Le livre : le sport, vitrine de la réussite du modèle soviétique.
Dans les années 1920, les sections sportives soviétiques n’étaient pas membres des fédérations internationales ni du Comité international olympique (CIO). Rejetant les grandes rencontres sportives occidentales, considérées comme l’expression d’un « sport bourgeois », les autorités soviétiques s’engagent alors dans l’Internationalisme sportif regroupant des associations sportives ouvrières. En 1928, Moscou organise les Spartakiades, réunissant les fédérations sportives ouvrières du monde entier pour mieux concurrencer les Jeux Olympiques d’Amsterdam organisés la même année.
Incapables de concurrencer l’audience internationale des Jeux Olympiques, les autorités soviétiques décident finalement de concourir aux rencontres sportives internationales. En décembre 1934, Nikolaï Antipov (1894 - 1938), président du Comité pansoviétique de culture physique, résume la finalité idéologique de cette participation aux rencontres sportives internationales : « Rattraper et dépasser les pays capitalistes ». Il faudra finalement attendre les Jeux Olympiques d’Helsinki (1952) pour voir les sportifs soviétiques concourir avec leurs homologues occidentaux.
À partir des années 1950, les compétitions internationales, les championnats du monde et d’Europe et surtout les Jeux olympiques, sont l’occasion pour l’URSS de magnifier leurs athlètes pour en faire des modèles de réussite du système soviétique. Leurs attitudes et leurs comportements doivent être irréprochables et, sur le terrain sportif, ils doivent battre un maximum de records. Des primes spéciales sont d’ailleurs versées aux athlètes vainqueurs, particulièrement lorsqu’ils remportent une confrontation avec les États-Unis.
Certains athlètes soviétiques, comme la gymnaste Olga Korbut, championne olympique en 1972 aux Jeux olympiques de Munich, sont de véritables stars en dehors de leur pays, ce qui les protège des critiques qui se multiplient en URSS sur leurs nombreux voyages à l’étranger et leur mode de vie bourgeois (primes, logement de fonction).
L’URSS valorise alors un modèle sportif de héros ordinaire auquel tous les citoyens soviétiques peuvent s’identifier, à l’instar de l’haltérophile Youri Vlasov (1935 - 2021), médaillé d’or en 1960 aux Jeux olympiques de Rome, présenté par la presse soviétique comme un monsieur tout-le-monde à l’existence simple. Les sportifs soviétiques sont ainsi érigés en modèle de réussite d’un système socialiste permettant à de simples ouvriers et paysans de devenir, eux aussi, des champions.
Le cours : la première participation des sportifs soviétiques aux Jeux Olympiques d’Helsinki (1952)
Du 19 juillet au 3 août 1952, les Jeux Olympiques d’Helsinki voient concourir les athlètes soviétiques pour la première fois. Cette première participation de l’URSS n’a pas laissé la presse française indifférente. Avant le début de la compétition, le journal sportif L’Équipe, disponible en ligne pour l’année 1952 sur le site Gallica, publie une série d’articles sous le titre « L’URSS, la grande inconnue d’Helsinki » (Ill.1) et s’interroge sur les performances et le comportement des sportifs soviétiques.
Comme le montre Sylvain Dufraisse, une attention particulière est alors accordée à l’image que véhiculent les sportifs soviétiques. Présente dans les pages spéciales de L’Équipe, la section « Tous les potins d’Helsinki » rend compte des anecdotes extra-sportives et notamment des rencontres entre les athlètes américains et soviétiques. Les rameurs russes sont ainsi qualifiés de « vraiment chics » par un officiel américain après avoir prêté un canot à l’équipe d’aviron des États-Unis (L’Équipe, 16 juillet 1952).
Cette première participation des athlètes soviétiques aux Jeux Olympiques coïncide avec l’apparition dans la presse du classement sportif des nations en fonction du nombre de médailles, un classement jusque-là refusé par le Comité International Olympique (CIO) qui le juge contraire aux valeurs de l’olympisme. Ce classement s’impose alors dans la presse internationale alors que l’URSS et les États-Unis revendiquent chacun la première place.
Cette situation s’explique par la différence lors du décompte des points. Dans son édition du 4 août 1952, L’Équipe, qui établit son propre palmarès, considère qu’« au classement des médailles, les États-Unis triomphent nettement ». Ce n’est pas le point de vue de l’ensemble des journalistes français et notamment de l’Humanité qui explique, dans son édition du 5 août 1952, que « L’URSS est bien la première nation des Jeux d’Helsinki ».
Dans la presse du monde entier, c’est le classement en fonction du nombre de médailles d’or qui s’impose alors, et qui donne par là même les États-Unis vainqueurs de la compétition. Mais ce classement qui attribue trois points aux médailles d’or, deux points aux médailles d’argent et un point aux médailles de bronze, est contesté par les soviétiques dans le journal officiel la Pravda dont le décompte, qui donne l’URSS vainqueur, est repris par le journal l’Humanité.
Le chef de la délégation soviétique aux Jeux olympiques, Nicolas Romanov, se dit fier d’avoir remporté la première place aux Jeux olympiques et considère que les résultats auraient été meilleurs « si une façon de juger objective avait été appliquée », suggérant ainsi une inégalité de traitement de la part des arbitres (Libération, 5 août 1952).