Le livre : « une histoire de fouilles, une fouille dans l’histoire »
Archéologue, spécialiste de l’âge du fer et de la période gallo-romaine, Gérard Fercoq du Leslay présente dans cet ouvrage les résultats de plus de cinquante ans de fouille archéologique sur le sanctuaire celtique et gallo-romain de Ribemont-sur-Ancre, dans le département de la Somme. Ce site archéologique, très connu des archéologues et historiens, a été l’objet de nombreuses fouilles menées dès les années 1960 par les équipes d’Alain Ferdière (1966-1967), de Jean-Louis Cadoux et Jean-Luc Massy (1968-1987) et de Jean-Louis Brunaux (1990-2005). Les recherches menées à Ribemont-sur-Ancre ont contribué au profond renouveau des connaissances sur les religions des périodes celtique et romaine et permettent d’éclairer les processus d’intégration des « cités gauloises » au sein de l’Empire Romain au ier siècle av. J.C.
Le sanctuaire de Ribemont-sur-Ancre constitue certainement la pièce maîtresse du site archéologique. Construit à l’époque de la Tène moyenne (de -300 à -100 av. J.C.), il pourrait être, selon Jean-Louis Brunaux, un trophée monumental célébrant les victoires des Ambiens (peuple belge du nord de la Gaule) sur les premiers habitants. Ces derniers auraient alors érigé deux monuments commémorant leur victoire sur une superficie d'au moins trois hectares. Les fouilles ont livré les restes de plusieurs centaines d'individus, enterrés avec leurs armes, ayant trouvé la mort au cours d’un ou de plusieurs affrontements militaires. Les dépouilles ont connu un traitement rituel. Les os ont été placés dans des charniers (amas d’ossements humains), ou dans des ossuaires (constructions faites à partir d’os longs). Les crânes ont été soigneusement prélevés, dans ce qui semble être des décapitations rituelles, comme l’attestent les traces de découpe sur les ossements.
Dans les années 30 av. J.C. ; le site est réaménagé après la conquête de la Gaule, probablement par l'armée romaine. Le site comprend, à l'époque romaine, une vaste esplanade qui aurait pu être, selon les interprétations des archéologues et historiens, une aire de rassemblement à vocation politique ou juridique s'apparentant à un forum. Ribemont-sur-Ancre compte également les vestiges d’un théâtre pouvant atteindre 3000 places, de thermes, bâtiments publics, des quartiers d'habitation et des zones artisanales. Avec la romanisation au Ier siècle av. J.C., le site de Ribemont, connaît une évolution typique des anciens sites gaulois romanisés : le temple, les thermes, le théâtre et les nombreux édifices s’alignent tous sur un même axe de symétrie, au centre d’un vaste système de places bordées de bâtiments (Ill.1).
Le cours : saisir la romanisation sur les photographies aériennes
En Gaule romaine, la romanisation se traduit par l’adoption de la langue latine, de la culture et des mode vie romains. Dans le cas de Ribemont-sur-Ancre, ce processus se manifeste sous une forme matérielle, une monumentalisation, marquant le passage de structures principalement en bois à l’utilisation de la pierre.
À Ribemont-sur-Ancre, ce processus est directement visible du ciel. En effet, les photographies aériennes, très prisées des archéologues, permettent de saisir les traces laissées par les vestiges de bâtiments anciens, des traces révélées par la croissance différentielle des végétaux par les labours. Elles ont permis aux archéologues de distinguer les traces des fermes gauloises et celle des exploitations agricoles de l’époque romaine.
Dans l’ensemble de la Gaule, les « fermes indigènes » (Ill.2) se caractérisent en effet par des enclos fossoyés, parfois très irréguliers. Ces fermes gauloises sont, en règle générale, entourées de deux grands enclos (c’est le cas sur cette photographie aérienne) emboîtés l’un dans l’autre. Dans l'enclos interne se trouvent les bâtiments en bois et en terre qui constituaient la ferme proprement dite avec sa cour. Ces « lacis d'enclos » plus ou moins rectilignes, matérialisent l’existence d’anciens fossés, ici, sensiblement parallèles. Au caractère mixte de ces exploitations (agriculture et élevage), s'associent d'autres activités artisanales, parfois spécialisées (métallurgie, céramique, filage...).
À la différence de ces villas gauloises, les nouvelles exploitations agricoles gallo-romaines - les « villae » - présentent presque toutes un plan de masse à peu près identique de formes géométriques, rectangulaires parfois trapézoïdales avec des cours s’évasant, comme le montre cette photographie aérienne de la villa gallo-romaine d’Estrée-sur-Noye (Ill.3).
A : Première cour (pars urbana).
B : Habitation principale.
C : Deuxième cour (pars rustica).
D : Mur de clôture.
E : Petit édifice carré : portail de communication entre les deux cours.
F : Seconde habitation (probablement la demeure du régisseur).
G : Nombreuses dépendances s'ordonnant de part et d'autre de la cour.
Quelques constructions désordonnées sont repoussées à l'extérieur, probablement des ateliers nauséabonds et dangereux.
Cette villa, comme les autres, obéit à des règles architecturales basées sur la symétrie, accentuant l’impression de monumentalité ; elle est ici construite sur le rebord d’un plateau, orientée face au soleil levant, dominant toute la vallée de la Noye. La taille de ces villae est généralement comprise entre 200 et 300 mètres de longueur et sont systématiquement implantées sur les terres agricoles les plus riches. La conception monumentale de la villa, est ici symbole d’ostentation er de puissance. Ce sont ces grandes exploitations rurales qui permettent de fournir l'armée et la population des villes en denrées agricoles.