1664, Colbert crée la Compagnie royale des Indes

Inspiré par la pensée mercantiliste, Jean-Baptiste Colbert, contrôleur général des Finances de Louis XIV, crée en 1664 la Compagnie royale des Indes orientales qui doit rivaliser avec les puissances maritimes européennes. Mais les différents obstacles financiers et militaires rencontrés par la Compagnie ralentissent considérablement l’installation des Français dans l’océan Indien.

Le cours

L’Opuscule de Charpentier (1665)

Ill. 1 : Le port de Lorient à la fin du XVIIIe siècle. Copie réalisée par Pierre-Louis Ganne (1906-1982) en 1965 d'un tableau de Jean-François Hue datant la fin du XVIIIe siècle (huile sur toile 117 x 176 cm. Musée Port Louis, Bretagne, France). La ville de Lorient est née des chantiers de la Compagnie des Indes, créés ex nihilo, en 1666, sur la lande du Faouëdic, entre le Scorff et le Blavet.
Ill. 1 : Le port de Lorient à la fin du XVIIIe siècle. Copie réalisée par Pierre-Louis Ganne (1906-1982) en 1965 d'un tableau de Jean-François Hue datant la fin du XVIIIe siècle (huile sur toile 117 x 176 cm. Musée Port Louis, Bretagne, France). La ville de Lorient est née des chantiers de la Compagnie des Indes, créés ex nihilo, en 1666, sur la lande du Faouëdic, entre le Scorff et le Blavet. Source : Wikipedia
Ill.2 : Armoiries de la Compagnie royale des Indes orientales. Au centre se trouve un écusson avec un lys d’or (symbole de la monarchie française) sur fond d’azur avec la devise Florebo quocumque ferar (je fleurirai partout où je serai porté). L’écusson est encadré d’une branche de palme, symbole d’abondance et d’une branche d’olivier, symbole de paix.(
Ill.2 : Armoiries de la Compagnie royale des Indes orientales. Au centre se trouve un écusson avec un lys d’or (symbole de la monarchie française) sur fond d’azur avec la devise Florebo quocumque ferar (je fleurirai partout où je serai porté). L’écusson est encadré d’une branche de palme, symbole d’abondance et d’une branche d’olivier, symbole de paix. Source : Wikipedia
Sommaire

Mise au point : 1664, création de la Compagnie des Indes

Jean-Baptiste Colbert, contrôleur général des Finances de Louis XIV, s’inscrit dans un courant de pensée, le mercantilisme, selon lequel la puissance d’un État dépend directement de la quantité de métaux précieux (or et argent) qu’il possède, car c’est elle, en dernier ressort, qui permet de financer les armées et de mener les guerres en Europe. Pour obtenir cette quantité de métaux précieux, Colbert juge nécessaire de rééquilibrer la balance du commerce extérieur : le royaume de France doit vendre davantage de produits à ses voisins européens qu’il ne leur en achète. Il préconise, pour cette raison, de créer de grandes manufactures dans le royaume et d’acheminer directement certains produits de luxe (épices, textiles) sans les acheter aux autres compagnies européennes.

Pour atteindre cet objectif, le royaume de France doit rivaliser avec les grandes puissances maritimes européennes (Portugal, Provinces-Unies, Angleterre), leurs compagnies de commerce, leurs flottes et leurs nombreux comptoirs, routes et escales qui leur permettent d’acheminer en Europe les épices (cannelle, poivre, muscade), les textiles (soie, cotonnades), les porcelaines et les bois de teinture. Parmi ces compagnies de commerce, la VOC (Compagnie unie des Indes orientales, Provinces-Unies) est alors l’une des compagnies de commerce les plus puissantes au xviie siècle dont le succès inspire la création des compagnies de commerce en France.

Entre 1665 et 1675, Colbert encourage la création de plusieurs compagnies de commerce (Compagnie du levant et Compagnie des Indes), dites « compagnies à monopole ». Les compagnies à monopole sont dotées par le pouvoir royal d’un privilège exclusif qui couvre un territoire donné (aucun autre vaisseau sous pavillon français n’a le droit, par exemple, de faire du commerce dans l’océan Indien) mais également la route maritime empruntée (aucun autre vaisseau que ceux de la Compagnie n’a le droit d’emprunter la route des Indes). Ces compagnies reçoivent également l’exclusivité du commerce sur certains produits et disposent également de droits régaliens (justice, police) délégués par le pouvoir royal. Les souscripteurs achètent des parts (ou actions) et se réunissent lors des grandes assemblées d’actionnaires qui orientent les décisions commerciales prises par la compagnie.

« Compagnie à monopole », la Compagnie royale des Indes orientales créée en 1664 doit assurer le développement du commerce avec l’Asie, une région pour laquelle Jean-Baptiste Colbert nourrit une véritable fascination. Il est vrai que l’Orient (la Gallia Orientalis) est alors considéré en France comme un territoire aux ressources extraordinaires dont les dirigeants de la compagnie entendent tirer le même parti que les commerçants hollandais de la VOC. Pour Colbert, la création des compagnies à monopole doit permettre au royaume de France d’intégrer « l’économie-monde » du xviie siècle (Fernand Braudel), cet espace économique animé par l’Europe du Nord (avec pour centre Amsterdam) qui met en relation de vastes territoires au-delà des frontières terrestres et maritimes des empires et royaumes.

Le ministre parvient à convaincre Louis XIV qui, en bon terrien, ne nourrit pas un grand intérêt pour la question maritime mais se montre sensible à la visée géopolitique de l’entreprise, rendue possible par la création de places fortes ultramarines sur la route des Indes et dans l’océan Indien. Le roi publie, en août 1664, les lettres patentes créant la Compagnie royale des Indes orientales et lui attribue armoiries et statuts qui attestent de son identité royale (Ill.2, armoiries de la Compagnie royale des Indes). Pour assurer le bon fonctionnement de la Compagnie, Colbert constitue une flotte en achetant une quinzaine de navires au roi et à quelques armateurs, avant de lancer la construction de bâtiments neufs au Havre puis à Lorient (Ill.1, Le port de Lorient). L’armée royale est chargée de définir un plan d’occupation de Madagascar, point d’accroche de la présence française dans l’océan Indien. 

Entre 1665 et 1666, quatorze vaisseaux quittent la France pour rejoindre Madagascar, avec à leur bord, les premiers directeurs généraux de la Compagnie, un ancien consul, un directeur hollandais débauché à la VOC, quelques négociants aguerris et curieux, des généraux proches de l’entourage du roi, une cohorte de petits commis, marchands en devenir et quelques aventuriers en quête d’ailleurs.

La Compagnie des Indes orientales n’est pas une compagnie marchande comme les autres. À la différence des compagnies anglaise et hollandaise, elle a été conçue sur l’initiative du pouvoir royal et non par la volonté des marchands. Or, l’adhésion des marchands français à cette entreprise dirigée par le pouvoir royal est loin d’être gagnée. Il faut donc convaincre ces derniers d’investir leurs capitaux dans la Compagnie des Indes pour compléter les souscriptions du roi et de la cour. Le ministre demande alors à Antoine Charpentier, membre de l’Académie Française depuis 1650, de publier un opuscule « anonyme » destiné à rassembler un capital de six millions de livres

Document : L’Opuscule de Charpentier (1665)

Adresse à tous les Français.

Il est de la grandeur d’un État que ses peuples s’appliquent aux exercices militaires, pour résister aux entreprises des étrangers, il n’est pas moins de son utilité qu’ils s’adonnent au commerce, pour aller chercher dans les parties du Monde les plus éloignées, ce qui peut contribuer au bonheur et à l’ornement de leur pays […]. Il manque quelque chose à la prospérité d’un grand royaume, quand le commerce n’y fleurit pas à l’égal des autres professions, et quand les particuliers par une mollesse dangereuse, négligent la plus noble manière de s’exercer et le plus légitime moyen de s’enrichir. […]

Or de tous les commerces qui se font dans toutes les parties du Monde, il n’y en a pas de plus riche ni de plus considérable que celui des Indes Orientales. […] C’est de là qu’on tire l’or et les pierreries, c’est de là que viennent ces marchandises si renommées et d’un débit si assuré : la soie, la cannelle, le poivre, le gingembre, la muscade, les toiles de coton, la ouate, la porcelaine, les bois qui servent à toutes les teintures, l’ivoire, l’encens, le bézoard, et mille autres commodités auxquels les hommes étant accoutumés, il est impossible qu’ils s’en passent […].

Pourquoi, faudrait-il que les Portugais, les Hollandais, les Anglais, les Danois allassent tous les jours dans les Indes Orientales, y possédassent des magasins et des forteresses, et que les Français n’y eussent jamais ni l’un ni l’autre ? […]

Ne serait-ce pas une honte que nous n’osassions entreprendre avec assurances ce que d’autres ont entrepris dans le doute ? […].

Les Portugais auront éternellement celle d’avoir découvert ces fameuses provinces de l’Orient. […]

C’est de cette même navigation et de ce même trafic que les Hollandais […] ont tiré de quoi se faire craindre d’eux, et de quoi les contraindre à leur accorder une paix glorieuse* […]. Les Anglais s’avisèrent du même dessein presque en même temps et formèrent aussi une Compagnie à Londres. Pour y parvenir donc, il faut faire un fond de six millions […].

Unissez-vous donc généreux Français, unissez pour vous ouvrir une route glorieuse qui ne vous a été fermée jusqu’à présent que par les malheurs passés de l’État. Une route qui vous conduira à des biens innombrables et qui se multiplieront encore entre les mains de vos enfants. Une route, enfin, par laquelle vous porterez la terreur de vos armes dans les parties du monde qui nous sont encore inconnues. Bannissez désormais de vos esprits ces soupçons injustes et qui sont si éloignés de la courageuse confiance que vous avez ordinairement en vous-mêmes. Naviguez hardiment sous le pavillon de l’Auguste et de l’Invincible Louis, et soyez assurés, que comme vous n’avez rien à redouter de la part des autres nations, à qui la Majesté de son nom imprime le respect et la crainte, vous avez tout à espérer de sa protection, de sa bonté, de sa magnificence.

* L’auteur fait ici référence à la paix « glorieuse » signée par Guillaume II avec l’Espagne en janvier 1648, après plus de quatre-vingts ans de guerre. C’est précisément pendant cette guerre, que les Provinces-Unies se sont organisées, ont créé leur compagnie des Indes et bâti l’empire « colonial », qui leur a permis de s’affirmer économiquement, d’apparaitre comme une puissance européenne autonome et obtenir leur indépendance en 1648.

Discours d’un fidèle sujet du roi, touchant l’établissement d’une Compagnie française pour le commerce des Indes Orientales, Paris, 1665 (Bibliothèque nationale de France, département Arsenal, 4-S-878)

Éclairages : grandeurs et illusions de la ruée vers l’Orient

Au xvie et xviie siècle, l’océan Indien est l’objet d’une littérature de voyage très appréciée dans les salons de l’aristocratie. Cette littérature suggère un climat favorable, une végétation luxuriante, une profusion de vivres, un air sain, des populations dociles, des matériaux précieux et des épices rares. Aussi, Charpentier ne surprend pas ses lecteurs lorsqu’il affirme que « De tous les commerces qui se font dans toutes les parties du Monde, il n’y en a pas de plus riche ni de plus considérable que celui des Indes Orientales ».

Portugais, hollandais et anglais ont déjà pris la route des Indes depuis une quarantaine d’années et sont établis dans des lieux encore très circonscrits (loges et comptoirs, parfois fortifiés) qui restent sous la domination des souverains indiens. En Asie du Sud Est, la puissante compagnie unie des Indes orientales (VOC), dirigée depuis Batavia, apparaît comme un modèle à suivre. Comme les Portugais l’avaient fait au xvie siècle, la Hollande a déjà soumis une partie des territoires, du Cap à Java en passant par les Moluques. Les Anglais, dans le sillage hollandais, tentent de s’implanter dans l’océan Indien avec moins de succès au xviie siècle. Cette domination des puissances maritimes européennes est un argument pour Charpentier qui appelle les Français à s’aligner sur leurs voisins européens (« Pourquoi, faudrait-il que les Portugais, les Hollandais, les Anglais, les Danois allassent tous les jours dans les Indes Orientales, y possédassent des magasins et des forteresses, et que les Français n’y eussent jamais ni l’un ni l’autre ? »).

Mais la communauté marchande ne répond pas avec l’enthousiasme qu’espérait le ministre. La compagnie est en effet bien trop « royale » pour motiver les marchands à réunir leurs capitaux et leur savoir-faire. Si, en France, « le commerce n’y fleurit pas à l’égal des autres professions », c’est essentiellement parce qu’il est peu considéré et souvent entravé par le pouvoir royal. Le ministre des finances peine donc à rassembler le « fond de six millions » de livres, une somme qui ne saurait à elle seule rattraper quarante années de retard. Car le projet commercial français est mal préparé : les épices sont déjà aux mains des autres puissances européennes, les navires ne disposent d’aucune escale et la connaissance cartographique, politique, culturelle et climatique de l’Asie est encore superficielle en France.

En outre, l’installation des Européens en Orient s’est faite aux termes de négociations et d’affrontements qui nécessitent des moyens militaires et financiers dont la Compagnie ne dispose pas encore. En 1668, Le fiasco de l’expédition malgache est une rude leçon pour les Français. Rejetés par les populations locales, affaiblis par la pénibilité du climat et la violence des chocs viraux, les équipages qui accostent chaque année à Madagascar ne parviennent pas à ancrer durablement la présence française sur l’île. Dès 1668, les Français mettent le cap sur la péninsule indienne sans y porter réellement « la terreur de [leurs] armes ». Ils débarquent en effet dans une région déjà soumise aux nombreuses rivalités européennes. Charpentier a beau promettre qu’il n’y a « rien à redouter de la part des autres nations », celles-ci freinent les desseins de la Compagnie des Indes orientales à chaque fois qu’un conflit éclate en Europe.

En 1672, la guerre de Hollande empêche les premières installations françaises à Ceylan. La guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697) contraint les Français à céder Pondichéry aux Hollandais en 1693. Enfin la guerre de Succession d’Espagne (1701-1713) porte le coup de grâce financier à la Compagnie, déjà très endettée. En 1706, la Compagnie doit céder une partie de son monopole à un groupe de marchands malouins qui l’exploitent jusqu’en 1719 avant que celle-ci ne soit rachetée par le banquier et spéculateur John Law (1671-1729) avec les compagnies de Chine et d’Occident. John Law réorganise le financement de ces compagnies par la vente d’action, un système qui perdure après la faillite du banquier en 1721.

A posteriori, les déboires de la première Compagnie des Indes auront servi de leçon aux prospères compagnies françaises du xviiie siècle qui ont su mettre en place des rotations maritimes éprouvées, former un personnel compétent, installer plusieurs comptoirs généraux et disposer de circuits de financements plus efficaces.

Citer cet article

Marie Menard-jacob , « 1664, Colbert crée la Compagnie royale des Indes », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 01/09/22 , consulté le 19/04/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/21927

Bibliographie

Sottas Jules, Histoire de la Compagnie Royale des Indes Orientales, 1664-1719, La Découvrance, 1994 (réédition de 1905)

Menard-Jacob Marine, La première Compagnie des Indes, Presses universitaires de Rennes, 2016

Estienne René (sous la dir.), Les Compagnies des Indes, Gallimard, 2013

Verge-Franceschi, Michel Colbert, la politique du bon sens, Biographie Payot, 2003

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