L’innovation agronomique au xixe siècle : le cas de la charrue Dombasle

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Le perfectionnement des charrues est une innovation majeure permettant des labours plus efficaces et, partant, des rendements plus importants. Avec son Mémoire sur la charrue publié en 1821 et la charrue sans avant-train qu’il a conçue, Mathieu de Dombasle propose une réflexion agronomique sur le travail du sol en général et le labour en particulier.

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L’innovation agronomique au xixe siècle : le cas de la charrue Dombasle

Labour avec une charrue de type Dombasle (1897), photographie de Roger Poux (Monteil)
Labour avec une charrue de type Dombasle (1897), photographie de Roger Poux (Monteil). Source : www.occitan-aveyron.fr
Sommaire

Contexte : Mathieu de Dombasle, un agronome innovant au XIXe siècle

Mathieu de Dombasle hérite d’une exploitation agricole sur le site de Brabois près de Nancy au début du xixe siècle. Dès 1809 il y cultive la betterave à sucre, profitant du Blocus continental avec le Royaume-Uni qui permet de vendre le sucre de betterave à un prix plus élevé. En 1814-1815, il est ruiné par le retour des sucres de cannes des Caraïbes qui provoque une baisse rapide et forte des prix du sucre. Il décide alors de se consacrer à l’étude du fonctionnement de la charrue. Cultivant la betterave il a déjà rencontré des difficultés lors des opérations de travail du sol et met au point à partir de 1816 une charrue sans avant-train permettant de réaliser un travail du sol efficace dans des argiles lourdes comme celles du plateau lorrain. 

Ce souci du travail du sol est un héritage direct des préceptes de l’agriculture nouvelle. En effet, dans le domaine des pratiques agricoles, Mathieu de Dombasle n’a rien inventé au sens propre : il s’appuie principalement sur l’héritage de l’agriculture nouvelle du xviiie siècle, définie par Duhamel de Monceau (1700-1782) dans son Traité de la culture des terres (1753-1761) : effectuer des labours nombreux, assurer une sélection rigoureuse des semences, semer en ligne, et, enfin, travailler le sol tout au long de la végétation. Le travail du sol est donc le « pivot » de cette « agriculture nouvelle » qui repose aussi sur la culture des légumineuses (pois, vesce…), des racines fourragères (betterave…) et des prairies artificielles (trèfle, sainfoin…) en substitution à la jachère dite morte. 

Mathieu de Dombasle a su faire reconnaître son mérite en « accrochant » son nom à ses innovations pour obtenir la reconnaissance de ses pairs, ce qu’il parvient à faire de manière très efficace, pour son temps, en créant un périodique professionnel, les Annales Agricoles de Roville et en éditant des brochures avec le prix des charrues fabriquées et vendues à RovilleIl apparaît ainsi comme l’inventeur de pratiques agricoles innovantes, en particulier de la charrue sans avant-train dénommée charrue « Dombasle », diffusée largement en France après 1820. Ce type nouveau de charrue est l’objet, en 1821, de ses Mémoires sur la charrue considérée principalement sous le rapport de la présence ou de l’absence de l’avant-train.

Archive : les dessins de la charrue sans avant-train par Mathieu de Dombasle  (1821)

Publié en 1821, le Mémoire sur la charrue est une réponse à une sollicitation de la société royale et centrale d’agriculture qui « a demandé à chaque concurrent un mémoire sur la théorie [de la charrue] en plus de l’instrument aratoire » (Mathieu de Dombasle, « Mémoires sur la charrue… », p. 3). L’accueil réservé à l’ouvrage est élogieux. Mathieu de Dombasle propose un instrument aratoire, alternatif aux charrues traditionnellement utilisées par les paysans lorrains. La principale originalité de ce nouveau modèle consiste dans la suppression de « l’avant-train » de la charrue (Ill.2), un petit char à deux roues dont sont munies certaines charrues et, parfois certains araires, et où la terre, surtout lorsqu’elle est argileuse, colle aux roues, fatigue les animaux de trait et ralentit fortement le travail de labour.

Ill.2. Dessin d’un avant-train de charrue, extrait du cours complet d’agriculture par Rozier de Lalause, 1784 (en ligne).

« L’épargne de la force » est l’idée centrale développée par Mathieu de Dombasle dans son Mémoire sur la charrue, c’est-à-dire la diminution de la force de traction qui permet de limiter le nombre d’animaux de trait. Mais en supprimant les roues pour économiser la force de traction, la charrue pique trop profond dans la terre et le labour devient impossible. Pour éviter que la charrue s’enfonce, Mathieu de Dombasle remplace les deux roues de l’avant-train par une pièce métallique disposée sur l’age de la charrue (longue pièce de bois qui structure la charrue et à laquelle les autres parties sont attachées, Ill.3, en rouge) et qu’il appelle justement un régulateur (Ill.3, entouré en vert). Cette nouvelle pièce permet à la charrue sans avant-train, bien réglée, d’effectuer des labours profonds et réguliers de 7 pouces, soit 19 cm, au lieu de 4 pouces habituellement avec une charrue à avant train. 

Ill. 3. Charrue sans avant-train, dans Mathieu de Dombasle, Annales Agricoles de Roville, tome 1, 1824, p. 409-410.

Pour accompagner son propos et le rendre plus clair et précis Mathieu de Dombasle publie dans son Mémoire sur la charrue une planche hors texte intitulée « Théorie de la charrue » (Ill.4) à travers laquelle il cherche « à analyser tous les effets qui peuvent être produits par la charrue, et à les rattacher à quelques propositions de dynamique déterminées… » (p. 8). En proposant à la fois l’instrument aratoire et son « guide théorique », l’agronome lorrain permet à ses pairs de confronter leurs observations de la charrue sans avant-train, lors des essais en plein champ, aux réflexions théoriques qui ont permis son élaboration.

Ill.4. « Mémoires sur la charrue considérée principalement sous le rapport de la présence ou de l’absence de l’avant-train », extrait des Mémoires de la Société Royale et Centrale d’agriculture, Paris, Mme Huzard, 1821, planche hors texte

Plus qu’un inventeur, Mathieu de Dombasle est un modernisateur. Il a conçu sa charrue en étudiant à la fois la charrue lorraine traditionnelle et des modèles anglais, dits swing plough, eux-mêmes élaborés dès les xiiie et xive siècles et déjà équipées d’un régulateur. 

En 1820-1821, lorsqu’il rédige son Mémoire sur la charrue, Mathieu de Dombasle traduit simultanément la Description des nouveaux instrumens d’agriculture les plus utiles de l’agronome prussien Albrecht Thaër (1752-1828) dont la première édition date de 1808 (1er éd.  sous le titre Beschreibung der nutzbarsten neuen ackergeräthe), un ouvrage dans lequel Thaër expose une approche raisonnée et systémique de l’agriculture avec une question centrale à laquelle il consacre près d’une dizaine de pages: comment limiter la force de traction lors du labour afin de préserver la force des animaux de trait et assurer un labour suffisamment profond et régulier ?

Thaër indique que « la ligne du tirage forme ainsi à peu-près [un] zigzag » (p. 22). Mathieu de Dombasle lui objecte alors que sa « démonstration théorique (…) ne [lui] paraît pas fondée ». Il poursuit en exposant sa propre hypothèse, celle de « la transmission de la force [qui] se fait en ligne droite », idée majeure exposée dans le Mémoire sur la charrue et qui prend la forme du régulateur (Ill.3)L’agronome lorrain réfute aussi la proposition d’assemblage des manches de la charrue que fait Thaër et discute également les réglages et l’inclinaison du coutre par rapport au sol (le coutre est une sorte de couteau, placé avant le soc et le versoir, qui tranche, verticalement, la bande de terre travaillée). 

Enfin, l’un des aspects les plus originaux du Mémoire de Mathieu de Dombasle correspond à son analyse du coût de l’attelage et de ses répercussions sur l’économie générale de l’exploitation agricole. Il démontre, chiffres à l’appui, que sa charrue sans avant-train permet de faire des économies de main-d’œuvre en employant seulement un seul valet de charrue pour guider la charrue tractée avec beaucoup moins d’animaux de trait puisqu’il ne faut que deux chevaux ou trois bœufs contre six à huit bêtes pour tirer une charrue avec avant-train. La large diffusion à l’échelle de l’Europe de la charrue Dombasle montre tout l’intérêt que de nombreux paysans ont trouvé à l’usage de cet outil que l’on peut qualifier d’innovant. 

Citer cet article

Fabien Knittel , « L’innovation agronomique au xixe siècle : le cas de la charrue Dombasle », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 20/05/24 , consulté le 13/12/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22326

Bibliographie

Bourrigaud, René, Sigaut, François (dir.), Nous labourons, Nantes, Centre d’histoire du travail, 2007.

Haudricourt, André Georges, Jean-Brunhes Delamare, Mariel, L’Homme et la charrue à travers le monde, Paris, Renaissance du Livre, 2000, 1er éd. 1955.

Knittel, Fabien, Agronomie et innovation. Le cas Mathieu de Dombasle (1777-1843), Nancy, Presses Universitaires de Nancy, coll. « Histoire des Institutions Scientifiques », 2009.

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