L’Éducation nouvelle

xixe-xxie siècles

Émergeant à la fin du xixe siècle, l’Éducation nouvelle devient un véritable mouvement pédagogique international dès les années 1920. Ses adhérent(e)s revendiquent une réforme profonde de l’enseignement reposant sur une connaissance scientifique de l’enfant et sur un renversement de la logique éducative. L’école devrait en effet s’adapter à l’enfant en respectant ses besoins et intérêts et lui permettre d’apprendre à travers l’expérience, l’activité et la coopération. Il s’agit donc de repenser les programmes, les méthodes pédagogiques ainsi que les rôles respectifs du maître et de l’élève afin que ce dernier puisse s’approprier les savoirs par lui-même. Les promoteurs/trices de l’Éducation nouvelle militent pour la coéducation des sexes, afin que garçons et filles puissent bénéficier d’une instruction commune dans un environnement commun. Pour eux, l’éducation doit être naturelle, proche de la vie, préparer les élèves à leur vie sociale à travers une expérience de vie communautaire à l’école. C’est ainsi qu’ils apprendront la tolérance et le respect de l’autre, enfants comme adultes.

Sommaire

L’enfant au centre des méthodes et finalités de l’Éducation nouvelle

L’Éducation nouvelle est un mouvement de réforme pédagogique international qui émerge à la fin du xixe siècle et connaît son âge d’or dans l’entre-deux-guerres. Ses partisan(e)s proposent un « renversement copernicien » plaçant l’enfant, plutôt que les savoirs scolaires, au centre de l’action éducative. Ils revendiquent une réforme profonde de l’enseignement qui repose sur une connaissance scientifique de l’enfant, s’adapte à ses besoins et intérêts et favorise l’apprentissage par l’expérience. Selon eux, seule la science est capable de mesurer les aptitudes individuelles de chacun. Ils s’appuient donc sur les sciences qui désormais considèrent l’enfant comme un véritable objet d’étude : psychologie, pédologie, anthropologie, biologie. De manière générale, ils critiquent l’école dite traditionnelle qu’ils qualifient d’encyclopédique et de contre-nature, « faisant marcher tous les élèves au même pas ». Selon eux, l’école ne doit pas être coupée du monde mais être la plus naturelle possible, s’inspirer du fonctionnement d’une communauté. C’est pourquoi, ils militent pour la coéducation des sexes et ouvrent leurs écoles aussi bien aux filles qu’aux garçons. Même si certaines activités sont spécifiques (travaux manuels pour les garçons, couture pour les filles), les méthodes pédagogiques et le travail sont communs et tous les élèves participent aux tâches communautaires. Dès les années 1920, les articles faisant l’éloge de la coéducation expliquent ses bienfaits sur la formation des caractères, sur l’apprentissage de la tolérance et sur la préparation à la vie car, comme le dit John Dewey, « la seule manière de se préparer à une tâche sociale est d’être engagé dans la vie sociale ». 

Si la majorité des partisans partage ces principes, le mouvement d’Éducation nouvelle n’est toutefois pas homogène. Il rassemble une diversité de méthodes, de pratiques et de points de vue qui ont suscité tensions et controverses tout au long de son évolution, mais qui en ont fait aussi sa richesse et son intérêt. Le vocable « Éducation nouvelle » se traduit dans de nombreuses langues qui reflètent les nombreuses régions dans lesquelles il s’est développé : Reformpädagogik, New Education, Progressive Education, Educación Nueva, Escola Nova. En français, il est synonyme d’« éducation fonctionnelle » (Claparède, 1931) ou d’« école active » (Ferrière, 1922) à ses débuts puis évolue vers le terme « méthodes actives » dès les années 1960.

L’Éducation nouvelle émerge à la fin du xixe siècle à travers la fondation de plusieurs écoles nouvelles en Europe et aux États-Unis. La première, est fondée en 1880 par Cecil Reddie – Abbotsholme School (UK) – suivie de près par Bedales School, en 1893, fondée par John H. Badley. Le mouvement se propage rapidement en Allemagne où Hermann Lietz ouvre sa première école à Haubinda (1901) puis plusieurs autres dans les années qui suivent. Des établissements similaires voient le jour en Suisse, en France, en Belgique, en Hollande à la même période. En France, l’école des Roches ouvre ses portes en 1899, sur le modèle des écoles anglaises. Internats situés à la campagne – en allemand Landerziehungsheim – ces écoles nouvelles proposent un enseignement différent : contact étroit avec la nature, coéducation, travaux manuels, éducation physique, sciences naturelles, langues modernes, vie communautaire. Au niveau des méthodes, on favorise l’apprentissage par l’expérience et le self-government.

À la même période, Maria Montessori ouvre sa première Casa dei Bambini (1907) dans un quartier populaire de Rome, qui offre un enseignement adapté aux besoins particuliers des enfants en bas âge, favorisant notamment l’apprentissage par le jeu. D’autres écoles pour les petits voient le jour dans ces années-là, à l’exemple de la Maison des Petits inaugurée par Édouard Claparède à Genève en 1913. Elle servira d’école d’application aux étudiant(e)s de l’institut J.-J. Rousseau qui viennent se former aux méthodes nouvelles d’enseignement.

La première tentative de mise en réseau de ces initiatives remonte à 1899, date à laquelle le Genevois Adolphe Ferrière fonde un Bureau international des écoles nouvelles centralisant informations et documentations sur ces établissements. Mais c’est surtout après la guerre que naissent des groupes se dédiant entièrement à cette cause dans plusieurs régions du monde, contribuant ainsi à l’institutionnalisation du mouvement. La première association internationale – la Ligue internationale pour l’Éducation nouvelle/New Éducation Fellowship – est fondée en 1921 à l’initiative de quelques éducateurs/trices. Par l’organisation de congrès bisannuels et la publication de revues dans plusieurs langues, cette ligue contribue à l’extension du mouvement à une échelle internationale. Ses membres proviennent d’horizons divers, professionnels de l’éducation (éducateurs, instituteurs, directeurs), scientifiques (biologistes, médecins, psychologues), intellectuels (philosophes, écrivains, penseurs), mais tous sont convaincus que seule une réforme profonde de l’éducation pourra pacifier le monde et prévenir les guerres. En étendant les méthodes pratiquées dans les écoles nouvelles à l’ensemble des systèmes éducatifs, ils espèrent transformer la société vers plus de tolérance et de paix.

Les femmes occupent une place importante dans cette ligue, qu’elles soient actrices sur le terrain ou déléguées dans des instances ou groupes de travail. Elles contribuent activement à la diffusion des principes d’Éducation nouvelle en publiant articles et ouvrages, en dirigeant des revues pédagogiques, ou en donnant des conférences. La plupart d’entre elles sont parallèlement engagées dans les mouvements féministes et/ou de protection de l’enfance, à une échelle locale, nationale ou internationale. De ce fait, elles participent à la promotion des principes éducatifs nouveaux dans des réseaux spécifiquement féminins parmi lesquels de nombreuses actrices militent pour la cause de l’enfant. En cela, ces femmes constituent des actrices-pivot qui favorisent la circulation des principes d’Éducation nouvelle à une échelle internationale.

Un succès en demi-teinte

Alors que les années 1920 constituent les années d’espoirs, voire d’utopie, où les projets universalistes enflamment les discours, les années 1930 sont marquées par un repli nationaliste du mouvement qui se traduit par des expériences plus concrètes à une échelle locale. L’Éducation nouvelle est alors traversée de tensions et de débats qui révèlent les différences d’interprétation selon les régions et les individus. L’élan internationaliste diminue mais plusieurs écoles, groupes et revues subsistent jusqu’à la guerre dans plusieurs pays.

Après le deuxième conflit mondial, l’Éducation nouvelle inspire certains projets de réforme scolaire, à l’exemple du plan Langevin-Wallon en France, même s’ils n’aboutissent pas à une refonte complète du système. Le mouvement est reconfiguré dans les années 1960, en particulier à la suite des événements de Mai 1968. Plusieurs expériences alternatives font alors parler d’elles, que ce soit l’école de Summerhill et sa pédagogie non directive, la pédagogie institutionnelle de Fernand Oury et Raymond Fonvielle ou les techniques Freinet diffusées par l’ICEM (Institut coopérative d’école moderne) dans toute la francophonie. Les enseignant(e)s des années 1970-1980 poursuivent l’élan en créant, en France et ailleurs, divers groupes de pédagogie active ou d’école moderne, au sein desquels de nombreux parents militent pour défendre une école plus proche de la vie, qui associe davantage l’école et la famille.

Bien que le mouvement se soit estompé au fil du temps, les principes d’Éducation nouvelle sont toujours perceptibles aujourd’hui, ayant marqué durablement les pratiques enseignantes qu’ils ont contribué à transformer. Les noms de plusieurs partisans du mouvement tels que Decroly, Montessori, Freinet, Claparède, Dewey, Ferrière, Cousinet ont traversé les décennies et constituent, aujourd’hui encore, des figures marquantes de la pédagogie moderne.  

Citer cet article

Béatrice Haenggeli-jenni , « L’Éducation nouvelle », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 22/06/20 , consulté le 19/03/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/12270

Bibliographie

Brehony, K.J., « A New Education for a New Era: The Contribution of the Conferences of the New Education Fellowship to the Disciplinary Field of Education 1921-1938 », Paedagogica historica, 40 (5-6), 2004, p. 733-755.

Hameline, D., L’éducation dans le miroir du temps, Lausanne, LEP, 2002.

Haenggeli-Jenni, B., Les relations science-militance dans le mouvement d’Éducation nouvelle. Pour l’Ère nouvelle (1920-1940), Berne, Peter Lang, à paraître.