Mise au point : déroulement et enjeux politiques du procès de « Louis Capet »
En 1789, rares sont les Français à envisager l’établissement d’une république dans leur pays, tant demeure fort l’attachement à Louis XVI, proclamé « restaurateur de la liberté française » par l’Assemblée nationale à l’issue de l’abolition des privilèges (4 août). La fuite du roi dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, interrompue à Varennes, puis le refus de Louis XVI de sévir contre les émigrés, les prêtres réfractaires et ses hésitations supposées dans la guerre déclarée à l’Autriche (avril 1792), rompent peu à peu le lien de confiance entre le pays et son roi. Le 10 août 1792, une insurrection contre le château des Tuileries, lieu de résidence du roi, conduit l’Assemblée législative (1791-1792), la deuxième assemblée révolutionnaire, à suspendre provisoirement Louis XVI et à convoquer une Convention nationale, destinée à se prononcer sur l’avenir du pays.
En décrétant l’abolition de la royauté dès sa première séance, le 21 septembre 1792, la Convention pose d’emblée la question du devenir de l’ancien monarque. Alors que la France est en guerre contre l’Autriche et la Prusse, que se développent des contre-révolutions intérieures, les 749 représentants de la nation sont partagés sur le sort à réserver au ci-devant Louis Capet.
À partir de novembre 1792, trois options sont examinées. De rares députés, tel Charles Morisson (1751-1817), refusent l’idée d’un procès au nom de la Constitution de 1791, qui reconnaît la personne du roi « inviolable et sacrée ». À l’autre extrémité de l’échiquier politique, Louis-Antoine Saint-Just (1767-1794), André Jeanbon Saint-André (1749-1813) ou Maximilien Robespierre (1758-1794) s’opposent également au procès, en soutenant cette fois que le roi a été condamné par le 10 août et que la légitimité de l’insurrection ne peut être contestée : « Remettre son jugement en question, explique Jeanbon Saint-André, ce serait faire le procès de la révolution, ce serait vous déclarer rebelles. » Le 3 décembre 1792, la majorité opte pour une troisième solution : un procès devant la Convention, qui siège dans la salle du Manège, en bordure du jardin des Tuileries. Pour les députés, il ne s’agit pas de juger un roi, mais un « ci-devant » roi, qu’ils appellent « Louis » ou « Louis Capet ».
Le procès proprement dit occupe le mois de décembre 1792 et les premières semaines de janvier 1793, sous le regard du public des tribunes. Devant la Convention, le 11 décembre, le roi répond aux différents points de l’acte d’accusation dressé contre lui ; quinze jours plus tard, l’homme de loi Raymond de Sèze (1748-1828) prononce la plaidoirie de la défense (Ill.1), préparée avec l’ancien député François-Denis Tronchet (1726-1806) et le magistrat Chrétien-Guillaume Malesherbes (1721-1794), les deux autres défenseurs de Louis XVI. Pendant plus de deux heures, de Sèze rappelle l’inviolabilité du roi jusqu’à l’été 1792, rejette l’idée de sa condamnation par l’insurrection du 10 août et nie toute trahison royale.
Du 15 au 17 janvier 1793, trois votes nominaux permettent à chaque député de se prononcer publiquement. Après avoir reconnu à l’unanimité la culpabilité de l’ancien roi, la Convention s’oppose à une demande de confirmation de la sentence par les citoyens réunis en assemblées primaires (une procédure nommée « appel au peuple »), puis se prononce à une majorité de 387 voix contre 334 pour la peine capitale. Comme 26 des 387 partisans de la mort ont demandé un quatrième appel nominal, sur un possible report de l’exécution, un dernier scrutin est organisé le 19 janvier, qui rejette le sursis par 380 voix sur 690 votants. La Convention a ainsi écarté les options du bannissement immédiat, de la réclusion, ou encore de la détention puis du bannissement à la paix, qui lui paraissaient devoir entretenir les divisions et affaiblir la république. Pour l’exécution de « Louis Capet », le 21 janvier 1793, la guillotine a été déplacée sur la plus grande des places royales de Paris, l’ancienne place Louis XV, devenue place de la Révolution (la Concorde).
Pendant le procès du roi, de part et d’autre d’un centre qualifié de « Plaine », les divisions se sont accentuées entre les députés de la Montagne et les brissotins qui, à la différence des montagnards, craignent l’influence des sans-culottes parisiens sur la représentation nationale et entendent juger les responsables des massacres des prisons de septembre 1792, perpétrés dans un climat de peur des Prussiens et des trahisons intérieures. Si la Montagne a voté la mort du ci-devant roi, les brissotins se sont divisés sur la peine (mort, mort avec sursis, incarcération jusqu’à la paix...), mais se sont entendus sur la nécessité de l’appel de la sanction au peuple ; leurs adversaires les qualifient « d’appelants » et leur reprochent d’avoir voulu sauver le roi. Les tensions entre Gironde et Montagne devaient encore s’accentuer dans les mois suivants et, entre juin et octobre 1793, plus d’une centaine de brissotins devaientêtre exclus de la Convention. Quant aux partisans de la monarchie, tel le marquis de Limon, auteur de La vie et le martyre de Louis XVI (1793), ils dénoncent un « régicide ».
Chaque camp exalte son héros ; au « roi-martyr », pour lequel Louis XVIII devait faire édifier une « chapelle expiatoire » sur le lieu de sépulture de son frère, s’oppose le « martyr de la liberté », Michel Lepeletier, assassiné pour avoir voté la mort du roi, auquel la Convention a accordé les honneurs du Panthéon.
Document : interrogatoire de « Louis Capet » devant la Convention (11 décembre 1792).
Le Président dit ensuite :
Louis, vous allez répondre aux questions que la Convention nationale me charge de vous faire.
Louis, le peuple français vous accuse d’avoir commis une multitude de crimes pour établir votre tyrannie, en détruisant sa liberté.
Vous avez, le 20 juin 1789, attenté à la souveraineté du peuple en suspendant les assemblées de ses représentants et en les repoussant par la violence du lieu de leurs séances. La preuve en est dans le procès-verbal dressé au jeu de Paume de Versailles par les membres de l’Assemblée constituante. Qu’avez-vous à répondre.
Réponse – Il n’y avait aucunes lois dans ce temps-là qui existassent sur cet objet. [...]
[Le Président –] Vous avez fait marcher une armée contre les citoyens de Paris. Vos satellites ont fait couler leur sang, et vous n’avez éloigné cette armée que lorsque la prise de la Bastille et l’insurrection générale vous ont appris que le peuple était victorieux. Les discours que vous avez tenus les 9, 12 et 14 juillet [1789] aux diverses députations de l’Assemblée constituante font connaître quelles étaient vos intentions ; et les massacres des Tuileries déposent contre vous. Qu’avez-vous à répondre ?
[Louis –] J’étais le maître de faire marcher les troupes comme je le voulais, dans ce temps-là ; jamais mon intention n’a été de faire répandre du sang. [...]
[Le Président –] [...] Après votre arrestation à Varennes, l’exercice du pouvoir exécutif fut un moment suspendu dans vos mains, et vous conspirâtes encore. Le 17 juillet [1791], le sang des citoyens fut versé au Champ-de-Mars. [...]
Vous avez paru accepter la constitution le 14 septembre [1791] ; vos discours annonçaient la volonté de la maintenir, et vous travailliez à la renverser, avant même qu’elle fût achevée. Qu’avez-vous à répondre ?
[Louis –] Ce qui s’est passé le 17 juillet ne peut, en aucune manière, me regarder ; pour le reste, je n’en ai aucune connaissance.
[Le Président –] Une convention avait été faite à Pillnitz, le 24 juillet [1791 – les historiens la datent des 25-27 août], entre Léopold d’Autriche et Frédéric-Guillaume de Brandebourg, qui s’étaient engagés à relever en France le trône de la monarchie absolue, et vous vous êtes tu sur cette convention jusqu’au moment où elle a été connue de l’Europe entière. Qu’avez-vous à répondre ?
[Louis –] Je l’ai fait connaître sitôt qu’elle est venue à ma connaissance ; au reste, c’est une affaire qui regarde, par la Constitution, les ministres. [...]
[Le Président –] L’intérieur de l’Etat était agité par des fanatiques ; vous vous en êtes déclaré le protecteur, en manifestant l’intention évidente de recouvrer par eux votre ancienne puissance. Qu’avez-vous à répondre ?
[Louis –] Je ne puis pas répondre à cela ; je n’ai aucune connaissance de ce projet-là.
[Le Président –] Le corps législatif avait rendu le 29 novembre [1791] un décret contre les prêtres factieux ; vous en avez suspendu l’exécution. Qu’avez-vous à répondre ?
[Louis –] La Constitution me laissait la sanction libre des décrets. [...]
(Procès-verbal de la Convention nationale, t. III, Paris, Imprimerie nationale, 1793, p. 178-188, passim). Consulter ici.
Éclairages : deux lectures opposées des années 1789-1792
Le 11 décembre 1792, c’est un ancien député à l’Assemblée constituante, Bertrand Barère (1755-1841), qui préside la Convention. Il est chargé de lire l’acte d’accusation dressé contre « Louis Capet », au nom de la nation, et de recueillir les réponses de l’ancien roi. En ouverture de son propos, les charges retenues contre le ci-devant monarque sont résumées d’une phrase : « Louis, le peuple français vous accuse d’avoir commis une multitude de crimes pour établir votre tyrannie, en détruisant sa liberté. » Les conventionnels reprochent à Louis XVI d’être resté fidèle à « l’ancien régime » renversé en 1789, assimilé à une tyrannie, au mépris de la liberté et de la souveraineté de la nation.
À la différence de la Révolution américaine, qui s’opère d’emblée par un rejet du roi d’Angleterre George III, la Révolution française a placé durant trois années Louis XVI à la tête du pouvoir exécutif. Pourtant, entre le printemps 1789 et l’été 1792, les choix politiques du roi ont maintes fois suscité le doute sur la sincérité de son ralliement au « nouveau régime ». Dans l’acte d’accusation sont ainsi évoqués tous les « crimes » supposés de Louis XVI depuis le 17 juin 1789, date à laquelle les députés du Tiers et quelques élus du clergé, en se proclamant « Assemblée nationale », ont théoriquement substitué la souveraineté de la nation à la souveraineté royale.
L’acte d’accusation procède ainsi à l’inventaire des actions présumées du roi et de ses ministres pour rétablir l’ordre ancien : les menaces des troupes sur Paris à l’approche du 14 juillet 1789, la fuite de Louis XVI jusqu’à Varennes (juin 1791), le massacre des pétitionnaires républicains du Champ-de-Mars (17 juillet 1791), une possible connivence avec les monarques d’Autriche et de Prusse (août 1791), le veto royal contre le décret du 29 novembre 1791 hostile aux prêtres réfractaires, etc. Ces décisions paraissent d’autant plus criminelles que, dès l’été 1789, elles suivent des engagements solennels du roi à respecter les vœux de la nation : le 17 juillet 1789 à l’hôtel de ville de Paris, le 14 juillet 1790 à l’occasion de la fête de la Fédération, le 4 septembre 1791 à l’Assemblée constituante, lorsque Louis XVI a solennellement prêté serment de fidélité à la Constitution.
Les questions de Bertrand Barère et les réponses du roi déchu révèlent deux lectures contradictoires des années 1789-1792. D’un côté, la Convention interprète cette période comme une lutte incessante pour l’affirmation de la liberté et de la souveraineté nationale, sans cesse entravée par le roi. De son côté, l’ancien monarque assure avoir toujours respecté la loi et se retranche derrière les pouvoirs qu’il considère avoir été les siens : pour justifier la fermeture de la salle des Menus Plaisirs où se réunissait le Tiers état à Versailles, le 20 juin 1789, puis la concentration de troupes autour de Paris, il assure que rien « dans ce temps-là » ne limitait son pouvoir absolu ; il affirme ensuite sa fidélité à la Constitution de 1791, et justifie par elle son usage du veto : « La constitution me laissait la sanction libre des décrets ».
Le système de défense adopté par l’ancien roi, qui est aussi celui de ses trois défenseurs, comprend également des dénégations (« Je n’en ai aucune connaissance ») et des rejets de responsabilité sur d’autres autorités, comme ses ministres, ainsi qu’une affirmation de son indéfectible attachement au peuple : « Jamais mon intention n’a été de faire répandre du sang. »