur. Les Jeunes fédéralistes européens et l’Association des états généraux des étudiants de l’Europe, établie à Paris en 1985, apportent également un soutien vigoureux et actif à la coopération en matière d’éducation.

Les problèmes et les tensions ne disparaissent pas d’un coup de baguette magique. Les bases juridiques et le budget font l’objet de discussions et parfois de conflits. Toutefois, entre le milieu des années 1980 et le début des années 1990, un large éventail de programmes d’action dans le domaine de l’éducation et de la formation est adopté et mis en œuvre. Il s’agit notamment du programme communautaire d’éducation et de formation en matière de technologies (Comett), du programme d’action européen pour la mobilité des étudiants universitaires (Erasmus), du programme pour la formation professionnelle des jeunes et leur préparation à la vie adulte et professionnelle (Petra), du programme pour la promotion des compétences en langues étrangères (Lingua), du programme pour la promotion de l’innovation dans la formation professionnelle résultant des changements technologiques (Eurotecnet) et du programme pour le développement de la formation professionnelle continue (Force). Immédiatement après la chute du mur de Berlin, la Commission européenne propose un nouveau programme d’enseignement supérieur spécifiquement adapté aux anciens pays communistes d’Europe centrale et orientale. Ce programme est adopté en 1990 sous le nom de Tempus.

Depuis, les universités elles-mêmes expriment leur volonté d’introduire et de développer les études européennes. Les associations nationales d’études européennes, qui ont fusionné au sein de l’Association d’études sur la Communauté européenne en 1987, jouent un rôle majeur en incitant les établissements d’enseignement supérieur à formuler cette demande. En 1989, le programme Jean Monnet est lancé avec l’objectif de soutenir l’introduction de cours et de modules dans le domaine des études européennes et de créer des centres d’excellence européens.

Le moment est venu d’avancer : l’éducation est finalement intégrée au traité de Maastricht, devenant ainsi formellement une compétence de l’Union européenne (UE). Ce changement coïncide avec deux nouveaux défis pour l’UE et ses États membres, faisant tous les deux appel à l’éducation. Le premier est la perspective d’élargissement de l’UE à l’Europe centrale et orientale. Le second concerne la montée en puissance de la mondialisation et, dans ce contexte, l’avènement de la société de l’information. Face à ces défis, la Commission européenne propose d’élargir le champ de la coopération dans le sens d’une plus grande cohérence entre l’éducation générale et la formation professionnelle et d’une simplification de la gestion des activités. Conformément à cette philosophie, deux programmes d’action communautaire sont adoptés en 1994 et 1995 : Leonardo da Vinci dans le domaine de la formation professionnelle et Socrates dans les domaines de l’enseignement universitaire et, pour la première fois aussi, des degrés inférieurs. En même temps, le concept d’éducation évolue rapidement, l’accent étant désormais mis sur la notion d’apprentissage tout au long de la vie. Ce concept est d’ailleurs placé au cœur de la stratégie globale de l’UE entre le milieu et la fin des années 1990.

Parallèlement aux programmes menés dans le cadre communautaire, d’importantes initiatives issues de l’expérience positive acquise dans le cadre de la coopération communautaire sont prises au niveau intergouvernemental. La plus importante d’entre elles est le processus de Bologne, lancé entre 1998 et 1999 par les ministres de l’Éducation français, allemand, italien et britannique. Son objectif est de coordonner les politiques nationales afin de créer, en dix ans, un espace européen de l’enseignement supérieur. De l’enseignement supérieur, on passe ensuite au processus de Florence qui vise à coordonner les politiques nationales en matière d’éducation pour les degrés primaire et secondaire et, plus tard, au processus de Copenhague qui s’attache, pour sa part, à la formation professionnelle.

La phase de consolidation (1999-aujourd’hui) : l’éducation au service de la diplomatie culturelle européenne

En 2000, un Conseil européen extraordinaire se réunit à Lisbonne. Il donne à l’UE un nouvel objectif stratégique pour la décennie suivante : devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique au monde, capable d’une croissance économique durable, accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi ainsi que d’une plus grande cohésion sociale. L’investissement dans l’éducation et la formation est reconnu comme l’instrument le plus important pour atteindre ces objectifs.

La mise en place de ce cadre stratégique ouvre la voie au renouvellement et à la réforme des programmes Leonardo da Vinci et Socrates. L’innovation la plus frappante concerne le budget. Leonardo da Vinci II et Socrates II, qui s’étendent de 2000 à 2006, disposent de plus du double des ressources qui avaient été consacrées à Leonardo da Vinci et Socrates dans leur première mouture (1995 à 1999). Bien que la part du budget de l’UE consacrée à l’éducation et à la formation reste faible, l’augmentation est constante et notable. Alors que Leonardo da Vinci II et Socrates II touchent à leur fin, l’Union européenne lance en parallèle deux nouveaux programmes : d’une part, le programme eLearning, dont l’objectif est d’encourager l’utilisation efficace des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans l’éducation et la formation européennes et, d’autre part, Erasmus Mundus, qui vise à renforcer la coopération universitaire entre l’Union européenne et les pays tiers.

Depuis, la Commission européenne propose de remplacer tous les programmes existants par un programme d’action globale de l’Union européenne dans le domaine de l’éducation et de la formation tout au long de la vie, qui doit s’étendre de 2007 à 2013. Consacré aux objectifs fixés dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, ce programme renforce encore l’intégration des mesures d’éducation et de formation dans tous les niveaux d’éducation, de l’école primaire à l’université. Pour la première fois, le seuil symbolique de 1 % du budget communautaire est dépassé. Le programme d’action dans le domaine de l’éducation et de la formation tout au long de la vie est ensuite remplacé pour la période de 2014 à 2020 par Erasmus +, qui tire son nom du programme devenu l’un des symboles les plus représentatifs et l’une des réussites les plus étonnantes de l’Union européenne, à savoir Erasmus. Erasmus + vise à accroître les possibilités de mobilité des enseignants et des membres du personnel administratif, ainsi qu’à parvenir à une pleine intégration des mesures en faveur de l’éducation, de la formation et de la jeunesse.

Dans l’intervalle, dans le cadre du processus de Bologne, les pays européens adoptent d’importantes réformes en matière de politique de l’enseignement supérieur et réduisent la plupart des obstacles à la mobilité et à la coopération universitaires sur le continent.

Ces progrès vont de pair avec un changement dans les approches et les objectifs de l’Union européenne, en particulier dans le domaine de l’enseignement supérieur. L’objectif consistant à renforcer le rôle et l’image de l’Union européenne dans le monde et à attirer des étudiants non européens dans les établissements d’enseignement supérieur en Europe a été privilégié par rapport à celui de créer et de promouvoir une identité commune parmi les citoyens européens. L’objectif d’accompagner la mise en place du marché unique européen est éclipsé par celui d’aider les économies européennes à devenir plus innovantes, dynamiques et compétitives dans le contexte de la mondialisation et du progrès des technologies de l’information. Enfin, l’objectif de stimuler la collaboration entre les établissements d’enseignement supérieur est largement remplacé par celui d’encourager la concurrence et de concentrer les ressources sur « l’excellence ». Cette évolution est favorisée, en 2007, par la création du Conseil européen de la recherche. Composé d’une petite élite d’universitaires européens, ce dernier joue un rôle croissant dans la définition des règles et des critères pour la recherche et l’enseignement en Europe.

Conclusion

La plupart des actions liminaires en matière d’éducation se distinguent par deux aspects : leur caractère privé et leur proximité avec la mouvance fédéraliste. Selon la logique fédéraliste, l’engagement politique doit partir du bas vers le haut et reposer sur un engagement personnel et responsable. L’éducation au sens large est alors perçue comme un facteur clé du processus d’européanisation et l’école, un terreau particulièrement propice. Contrairement aux premières initiatives prises par des organismes privés qui répondent davantage à un idéal politico-culturel, l’approche éducative communautaire répond surtout à des considérations socio-économiques, puis à des stratégies géopolitiques. Les résistances sont d’abord idéologiques, puis les difficultés sont essentiellement d’ordre financier. L’éducation pour l’Europe ne suivra pas un développement naturel comme ses initiateurs l’avaient imaginé. Même si ce projet politico-pédagogique est à l’origine d’un certain nombre de révisions des programmes et a sans doute influencé dans une certaine mesure les politiques éducatives nationales, il n’est pas parvenu à créer un sentiment généralisé d’identité européenne, un constat d’échec régulièrement relayé jusqu’à aujourd’hui.

Citer cet article

Simone Paoli , Raphaëlle Ruppen coutaz , « D’une éducation pour l’Europe à une éducation européenne », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 24/09/20 , consulté le 28/03/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/21415

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