Calife et empereur byzantin : Pouvoir religieux et pouvoir politique

Aux ixe et xe siècles, l’empire byzantin comme le califat abbasside traversent une période de recomposition politique et idéologique. À Constantinople, la prise de pouvoir par l’empereur Basile Ier, qui fonde en 867 la dynastie macédonienne, met un terme à plus d’un siècle de divisions politico-religieuses autour du culte des images du Christ et des saints – la « querelle iconoclaste » (717-843). À Bagdad, le calife abbasside, chef suprême de l’Umma (la communauté des croyants musulmans), doit à l’inverse faire face à l’apparition de concurrents autour du bassin méditerranéen, qui prennent eux aussi le titre de calife. La dynastie shiite des Fatimides installe un califat en 909 en Ifrikiya (un territoire qui correspond aujourd’hui à la Tunisie, une partie de l’Algérie et de la Libye) puis en 973 au Caire après la conquête de l’Égypte. En Espagne, l’Omeyyade Abd al-Rahman se proclame à son tour calife à Cordoue en 929. Dans ce contexte, les liens entre pouvoir politique et pouvoir religieux connaissent d’importantes reconfigurations. Il s’agit ici d’en aborder trois aspects : la dimension sacrée du pouvoir politique, telle qu’elle se manifeste dans le cérémonial ; les tensions entre pouvoir politique et pouvoir religieux ; la place enfin des minorités religieuses au sein des empires byzantin et musulman.

Ill. 1 : Nomisma de Constantin VII Porphyrogénète (Xe siècle). L’avers (à gauche) représente le Christ tenant les Évangiles et porte la légende « Jésus Christ, roi des rois ». Sur le revers (à droite), Constantin VII et son fils Romain II tiennent une croix patriarcale (Musée Dobrée, Nantes).
Ill. 1 : Nomisma de Constantin VII Porphyrogénète (Xe siècle). L’avers (à gauche) représente le Christ tenant les Évangiles et porte la légende « Jésus Christ, roi des rois ». Sur le revers (à droite), Constantin VII et son fils Romain II tiennent une croix patriarcale (Musée Dobrée, Nantes). Source : journals.openedition.org
Ill. 2 : Dinar tulunide du IXe siècle, frappé par le gouverneur de l’Égypte Ahmad ibn Touloun au nom du calife abbasside. L’avers (à gauche) porte l’inscription « À Dieu, Muhammad Prophète de Dieu, Sanctionné par Dieu » et le revers (à droite) porte l’inscription « Il n’y a de Dieu que le seul Dieu qui n’a pas de partenaire autorisé par Dieu » (Musée d’art islamique du Caire).
Ill. 2 : Dinar tulunide du IXe siècle, frappé par le gouverneur de l’Égypte Ahmad ibn Touloun au nom du calife abbasside. L’avers (à gauche) porte l’inscription « À Dieu, Muhammad Prophète de Dieu, Sanctionné par Dieu » et le revers (à droite) porte l’inscription « Il n’y a de Dieu que le seul Dieu qui n’a pas de partenaire autorisé par Dieu » (Musée d’art islamique du Caire). Source : islamicart.museumwnf.org
Sommaire

Le pouvoir : image de Dieu sur terre

À Byzance, l’empereur, vicaire du Christ, tient son pouvoir directement de Dieu et le cérémonial byzantin met en scène ce caractère sacré du pouvoir impérial. Le lien direct entre le Christ-Roi et l’empereur est symbolisé, dans le Chrysotriklinos (la principale salle de réunion et de cérémonie du Palais de Constantinople à partir du viie siècle), par la position du trône de l’empereur devant la mosaïque du Christ. Dans le même temps, le souverain terrestre doit toutefois affirmer son humilité face au souverain divin. Sur les monnaies d’or (les nomismata) de Justinien II (685-711), l’effigie impériale est placée au revers alors que celle du Christ est au droit : l’empereur insiste ainsi sur le fait qu’il est au service du Christ, puisque la légende de la pièce en fait le Servus Christi (le serviteur du Christ). Au ixe siècle, Basile Ier (867-886) reprend ces codes en inscrivant sur ses monnaies l’expression Ièsous Christos Rex Regnantium, « Jésus Christ, roi des rois » (Ill. 1).

À cette légitimité religieuse, l’empereur byzantin articule toutefois une légitimité politique issue de l’Empire romain : son pouvoir est censé être délégué par la politeia (l’ensemble des citoyens de l’empire). Il lui faut donc maintenir un lien fort avec le peuple, même limité à celui de Constantinople, qui s’exprime là encore dans le cérémonial. À l’occasion de la proclamation du nouvel empereur, ce dernier est ainsi acclamé par l’armée, le Sénat et le peuple – triptyque typiquement romain – avant d’être couronné par le patriarche (le chef de l’Église, nommé par l’empereur). Le lien entre l’empereur et son peuple s’exprime ensuite régulièrement à l’Hippodrome ou lors des processions qui scandent l’année politique. Malgré les efforts des théoriciens byzantins du pouvoir pour diminuer ce rôle politique du peuple en mettant en avant la basileia (le pouvoir impérial) par opposition à la politeia, le peuple demeure garant d’une forme de légitimité, comme le rappellent les nombreuses émeutes populaires qui émaillent l’histoire byzantine.

Dans le califat abbasside également, les monnaies (Ill. 2) comme le cérémonial insistent sur le caractère divin du pouvoir. Les califes portent ainsi des laqab-s (des surnoms) en lien avec la divinité, comme al-Mahdi, « le bien guidé [par Dieu] » (775-785), ou al-Rashid « celui qui guide dans le droit [de Dieu] » (786-809). Ces laqab-s insistent sur le fait que, comme le Prophète et les Rashidun (les « Bien Guidés », les quatre premiers califes ayant succédé à Muhammad), les califes abbassides sont directement inspirés par Dieu. Les nombreux « miroirs au prince » (des traités de gouvernement) abandonnent certes progressivement, pour désigner le calife, le titre de khalifat Allah (vicaire de Dieu), trop associé à la dynastie omeyyade (661-750), et préfèrent utiliser celui de khalifat Rasul Allah (successeur du Prophète). Ainsi, ils peuvent insister sur la relation familiale qui lie désormais le calife à Muhammad : le calife abbasside descend en effet d’un oncle du Prophète. Lors des cérémonies palatiales, orchestrées par le hadjib (le chambellan), les Abbassides mettent enfin en avant des symboles liés au Prophète – comme la burda (manteau) et le qadib (bâton) – ou aux Rashidun – comme l’exemplaire du Coran attribué à Othman (644-656), le troisième calife.

Les califes abbassides insistent d’autant plus sur cette dimension sacrée de leur pouvoir que ce dernier est alors fragilisé. Avant même l’émergence au xe siècle des califats rivaux des Fatimides et des Omeyyades d’al-Andalus, ils sont ressortis affaiblis de la période 833-892 : établis à Samarra, les Abbassides y étaient devenus les otages des troupes turques qui n’avaient pas hésité à se débarrasser des califes récalcitrants (entre 861 et 870, 4 califes ont été rapidement éliminés). Le retour à Bagdad ne permet pas ensuite une restauration complète de l’autorité du calife, de plus en plus éloigné de l’Umma. Ainsi, al-Muqtadir (908-928) quitte rarement le palais, il ne mène plus l’armée, ni ne participe à la prière publique. Moins développé que dans l’Empire byzantin, le lien entre le peuple et le souverain n’est toutefois jamais absent. Ainsi, lors de la prière du vendredi, l’imam prononce la khutba, un prône politico-religieux qui rappelle le lien entre l’Umma – assistant à la prière – et le calife – dont le nom est alors prononcé par l’imam. Le serment de fidélité (la bay’a), prêté par l’entourage du calife (la khassa) lorsqu’il accède au pouvoir, est réitéré par les élites arabes et musulmanes provinciales devant les gouverneurs de provinces. En reprenant le nom du calife tous les vendredis, la khutba marque la reconnaissance de la souveraineté du calife par la Communauté. Cette pratique montre que le calife, au nom de son rapport privilégié avec le divin, reste bien le détenteur de la légitimité, même lorsque la réalité du pouvoir appartient au pouvoir locaux ou aux dynasties émirales. 

Chef politique et chef religieux

Ces deux dimensions du pouvoir, politique et religieuse, peuvent également se heurter l’une à l’autre. Dans le cas byzantin, l’imbrication du religieux et du politique dans la personne de l’empereur depuis le concile de Nicée de 325 fait que tout problème religieux se transforme en problème politique, et vice versa. Les tensions entre l’empereur et le patriarche de Constantinople, particulièrement marquées pendant la longue crise de l’Iconoclasme (717-843), se reflètent dans l’église Sainte-Sophie de Constantinople, principal théâtre de leur affrontement politique et symbolique. Depuis la construction financée au vie siècle par Justinien, l’empereur est, selon le droit byzantin, propriétaire de Sainte-Sophie : la mosaïque de la Porte Impériale illustre ainsi sa position de ktètor, fondateur et maître de l’édifice. D’autres parties de l’édifice reflètent toutefois la position de force dans laquelle se retrouve le patriarche à l’issue de la crise de l’Iconoclasme. La mosaïque de la Belle Porte montre ainsi Léon VI (886-912) s’humiliant devant le Christ à la suite de l’affaire dite de la Tétragamie – les quatre mariages de Léon VI, dont le patriarche a obtenu, après la mort de l’empereur, la condamnation par les successeurs de ce dernier. Cette mosaïque va jusqu’à affirmer que l’empereur a été dépossédé de son église et qu’il n’est plus désormais que l’invité du patriarche dans les cérémonies se déroulant dans Sainte-Sophie. Dans le même temps, les empereurs reprennent toutefois l’avantage dans la désignation du patriarche. En 933, l’empereur Romain Ier Lécapène (920-944) contourne ainsi les règles de nomination des patriarches de Constantinople pour placer son propre fils Théophylacte sur le trône patriarcal. Pour ce faire, il n’hésite pas à forcer la main du synode permanent qui jusqu’alors avait la prérogative de proposer trois candidats, puis d’élire parmi eux celui qu’avait désigné l’empereur.

En terre d’Islam, c’est entre les califes et les oulémas – les spécialistes de la loi, indissociablement théologiens et juristes – qu’apparaissent des tensions. Les oulémas avaient traditionnellement le monopole de l’interprétation des hadith-s (les traditions attribuées au Prophète), c’est-à-dire qu’ils étaient les seuls à définir le droit en se basant sur les paroles et les actions du Prophète. Au début du ixe siècle, le courant philosophique mu’tazilite – qui prétend concilier le rationalisme issu de la philosophie grecque avec l’Islam – permet toutefois l’élaboration d’une théorie politico-religieuse favorable à un rôle actif du calife dans la définition de la loi. Des califes puissants comme al-Mamûm (813-833) et al-Mu’tasim (833-842) apportent leur soutien à ce courant, mais les oulémas traditionnistes (juristes partisans d’une lecture stricte des hadiths) parviennent à l’emporter et à maintenir leurs prérogatives. 

Au cours du xe siècle, plusieurs innovations contribuent toutefois à renforcer le pouvoir du calife en matière de religion. En Égypte, les califes shiites de la dynastie fatimide (973-1171) insistent, au nom de leur appartenance à la Famille du Prophète, sur la notion d’imamat : en tant que descendants d’Ali (le gendre de Muhammad), ils auraient hérité d’un lien privilégié avec le divin et de la capacité d’interpréter le Coran. Ce rôle de gardiens du sens caché de la révélation leur confère une légitimité supplémentaire ainsi qu’une fonction de guides religieux et de juges infaillibles. Côté sunnite, les Abbassides ne tardent pas à reprendre à leur compte cette notion d’imamat. Ils récupèrent également l’innovation des madrasas (ou medersas), apparues sous la dynastie turque des Ghaznévides (qui règnent de 962 à 1187 sur un territoire correspondant aujourd’hui à l’Iran et à l’Afghanistan). Ces écoles coraniques, qui ne tardent pas à se multiplier dans l’ensemble du monde musulman, forment des juristes dans des fondations pieuses financées par le pouvoir ou par des proches du pouvoir. À partir du xie siècle, ces juristes se mettent au service des pouvoirs, rendant une justice tout à fait en accord avec les intérêts des détenteurs du pouvoir. Peu à peu, un consensus s’établit sur une répartition des tâches, rappelée par des textes comme les Statuts Gouvernementaux du juriste al-Mawardi (milieu du xie siècle) : les juristes définissent la loi et le calife doit appliquer et faire respecter la loi et le dogme. 

À partir d’une base doctrinale différente (substrat gréco-romain christianisé contre tradition bédouine islamisée) l’Empire byzantin et le califat abbasside définissent ainsi, chacun à leur manière, un équilibre entre le pouvoir politique et l’autorité religieuse. Les instances religieuses (patriarcat d’un côté, oulémas de l’autre) parviennent à délimiter une sphère religieuse où ils sont les seuls à légiférer, mais l’empereur comme le calife parviennent la plupart du temps à imposer leurs vues quand les enjeux politiques sont les plus forts.

Pouvoir politique et minorités religieuses

La difficile articulation des dimensions politique et religieuse du pouvoir transparaît enfin dans le statut des minorités religieuses. Il faut préciser tout d’abord qu’à l’époque médiévale, la notion de minorité est détachée de la situation démographique : les détenteurs du pouvoir, même lorsqu’ils sont numériquement minoritaires, ne sont pas conçus comme une « minorité », et lorsque l’on parle de « minorité religieuse », on désigne des populations ne partageant pas la religion du pouvoir, quel que soit leur poids démographique dans le territoire en question. Dans le monde musulman comme dans le monde byzantin, les sociétés médiévales marginalisent ces « minorités » qui refusent de rejoindre l’ummaislamiyya ou la politeia byzantine. Elle ne les exclut pas pour autant du champ de l’économie, de la société et même parfois de la politique. 

Dans le monde musulman, le pouvoir est souvent détenu par une minorité démographique qui, même lorsqu’elle ne partage pas la religion de la majorité, ne lance pas de politiques de conversion. Ainsi, en Espagne, les chrétiens sont encore très nombreux jusqu’au début du xie siècle. De même, le shiisme sous toutes ses formes théorise cette pratique du pouvoir par une minorité démographique : ainsi, la dynastie shiite des Buyides, au pouvoir à Bagdad de 945 à 1055, se contente de contrôler le pouvoir du calife sunnite sans jamais chercher à le remplacer. On retrouve cette pratique du pouvoir chez d’autres shiites duodécimains (qui croient en l’existence de douze imams), les Hamdanides d’Alep-Mossoul, de 890 à 1004. Les Fatimides, shiites septimains (qui croient en l’existence de sept imams) au pouvoir en Ifrikiya puis en Égypte, imposent pour leur part un califat shiite mais ne persécutent pas les sunnites, toujours majoritaires en Égypte. Les pouvoirs chrétiens n’agissent d’ailleurs pas différemment : en Sicile, les Normands, au pouvoir à partir de 1092, ne lancent pas de politique de conversion des musulmans, et il en va de même dans les États latins de Syrie-Palestine, fondés à la suite de la Première Croisade de 1095-1099.

En terre d’islam, la minorité religieuse est définie dans le droit avec le statut de dhimmî-s, les « protégés » du pouvoir. Ces « gens du Livre » – Juifs et chrétiens, mais aussi samaritains et zoroastriens – ne sont pas obligés de se convertir mais ils doivent reconnaître le pouvoir du calife et jouissent de moins de droits que les musulmans. Ainsi, ils n’ont pas le droit de construire de nouveaux édifices de culte et doivent porter des signes distinctifs comme un turban de couleur spécifique pour chaque religion. Ils n’ont ni le droit de monter à cheval, ni de porter d’armes. Enfin, ils doivent payer un impôt spécial de capitation (la jizya) et, s’ils sont propriétaires terriens, ils payent l’impôt foncier (le kharâj). Les livres de droit attribuent ces mesures au deuxième calife, ‘Umar, mais elles semblent en réalité postérieures : elles ne furent sans doute élaborées que dans le courant du viiie siècle et imposées par le pouvoir à partir du milieu du ixe siècle sous le califat d’al-Mutawakkil (847-861). Le règne de ce calife est d’ailleurs marqué par un retour provisoire à des mesures de discrimination à l’encontre des dhimmî-s en 850. Il impose le port d’insignes distinctifs ou le port d’un costume couleur miel. Plus symbolique encore, il ordonne la destruction des églises coptes en Égypte et il exclut les chrétiens de l’administration califale. Les conversions à l’Islam augmentent alors, mais de fortes minorités chrétiennes et juives se maintiennent toutefois en Égypte jusqu’au ixe siècle, et même en Irak-Iran, où le calife doit continuer à tolérer la présence des dhimmî-s. Les nestoriens, des chrétiens reconnus comme hérétiques depuis le concile d’Éphèse de 531, se retrouvent ainsi nombreux parmi les médecins et secrétaires présents à Bagdad dans l’entourage du calife, alors même qu’ils ont disparu dans l’Empire byzantin.

Dans l’Empire byzantin, les Juifs sont la seule minorité religieuse reconnue par la loi : l’empereur leur accorde le privilège de vivre sous deux lois, romaine et mosaïque. Ils sont autorisés à pratiquer leur religion, mais le service de l’État leur est interdit. Le caractère précaire de leur statut leur est par ailleurs régulièrement rappelé par les empereurs byzantins : certains d’entre eux, en mal de légitimité religieuse et politique, lancent ainsi des politiques de conversion forcée des Juifs. C’est le cas d’Héraclius (610-641), de Léon III (717-741) comme de Basile Ier (867-886). Tous trois utilisent cette politique pour parfaire leur image d’empereur orthodoxe. En mettant fin au statut spécifique des Juifs, ils permettraient le remplacement de l’ancien peuple élu par le nouveau peuple élu : les Byzantins. Basile Ier affirme ainsi que la fin de l’iconoclasme a restauré l’unité de l’Église et que la conversion des Juifs est la dernière étape de la mise en place d’une Église unique et unie. Ces mesures restent toutefois avant tout symboliques et ne sont liées à aucune persécution réelle, ce qui explique que la présence des Juifs se maintienne malgré tout dans l’Empire byzantin.

Sur la frontière orientale, l’attitude des empereurs est constante vis-à-vis des minorités chrétiennes hétérodoxes – c’est-à-dire les communautés arméniennes et jacobites de Syrie du Nord, séparées de l’Église orthodoxe depuis le ve-vie siècle. D’un côté, les élites passées au service de l’empereur comme chefs militaires ou à la tête de l’administration fiscale doivent se convertir et, peu à peu, les élites arméniennes abandonnent leurs spécificités religieuses et adoptent le credo d’un Christ parfaitement homme et parfaitement Dieu, adopté en 451 par le concile de Chalcédoine – il en va de même, quoique plus difficilement, pour les aristocrates jacobites monophysites (défendant la nature purement divine du Christ). De l’autre, la conversion n’est pas imposée systématiquement aux populations. Ainsi, lorsque la reconquête byzantine du xe siècle fait revenir dans l’empire de forts contingents de monophysites dans les régions allant de la Chaldée à Antioche en passant par Édesse ou les monts du Taurus, l’empereur refuse de céder aux demandes de l’Église de Constantinople, qui exigeait leur conversion. Le statut des minorités religieuses dans l’empire reflète ainsi le rapport de force entre l’empereur et le patriarche. C’est tout particulièrement le cas au xie siècle au sujet de la reconstitution d’un clergé jacobite en Syrie et dans la région du Taurus. Alors que, dans les années 1020, Basile II (963-1025) impose au patriarche une tolérance de fait et favorise l’implantation des communautés jacobites dans la région, Romain III (1028-1024), en difficulté face à l’Église, cède aux exigences ecclésiastiques et laisse l’Église condamner l’évêque jacobite – sans toutefois aller plus loin dans les persécutions. 

Quant aux musulmans des provinces frontalières orientales, la reconquête byzantine des années 850-1000 entraîne soit leur départ en exil et leur remplacement par des Arméniens et des Géorgiens, soit leur conversion (comme à Métilène en 934), soit leur mise en esclavage (comme pour les 20 000 musulmans capturés lors de la prise d’Antioche en 969). Une communauté musulmane se maintient en revanche à Constantinople, où elle est cantonnée dans le quartier de la Corne d’Or, et où les règles de la diplomatie autorisent les ambassadeurs musulmans à assister à l’office à Sainte-Sophie dans les tribunes (c’est par exemple le cas, en 946, des ambassadeurs de l’émir de Tarse). 

Citer cet article

Eric Limousin , « Calife et empereur byzantin : Pouvoir religieux et pouvoir politique », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 26/11/24 , consulté le 19/02/2025. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22489

Bibliographie

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