Comment le service d’ordre du parti gaulliste s’est opposé à Mai 68 ? 

À propos de François Audigier, Histoire du SAC. Les gaullistes de choc 1958-1969

François Audigier, Histoire du SAC. Les gaullistes de choc 1958-1969, Paris, Perrin, 2021.

Sommaire

Le livre : le SAC ou la résistance à Mai 68

De la contestation étudiante et des mouvements sociaux de 1968 nous sont parvenus les clichés des manifestants, pris entre l’espoir, l’euphorie et les scènes de violence des mois de mai et de juin. Mais que sait-on des opposants au mouvement de mai 68 et, au premier titre, des soutiens du pouvoir gaulliste ? Beaucoup, parmi les militants de droite et d’extrême droite, craignaient l’instauration d’une dictature marxiste en France tout en restant partagés sur l’attitude à adopter. Pour ce qui est des membres du SAC (Service d’Action Civique), le service d’ordre du parti gaulliste fondé en décembre 1959 pendant la guerre d’Algérie, il était hors de question de rester passif devant la « chienlit ».

Le SAC est alors chargé de protéger les candidats gaullistes, d’assurer l’essentiel des missions de collage d’affiches ou encore de contribuer au succès des meetings en provoquant les applaudissements. Les membres du SAC sont composés en majorité d’anciens résistants et combattants de la Seconde Guerre mondiale, des hommes rompus à la lutte armée, réputés rugueux, habitués aux opérations d’infiltration, de propagande et d’actions violentes.

Ce sont ces hommes qui, dès le début du mois de mai 1968, soutiennent les forces de l’ordre en participant aux levées des barricades montées par les étudiants. Ils n’hésitent pas à envoyer de jeunes militants gaullistes infiltrer les rangs des « révolutionnaires » pour mener ensuite un assaut de l’intérieur ou à provoquer les forces de l’ordre pour leur offrir l’occasion de réaliser une charge en toute légitimité. Les opérations de déstabilisation menées par le SAC sont repérées par les manifestants qui dénoncent le rôle de cette « milice » aux côtés des policiers et des gendarmes. Le lendemain de la nuit des barricades (10-11 mai), le SAC est contraint par le pouvoir gaulliste de mettre un terme à ces missions.

François Audigier montre pourtant que le SAC continue d’agir après le 11 mai. L’accélération des événements à partir du 13 mai (ralliement des syndicats et travailleurs au mouvement) lui offre une nouvelle opportunité d’intervenir en se réappropriant les méthodes contre-insurrectionnelles développées durant la guerre d’Algérie. Ses membres mènent des actions parallèles : création des Comités pour la défense de la République (CDR) pour rallier les non gaullistes hostiles aux événements ; tentatives d’infiltration des milieux communistes et « gauchistes » (pour s’informer) ; assauts pour lever des piquets de grève ; combats de rue (qualifiés parfois de « batailles rangées ») ; diffusion des tracts, papillons (vignettes) et affiches antisubversives. Les centaines d’interventions de militants gaullistes pour rétablir l’ordre en mai-juin 1968 sont à l’origine d’incidents violents avec les militants de gauche et d’extrême gauche. L’enquête de François Audigier révèle que, dans la panique et la précipitation, le SAC va même jusqu’à recruter des truands qui mènent des actions violentes.

François Audigier montre que le pouvoir gaulliste, malgré les critiques contre ce type d’agissement, pardonne volontiers les actes « virils » de ces « gros bras » car il sait pouvoir compter sur eux en pleine crise. Pour autant le SAC a-t-il vraiment contribué au recul des manifestations et des grèves à partir du mois de juillet ? L’efficacité de telles actions est difficile à évaluer et ne doit pas être surestimée. La victoire écrasante du parti gaulliste aux élections législatives, la lassitude des citoyens et les vacances d’été, ont sans doute joué un rôle bien plus important dans la fin du mouvement de Mai 68.

Le cours : étudier une affiche de Mai 68

Le livre de François Audigier mobilise de nombreuses sources (témoignages oraux et écrits, articles de presse, rapports des Renseignements généraux, archives militantes, etc.). Parmi elles, se trouve l’affiche ci-dessous (Ill.1), réalisée par des étudiants (anonymes) de « l’Atelier populaire » qui s’était installé à l’École des Beaux-Arts de Paris du 15 mai au 28 juin 1968.
 

Ill.1. Affiche publiée par l’Atelier populaire-Mai 68. Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles. Source.

Ce groupe de militants d’extrême gauche « antibourgeois » a réalisé près de 600 affiches aux slogans restés célèbres (« il est interdit d’interdire », « La lutte continue »). L’affiche ci-dessus est réalisée au début du mois de juin et dénonce plusieurs incidents, provoqués par des gaullistes, qui se sont déroulés dans la seconde moitié du mois de mai.

Les artistes entremêlent deux mémoires : la mémoire courte (les événements qu’ils sont en train de vivre) et la mémoire longue (mémoire d’une Seconde Guerre mondiale qu’ils n’ont pas connue). Cette dernière est cruciale : les étudiants de cette génération ont grandi avec le souvenir glorieux de la Résistance et de la France Libre. Ils se réapproprient l’imaginaire résistant de leurs parents pour légitimer leurs actions violentes « révolutionnaires » et inverser le récit – ce sont eux les résistants et non le pouvoir gaulliste et les membres du SAC (pourtant d’anciens résistants pour la plupart). Ces étudiants ne reculent pas devant l’amalgame et le caractère excessif de leurs propos, stratégie commune pour délégitimer leurs adversaires.

L’affiche ci-dessus fait référence à trois incidents : la descente réalisée le soir du 15 au 16 juin 1968 à la faculté d’Orléans par des gaullistes (potentiellement du SAC) ; les affrontements violents avec des communistes à la gare des Batignolles le 24 juin (des membres du SAC marseillais tirent sur des cheminots grévistes) ; l’assassinat du communiste Marc Lanvin le 29 juin à Achicourt (près d’Arras). Ce dernier est tué par des membres des CDR lors d’une rixe qui tourne mal : les gaullistes mitraillent un véhicule de colleurs d’affiches socialistes et touchent mortellement le jeune communiste.

Les auteurs de l’affiche mélangent ainsi des actions réalisées par deux organisations différentes qu’ils rassemblent sous le même vocable. Ils confondent le SAC et les CDR et assimilent le gaullisme au fascisme/nazisme. Outre « la fascisation » et « CDR SS » dans le titre, l’apparence du tireur, manteau long et chapeau iconique, évoque la Gestapo. La fumée qui sort du canon de son pistolet prend la forme d’une croix de Lorraine, symbole du pouvoir gaulliste. La liste d’incidents graves permet, quant à elle, de renforcer la menace que la fascisation des gaullistes ferait peser sur la France.

Citer cet article

Bryan MULLER , «Comment le service d’ordre du parti gaulliste s’est opposé à Mai 68 ? », Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 07/05/25 , consulté le 23/05/2025. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22566

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HIT, an International u-counter media, décembre 1970, cité dans Antonio Benci,  « Perceptions, transpositions et mémoires du Mai français en Italie », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 2009/2, no 94, p. 39-46.
« Les guérillas dans la guerre péninsulaire », par Roque Gameiro dans Images de l’histoire du Portugal, 1917.
« Les guérillas dans la guerre péninsulaire », par Roque Gameiro dans Images de l’histoire du Portugal, 1917. Source : Wikimedia Commons
Illustration 1 : Affiche de propagande pour le recrutement de la Milice, vers 1944
Illustration 1 : Affiche de propagande pour le recrutement de la Milice, vers 1944. Source : wikipedia.org
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