Le livre : Les nouveaux défis de l’enseignement de la Shoah
L’ouvrage coordonné par Alexandre Bande, Pierre-Jérôme Biscarat et Olivier Lalieu offre une mise au point scientifique en même temps qu’une réflexion approfondie sur les manières d’enseigner la Shoah. Dans un chapitre consacré à l’enseignement de la Shoah, Iannis Roder revient sur les obstacles auxquels peuvent être confrontés les professeurs, entre hostilité et négationnisme d’une minorité d’élèves, entre ressentiment provoqué par la place accordée à la mémoire de la Shoah et sentiment de redites permanentes.
Pour surmonter ces obstacles, Iannis Roder insiste sur l’importance de la démarche scientifique de cet enseignement contre les « approches victimaires » et les discours moralisateurs qui ne peuvent en aucune manière constituer un enseignement de l’histoire de la shoah, l’inscrivant de facto dans une forme de « concurrence mémorielle ». C’est, en effet, en exposant aux élèves, sans pathos excessif, la rigueur des méthodes d’enquêtes historiques appuyées sur des archives, des témoignages, un lexique approprié que ceux-ci pourront saisir l’ampleur du génocide. Iannis Roder préconise ainsi l’usage d’un vocabulaire rigoureux, prenant en compte l’évolution de la recherche scientifique.
Par exemple, utiliser l’expression « centre de mise à mort » favorise chez les élèves une meilleure compréhension de l’aspect systématique de « l’assassinat des Juifs » en reléguant au second plan les aspects techniques et notamment la question des chambres à gaz qui ne sont pas présentes dans tous les centres de mise à mort. Car ces centres de mise à mort ne sont qu’un des outils du génocide au même titre que les exécutions de masse perpétrées à l’Est et que les camps de concentration qui jouent un rôle marginal dans l’assassinat des Juifs, à l’exception du camp d’Auschwitz-Birkenau.
La question du contexte dans lequel se déroulent ces meurtres, des centres de mises à mort aux crimes de masse sur le front de l’Est est ici essentielle pour comprendre ce qui motive les tueurs et leur abandon progressif de tout sens moral. On pourra, par exemple, s’appuyer sur les témoignages de bourreaux comme Paul Holn, un soldat de la Wehrmacht qui assiste aux massacres des populations juives en Biélorussie en janvier 1942 et exprime dans son journal intime ses opinions antisémites. Cette étude de cas peut d’ailleurs être placée dans le contexte plus large de la guerre d’anéantissement sur le front de l’Est en montrant également la carte de la « Shoah par balle » proposée en ligne par l’association Yahad in Unum du père Patrick Desbois.
Enfin, Iannis Roder évoque la place des témoignages à l’école. Avec les précautions qu’ils nécessitent en termes d’enseignement (mise en perspective par l’enseignant pour éviter toute confusion entre l’histoire et la mémoire individuelle), les témoignages se sont imposés dans les salles de classe dans les années 1990. Néanmoins, la disparition progressive des derniers témoins conduit les enseignants à renouveler leurs pratiques en privilégiant l’étude des sources par les élèves. Iannis Roder mentionne ainsi la reconstitution d’itinéraires de déportés, consultables sur le site de l’association Convoi 77 qui organise des ateliers pédagogiques avec les élèves.
Le cours : les défis pédagogiques du voyage à Auschwitz-Birkenau
Les camps d’internement, de concentration, les centres de mise à mort, bien qu’en partie ou totalement détruits, constituent des lieux d’histoire et de mémoire de la Shoah où se rendent professeurs et élèves dans le cadre de l’enseignement du génocide. Comment organiser un tel voyage ? Quelle classe y emmener ? Dans quel but ? Que vont en retenir les élèves ?
Au nom de la « mission éducative », Alexandre Bande et Pierre-Jérôme Biscarat privilégient le voyage de toute une classe et non des seuls élèves volontaires. Rappelant les préconisations de la DGESCO et de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, les auteurs conseillent de réserver les voyages à Auschwitz-Birkenau aux élèves de Première et de Terminale en raison des difficultés que peuvent rencontrer de jeunes élèves à gérer leurs émotions.
Un autre défi est celui de l’organisation du voyage et plus particulièrement celui de son coût. Les auteurs rappellent que des soutiens financiers peuvent être obtenus, notamment auprès de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. S’il est possible d’effectuer le voyage en vingt-quatre heures, trois à cinq jours semblent être une durée idéale permettant un travail plus approfondi en associant la visite d’Auschwitz-Birkenau à celles de lieux culturels comme Cracovie qui permettent d’étudier la présence juive en Europe de l’Est sur le temps long.
Pour mesurer les effets d’un voyage pédagogique à Auschwitz-Birkenau, Ygal et Jacques Fijalkow ont mené une enquête auprès de 2 000 lycéens de 52 établissements laïcs et confessionnels dans treize régions différentes. L’enquête a révélé que les élèves partis en voyage parvenaient davantage à contextualiser la Shoah et à en saisir le caractère génocidaire. Cependant, les résultats de cette étude montrent que le voyage n’aboutit pas nécessairement à une évolution des « dispositions morales contre le racisme et l’intolérance » de la part des élèves.
Pour cette raison, Alexandre Bande et Pierre-Jérôme Biscarat soulignent la nécessité de ne pas concevoir le voyage à Auschwitz uniquement comme une commémoration fondée sur l’injonction du « devoir de mémoire » contre le racisme et l’antisémitisme mais de se concentrer avant tout sur les aspects historiques de la Shoah (mise en contexte, connaissances autour du génocide, respect de la démarche scientifique) afin de susciter chez les élèves une réflexion personnelle et de développer leur regard critique.
Toutefois, les auteurs recommandent de ne pas minimiser les émotions des élèves à la suite d’une visite qui peut se révéler traumatisante et prônent une « approche médiane » entre histoire et émotion qui peut se traduire, par exemple, par un temps de commémoration pendant ou après la visite. Le travail de restitution peut également concilier histoire et émotion : le montage d’un podcast ou la préparation d’exposés ou d’expositions de panneaux et dessins permettent ainsi de mêler les connaissances historiques aux témoignages et à la sensibilité des élèves.