Les manifestations communistes sur la tombe de Louise Michel dans l’entre-deux-guerres

Après son inhumation au cimetière de Levallois-Perret en 1905, Louise Michel fait l’objet d’une première commémoration publique en 1921, orchestrée par le Parti Communiste qui vient d’être créé et cherche à établir une filiation avec les grandes figures révolutionnaires du xixe siècle.

Archive pour la classe

Les manifestations communistes sur la tombe de Louise Michel dans l’entre-deux-guerres

Statue de Louise Michel à Levallois-Perret (bronze d’Emile Derret, 1906),
Statue de Louise Michel à Levallois-Perret (bronze d’Emile Derret, 1906), Source : wikipedia.org
Ill.2, Les obsèques de Louise Michel à Paris le 22 janvier 1905
Ill.2, Les obsèques de Louise Michel à Paris le 22 janvier 1905, Source : commons.wikimedia
Sommaire

Contexte : Naissance d’une commémoration communiste

Après son décès le 9 janvier 1905 à Marseille, Louise Michel est inhumée au cimetière de Levallois-Perret, où elle a vécu et où sa mère est enterrée, le 22 janvier 1905. Son enterrement est l’occasion d’une grande manifestation parisienne qui accompagne le cercueil depuis la gare de Lyon jusqu’à Levallois-Perret (Ill. 2, Les obsèques de Louise Michel). Dans les années qui suivent, quelques militants seulement se réunissent sur la tombe de Louise Michel lors de discrètes commémorations. Au cours de l’une d’entre elles, en 1907, seule une vingtaine de personnes sont présentes selon le journal La Presse.

Il faut attendre la création du Parti communiste en 1921 pour que cette commémoration devienne une véritable célébration partisane. Après le Congrès de Tours (25-30 décembre 1920), le nouveau parti intègre Louise Michel au panthéon de ses grandes figures historiques et organise une manifestation annuelle en son hommage à partir de janvier 1921.

La commémoration de Louise Michel est l’une des rares manifestations communistes autorisées dans un contexte de forte répression des mouvements sociaux sous le gouvernement du « Bloc national » (1919-1924) qui rassemble une coalition parlementaire du centre et de la droite. Pour cette raison, l’hommage rendu à Louise Michel devient un rituel important pour les militants communistes qui manifestent publiquement leur filiation aux idéaux révolutionnaires de la fin du xixe siècle en réunissant quelques vétérans autour de l’Association fraternelle des anciens combattants et amis de la Commune. On peut lire le 5 février 1923 dans L’Humanité que « les yeux se mouillent lorsqu’un vieil ami de Louise Michel prononce quelques paroles émues, rappelant quelle femme d’élite elle fut ».

Les commémorations de la mort de Louise Michel sont directement liées aux différents enjeux politiques de l’entre-deux-guerres. En 1923, cette cérémonie est marquée par l’opposition à l’occupation française de la Ruhr. Marthe Bigot affirme dans L’Humanité que « les événements d’aujourd'hui ne sont pas très différents dans leur fond de ceux de 70-71 » (27 janvier 1923). En 1928, André Marty, Jacques Duclos, Marcel Cachin et Paul Vaillant-Couturier, accusés de propagande antimilitariste, sont arrêtés après la levée de leur immunité parlementaire. Quelques jours plus tard, l’hommage à Louise Michel offre la possibilité aux militants communistes de faire entendre leurs protestations en réclamant l’amnistie des dirigeants communistes. L’année suivante, le ministre de l’Intérieur, André Tardieu, interdit la manifestation à Levallois-Perret. Sa décision est justifiée par « le caractère commémoratif de la manifestation » qui ne nécessite « aucun cortège sur la voie publique », mais qui peut se limiter à un rassemblement « aux abords du cimetière, pour défiler ensuite devant la tombe de Louise Michel ». Les cortèges sont suspendus jusqu’en 1934 et à partir de 1937, la manifestation est organisée en commun par le Parti communiste et la SFIO pour matérialiser l’unité et la cohésion du Front populaire.

Archive : Photographie de la commémoration de Louise Michel par le Parti communiste en 1921

Ill.3, « Manifestation commémorative sur la tombe de Louise Michel (la tombe) »,1921, Agence Meurisse, source Gallica/BNF
Ill.3, « Manifestation commémorative sur la tombe de Louise Michel (la tombe) »,1921, Agence Meurisse, source Gallica/BNF

Cette photographie a été prise en janvier 1921 à l’occasion de la première manifestation communiste sur la tombe de Louise Michel. La gerbe de fleurs posée sur sa tombe est entourée d’un ruban sur lequel est inscrit le nom de l’Association des anciens combattants et amis de la Commune. Créée en 1881, cette société prend le nom de « La Fraternelle » (ou Société fraternelle des anciens combattants de la Commune) en 1889. Devenue association en 1901, elle ajoute « amis » dans son nom en 1914 car les anciens combattants sont de moins en moins nombreux dans ses rangs. Derrière la gerbe de fleurs se trouve le buste de Louise Michel. Sur le piédestal du buste, caché par les fleurs, on peut lire l’inscription : « À notre bonne Louise qui ne connut que la misère et la prison », inscription reprise à peu de mots près sur la statue en bronze réalisée par Émile Derré en 1906 (Ill.1, statue de Louise Michel à Levallois-Perret).

Ill.4 « La tombe de Louise Michel au cimetière de Levallois », 1921, agence Meurice Source Gallica/BNF
Ill.4 « La tombe de Louise Michel au cimetière de Levallois », 1921, agence Meurice. Source Gallica/BNF

Plusieurs orateurs prennent la parole lors de cet hommage à Louise Michel organisé par le PC. Si tous ont adhéré au Parti communiste, ils sont néanmoins issus d’horizons différents. Des représentantes de la revue La Voix des femmes, proches du Parti communiste mais issues de l’anarchisme, montent ainsi à la tribune : ce sont Nelly Roussel, Séverine et Madeleine Pelletier que l’on aperçoit sur la photographie, au deuxième rang à gauche. L’Humanité indique le passage dans le cortège de « La Voix des femmes, très applaudie, saluée par les cris de : « ‘Vive Louise Michel ! Vive Séverine !’ ». Plusieurs de ces personnalités seront progressivement mises au ban du parti. Au cours de l’année 1922, le parti crée son propre organe féministe, L’Ouvrière. La Voix des femmes n’est plus conviée aux commémorations de Louise Michel les années suivantes. En janvier 1923, après que Trotski décide que l’appartenance au PC n’est pas compatible avec certaines autres affiliations, Séverine est exclue pour son refus de quitter la Ligue des Droits de l’Homme.

La commémoration de Louise Michel marque donc la cohésion et la mise en visibilité de la communauté communiste. Georges Pioch, secrétaire fédéral du Parti Communiste de la Seine appelle chaque année toutes les sections à participer et à se rendre visibles : « Les sections sont priées de déléguer à cette commémoration le plus de représentants possibles et de charger l’un d’eux d’y porter le drapeau de la section. Il est demandé aux sections de n’organiser aucune réunion dans l’après-midi de dimanche prochain » (28 janvier 1921). Le journaliste du Petit Parisien souligne que les manifestants sont « rangés sous 100 bannières » (31 janvier 1921) et quelques années plus tard, L’Humanité remarque la « trentaine d’oriflammes des organisations révolutionnaires de la Région Parisienne » qui « claquent au vent » devant l’entrée du cimetière de Levallois-Perret (23 janvier 1928).

Ill.5, « La commémoration de Louise Michel », 4 février 1923, L’Humanité, source Gallica/BNF
Ill.5, « La commémoration de Louise Michel », 4 février 1923, L’Humanité, source Gallica/BNF

En 1923, l’appel à la commémoration de Louise Michel est publié dans L’Humanité (Ill.5), ce qui traduit la mainmise du Parti communiste sur la manifestation. L’article décrit un protocole qui restera inchangé d’année en année : les dates sont approximativement identiques (un dimanche de la fin janvier ou de début février, autour de la date-anniversaire de la mort de Louise Michel), le lieu demeure la tombe de Louise Michel au cimetière de Levallois-Perret (que l’on voit au centre des photographies ci-dessus), des gerbes et des couronnes d’immortelles rouges sont déposées, et des oratrices et orateurs se succèdent à la tribune. En 1923, on retrouve ainsi Marthe Bigot, l’une des fondatrices de l’organe féministe du Parti communiste, L’Ouvrière. Le rituel adopté par le cortège est toujours le même (drapeaux et insignes de toutes les organisations, églantines à la boutonnière, chants révolutionnaires, recueillement et poings levés). Les manifestants entonnent les chants communistes (L’Internationale, la Jeune Garde ou Hardi ! Camarades !), et les acclamations associent explicitement Louise Michel avec la Commune et la Révolution bolchévique : « Vive Louise ! Vive la Commune ! Vive Moscou ! » (L’Humanité, 1e février 1926).

Les groupes se succèdent dans le même ordre, et la composition du cortège est organisée en amont. Dans l’appel de 1923, L’Humanité indique l’ordre de marche : « musique, pupilles, anciens combattants de la Commune et amis de Louise Michel, section du Parti de Paris, banlieue, jeunesse, syndicats, A.R.A.C, groupes divers ». Chaque année, les jeunesses communistes sont parmi les premiers à entrer dans le cimetière et à se recueillir devant la tombe. La présence de la jeunesse à la commémoration est considérée comme une étape dans leur formation au sein du parti. Dès 1921, le groupe des Pupilles Communistes de Vanves est baptisé « Les Enfants de Louise Michel », et lors de la commémoration l’année suivante, la fédération communiste rappelle que « c’est le devoir des Pupilles communistes de participer à cette manifestation ». Le 6 février 1922, L’Humanité souligne ainsi la participation de « beaucoup d’enfants, coiffés du béret rouge, brodé aux armes de l’Internationale communiste ».

Enfin, l’ordre, le calme et la discipline des cortèges sont soulignés par L’Humanité. La dislocation des cortèges s’effectue « dans un calme impressionnant » (21 janvier 1924) ou « en un ordre parfait » (23 janvier 1928). Pour maintenir cet « ordre parfait », le parti organise un service d’ordre : ce sont les « hommes de confiance » nommés par les sections et les organisations, évoqués dans l’appel ci-dessus. Ce service d’ordre, convoqué dans la matinée pour se préparer, est notamment chargé de protéger le cortège des intrusions de la police. Les comptes rendus publiés dans L’Humanité dénoncent régulièrement les intimidations policières : « Le sang-froid, le calme, la dignité de nos camarades empêcheront, seuls, malgré la besogne stipendiée des agents provocateurs, des incidents et des bagarres » (2 février 1925).

Source

Manifestation commémorative sur la tombe de Louise Michel (la tombe), photographie de l’Agence Meurisse, 1921, source Gallica/BNF
 

La tombe de Louise Michel au cimetière de Levallois, 1921, photographie de l’agence Meurisse, source Gallica/BNF
 

Les obsèques de Louise Michel le 22 janvier 1905, source Wikimedia Commons
 

« La commémoration de Louise Michel », 4 février 1923, L’Humanité, source Gallica/BNF

Citer cet article

Sidonie Verhaeghe , « Les manifestations communistes sur la tombe de Louise Michel dans l’entre-deux-guerres », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 08/11/22 , consulté le 23/04/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22005

Bibliographie

Tartakowsky Danielle, Les manifestations de rue en France, 1918-1968, Paris, Éditions de la Sorbonne, 1997.

Verhaeghe, Sidonie, Vive Louise Michel ! Célébrité et postérité d’une figure anarchiste, Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant, 2021.

/sites/default/files/styles/opengraph/public/img-opengraph-doc/louise%20tombe.jpg?itok=Ob0n2E1D