L’écologie est-elle née au Moyen Âge ?

À propos de Fabrice Mouthon, Le sourire de Prométhée. L’homme et la nature au Moyen Âge

Fabrice Mouthon, Le sourire de Prométhée. L’homme et la nature au Moyen Âge, Paris, La Découverte, 2017.

Sommaire

Le livre : les racines médiévales de la crise écologique

Dans cet ouvrage paru en 2017, Fabrice Mouthon, historien médiéviste spécialiste des communautés rurales alpines, revient sur le rapport des sociétés humaines à la nature entre le ive et le xvie siècle. Inscrite dans le courant en plein essor de l’histoire environnementale, cette recherche étudie l’émergence de l’idée de « nature » au xiie siècle à partir des fouilles archéologiques du lac de Paladru, en Isère, du castrum de Montfélix, dans la Marne ou des mines de l’Argentière, dans les Hautes-Alpes. Ces fouilles mettent à jour les nombreuses inventions qui ponctuent la période : un nouveau soc de charrue, un nouveau collier d’épaules pour les attelages, de nouvelles espèces animales ou végétales – le lapin et la vigne se diffusant ainsi progressivement du sud vers le nord.

L’ouvrage tord le cou à quelques clichés très répandus sur le Moyen Âge. Chiffres à l’appui, l’auteur montre par exemple que les défrichements forestiers sont très précoces et très importants au Moyen-Âge, bien loin de l’imaginaire d’une forêt médiévale inexplorée recouvrant toute l’Europe. De même, le Moyen Âge n’est pas une période primitive, figée dans le temps, où les paysans seraient soumis en permanence à la guerre, aux épidémies et à la famine. L’auteur montre, à l’inverse, que les rendements agricoles ne cessent de progresser, comme les surfaces cultivées, au point d’aboutir à un « monde trop plein ». Avant la Peste noire (1347 - 1352), l’Europe médiévale est surpeuplée et les rendements agricoles ne progressent plus, ce qui explique la multiplication des famines au xive siècle.

Fabrice Mouthon invite également à dépasser la légende dorée d’un Moyen Âge écologique, durant lequel les hommes et les femmes auraient respecté leur environnement. En effet la nature est déjà massivement exploitée, qu’il s’agisse de la coupe du bois ou de la pêche, par des organisations qui fonctionnent déjà d’une manière quasi-industrielle. Des dizaines, parfois des centaines d’ouvriers travaillent ensemble, effectuant des tâches déjà très cloisonnées et spécialisées afin de produire massivement, à des fins de commercialisation et d’exportation. Par exemple, la pêche aux harengs, pratiquée dans la Manche et la mer du nord, mobilise des milliers de marins-pêcheurs, qui pêchent, coupent, salent, empaquettent les harengs, lesquels sont ensuite exportés dans toute l’Europe et jouent un rôle essentiel dans l’alimentation des populations, notamment urbaines. Plus encore, la nature est transformée, humanisée, aménagée par les moulins et fours à charbon, les mines de métaux, la culture de glèbes, le drainage des marais et les salines. Du reste, cette exploitation est si importante que dès le xe-xie, les souverains adoptent des mesures visant à éviter la surpêche ou les villes à protéger jalousement un couvert forestier menacé par la double expansion urbaine et démographique.

Cette prise de conscience permet de comprendre que la crise écologique n’est pas une donnée récente, apparue seulement à la suite de la « Révolution industrielle ». Il faut, comme nous y invite l’auteur, travailler avec finesse sur les racines – à la fois techniques, mentales, culturelles – de ce rapport particulier entre les humains et la nature. Fabrice Mouthon démontre que ce rapport s’est largement cristallisé au Moyen Âge, au point qu’émerge au xve siècle un « nouveau paradigme » qui est encore largement le nôtre : la nature est considérée comme une entité à la fois abstraite et séparée des humains, qui, au choix, peuvent l’exploiter ou doivent la protéger, sans avoir réellement conscience qu’ils en font partie.

Le cours : comment protégeait-on la nature au Moyen Âge ?

L’ouvrage de Fabrice Mouthon permet de revenir avec les élèves sur la manière dont les hommes et les femmes du Moyen Âge ont utilisé et transformé leur milieu naturel et sur la façon dont, plus tôt qu’on ne le croit, les pouvoirs politiques ont pris conscience de la nécessaire régulation de ces différentes activités.

Le dernier chapitre, intitulé « Prise de conscience d’un monde fini ? » recense toutes les activités polluantes au Moyen-âge : des pollutions liées aux déchets organiques et domestiques d’origine humaine (détritus mais avant tout excréments, une ville de 5000 habitants doit gérer 330 tonnes d’excréments solides et 2700 tonnes d’urine par an) ; des pollutions d’origine animale (fumier, sang, cadavres : en 1393, selon le Journal du Mesnagier de Paris, on a égorgé à Paris environ 190 000 moutons, 30 000 bœufs, 20 000 veaux et 30 000 porcs) ; et enfin la pollution chimique (combustion du bois, du charbon, activités artisanales comme la tannerie, la teinture, etc.).

 Ces pollutions conduisent les pouvoirs à paver les rues, à installer des toilettes publiques, à interdire de jeter ses ordures dans la rue, à écarter les activités les plus polluantes (boucherie et tannerie essentiellement) des points d’eau ou du cœur de la ville. On soulignera, comme le fait Fabrice Mouthon, l’efficacité très relative de ces mesures : les moyens consacrés à ces questions d’hygiène urbaine sont très limités et les populations sont peu sensibles à ces efforts (par exemple les bouchers résistent, y compris par la force, quand on essaye de les écarter du cœur de la ville).

Ill. 1 : Marchand de viandes variées (BNF, Manuscrit NAL 1673, f. 65r, 1390-1400).  Source : BNF Mandragore
Ill. 1 : Marchand de viandes variées (BNF, Manuscrit NAL 1673, f. 65r, 1390-1400). Source : BNF Mandragore

Un deuxième dossier peut être travaillé avec les élèves : l’émergence de mesures visant à protéger les forêts. Au xiiie siècle, sous l’effet de la pression démographique, le prix du bois augmente fortement et les seigneurs tentent de préserver leurs forêts pour maintenir leurs réserves de chasse et monnayer le droit de couper du bois. En France, le roi s’empare rapidement du sujet et en profite pour affirmer son autorité : des officiers spéciaux, les forestiers royaux puis les grands maîtres des eaux et forêts, sont chargés d’appliquer les règlementations, qu’il s’agisse de punir les braconniers ou les paysans qui envoient leurs chèvres paître dans la forêt, de démolir des édifices illégaux construits dans la forêt ou de collecter les taxes.

Ill. 2 : Les bûcherons, tapisserie, atelier Jehan Grenier, 1400-1450, musée des Arts décoratifs, Paris.
Ill. 2 : Les bûcherons, tapisserie, atelier Jehan Grenier, 1400-1450, musée des Arts décoratifs, Paris.

En 1346, Philippe VI fait réaliser une grande enquête sur les forêts royales : le texte, fondateur, pose les bases d’une gestion durable du massif forestier, en affirmant que les forêts doivent être exploitées « afin que les dites forests se puissent perpétuellement soutenir en bon état », sous peine de causer « le detruisement de notre domaine ». Il s’agit donc bien d’une mesure écologique, au sens fort du terme, inscrite dans une perspective de développement durable. Des mesures très concrètes peuvent être étudiées avec les élèves : en 1402, une ordonnance royale interdit par exemple l’usage de la scie car l’outil est trop silencieux : impossible dès lors pour les forestiers royaux d’empêcher des coupes illégales de bois... Tandis que l’usage de la hache (on dit alors la « cognée »), plus bruyante, dessine un paysage sonore plus facilement contrôlable par les agents du pouvoir royal.

Citer cet article

Florian BESSON , «L’écologie est-elle née au Moyen Âge ?», Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 14/09/23 , consulté le 16/10/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22139

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Voix : Virginie Chaillou-Atrous

Conception et enregistrement : Euradionantes

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« Novembre : glandée » dans Recueil : calendrier et livre de prières, XIVe siècle. Bibliothèque municipale de Toulouse, Ms 144, fol. 6r.
« Novembre : glandée » dans Recueil : calendrier et livre de prières, XIVe siècle. Bibliothèque municipale de Toulouse, Ms 144, fol. 6r. Source : BnF/Gallica.
Jean-Baptiste-Camille Corot, Le Parc des lions à Port-Marly, 1872, huile sur toile, 81 x 65 cm, Museo Nacional Thyssen-Bornemisza. Source : Museo Nacional Thyssen-Bornemisza, Madrid.

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