Cartes et plans du comptoir de Pondichéry (xviie-xviiie siècle)

Au xviie siècle, la Compagnie des Indes orientales cherche à implanter durablement ses comptoirs dans l’océan Indien. Après de nombreux échecs, les Français installent un comptoir à Pondichéry à partir de 1674. Les cartes et plans de Pondichéry permettent d’observer le développement de ce comptoir, à la fois port, ville et forteresse, avant son déclin dans la seconde moitié du xviiie siècle.

Archive pour la classe

Cartes et plans du comptoir de Pondichéry (xviie-xviiie siècle)

Carte de l’Inde par l’Académie royale des sciences (1714)  Pondichéry se trouve dans le cercle rouge
Carte de l’Inde par l’Académie royale des sciences (1714) Pondichéry se trouve dans le cercle rouge. Source : Gallica
Sommaire

Contexte : de Madagascar à Pondichéry, la difficile installation des Français dans l’océan Indien (1668-1674)

L’impossibilité de s’installer durablement à Madagascar conduit les agents de la Compagnie des Indes orientales à se rabattre, dès 1668, au nord de la côte de Malabar (sud-ouest de la péninsule indienne), dans la ville de Surate. Cette ville maritime et cosmopolite accueille alors l’ensemble des compagnies européennes. Les Français y installent un magasin et amarrent leurs bateaux dans la rade de Sualy où mouillent navires européens et orientaux. Mais ils ne peuvent prétendre à l’exclusivité du commerce et cherchent à établir un nouveau comptoir dans un territoire encore vierge de toute présence européenne.

Ceylan (actuel Sri Lanka) est choisi comme nouveau point d’ancrage de la présence française dans l’océan Indien. Son littoral, particulièrement la baie de Cotiary, au nord-est de l’île offre des conditions idéales pour installer un « comptoir général », à la fois magasin principal des marchandises destinées à l’Europe et centre administratif pour les directeurs de la Compagnie. L’installation de ce comptoir à Ceylan doit permettre d’établir une liaison maritime régulière avec les différents points d’acheminement des marchandises dans la région, de la côte de Malabar à l’île de Java. En outre, Ceylan produit la cannelle, épice extrêmement prisée, dont les Français pensent négocier l’exclusivité auprès du souverain local, le « roi de Kandy », Keerthi Sri Rajasinghe II.

À cette fin, une lourde escadre quitte Surate pour Ceylan en mars 1672. Mais l’entreprise se transforme rapidement en échec : les travaux de fortification engloutissent hommes et moyens. La guerre de Hollande (1672-1678), opposant la France aux Provinces-Unies, conduit au blocus maritime du matériel et des vivres destinés au comptoir. Le roi de Kandy, sous l’influence des Hollandais, retarde les pourparlers et le ravitaillement en eau, matériaux et vivres pour les équipages français.

En juillet 1672, les derniers Français sont littéralement chassés de l’île de Ceylan par les Hollandais avec l’assentiment silencieux du souverain local, Rajasinghe II. Le reste de la flotte royale se réfugie à San Thomé (ou Méliapour) que le général français et très orgueilleux Jacob Blanquet de la Haye tente de conquérir par la force. Les conséquences de cette bravade sont catastrophiques : dès septembre 1672, les Français se trouvent assiégés par les Mores (Indiens de confession musulmane du royaume de Golconde) et menacés par les navires hollandais. Une fois encore, les Provinces-Unies sont parvenues à rallier le souverain local contre la présence française. Après deux années d’affrontement contre les populations indiennes et les forces hollandaises, la ville est perdue par les Français en 1674.

À cette date, les Français sont vaincus et leur flotte décimée. Humiliés par l’enchaînement des débâcles, ils sont indésirables partout. La Compagnie, dix ans après sa création, ne possède toujours pas de comptoir général et reste privée d’abri portuaire pour ses navires. Marchands et commis se réfugient dans le petit village de Pondichéry. En 1672, le seigneur local Chir Khan Loudy avait proposé à un officier français, Bellanger de Lespinay, de s’installer dans ce petit village à côté de San Thomé.

Archive : le plan de Pondichéry par Nicolas de Fer (1704)

Nicolas de Fer, (1647 ? - 1720). Plan de Pondichéry à la cote de Coromandel occupé par la Compagnie royale des Indes orientales / mis au jour par N. de Fer. 1704.
Nicolas de Fer, (1647 ? - 1720). Plan de Pondichéry à la cote de Coromandel occupé par la Compagnie royale des Indes orientales / mis au jour par N. de Fer. 1704. Source Gallica

Ce plan de la ville de Pondichéry est dessiné en 1704 par Nicolas de Fer, graveur et cartographe en titre du roi de 1687 à 1720. Ce plan permet de comprendre comment Pondichéry est devenue une place d’envergure, à la fois commerciale, urbaine et militaire pour la Compagnie des Indes.

En janvier 1674, les Français se réfugient dans le petit village de Pondichéry. François Martin, futur gouverneur général de Pondichéry, s’y installe et obtient du gouverneur indien Chir Khan Loudy de protéger la « loge », une maison qui sert de magasin au rez-de-chaussée et abrite les agents à l’étage. Cette loge se trouvait à l’intérieur du rectangle noté « A » sur le plan de Nicolas de Fer (voir extrait du plan ci-dessous).

Extrait du plan de Pondichéry par Nicolas de fer (1704)
Extrait du plan de Pondichéry par Nicolas de fer (1704)

Durant les dix années qui séparent la fin de la Guerre de Hollande (1672-1678) et la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), les Français installent leurs magasins (principalement de textile), et construisent une église et des habitations autour de la loge. Mais en 1688, le retour de la guerre en Europe (guerre de Ligue d’Augsbourg), notamment contre les Provinces-Unies, les contraint à fortifier l’Ouest (côté terre) ainsi que le Sud (vers la gauche sur la carte). C’est la naissance du fort « barlong ». François Martin fait ériger un bâtiment défensif en forme de quadrilatère irrégulier dont l’un des côtés est plus long que les autres (rectangle autour du point A sur le plan). Ce barlong rassemblait derrière ses fortifications les maisons du directeur et de certains agents de la Compagnie et des officiers royaux. Il est le symbole de l’installation durable des Français à Pondichéry, car c’est à partir de cette fortification inachevée que sera ensuite érigée la citadelle.

Mais la protection assurée par le fort barlong n’est pas suffisante pour contrer les troupes hollandaises qui s’emparent de Pondichéry le 6 septembre 1693 avec le soutien du souverain mahratte Ram Rajah. À partir de cette date et jusqu’en 1699, les Hollandais construisent une ville selon un plan en damier (voir extrait du plan ci-dessous) sur le modèle d’autres villes coloniales comme Batavia, étendant Pondichéry au nord et à l’ouest au-delà de la rivière. Cette ville nouvelle est alors destinée à accueillir les populations locales et les artisans indiens.

Extrait du plan de Pondichéry par Nicolas de fer (1704)
Extrait du plan de Pondichéry par Nicolas de fer (1704)

Lorsqu’au terme de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (paix de Ryswick en 1699), les Français récupèrent Pondichéry, ils décident d’en consolider la défense par la construction du Fort-Louis en lieu et place du fort barlong. En juillet 1701, l’ingénieur Denis de Nyon, débarque à Pondichéry et travaille immédiatement à la construction de ce nouveau fort qu’il dessine sur le modèle de la forteresse de Tournai construite par Vauban. Il ambitionne de construire une forteresse en forme d’étoile qui alterne bastions (polygones en saillie) et courtines (murs de fortifications rectilignes qui relient les bastions entre eux), le tout entouré et protégé par des remparts en demi-lune.

Le bastion de l’ouest est achevé en 1702, ceux du sud et nord en 1703. On les distingue clairement sur le plan de 1704. La partie est (face à la mer) n’est terminée qu’en 1709. Il faut observer un plan ultérieur, dessiné en 1748, pour observer l’élargissement du fort, sa forme en étoile par la construction des deux bastions de l’est face à la mer qui achèvent le projet initial. On devine également sur le plan de 1748 le magasin principal de la Compagnie, très en avant sur le littoral (les petits rectangles les plus proches de la mer) ce comptoir général tant espéré qu’il aura fallu une génération pour bâtir. 

Plan de la ville de Pondichéry, dédié à la mémoire de M. Dupleix, qui la défendit en 1748 contre l'amiral Boscawen, 1748
Plan de la ville de Pondichéry, dédié à la mémoire de M. Dupleix, qui la défendit en 1748 contre l'amiral Boscawen, 1748. Source Gallica

Au xviiie siècle, Pondichéry devient l’un des principaux comptoirs de la Compagnie des Indes orientales qui prend un nouvel essor financier à partir des années 1720. La ville est organisée autour des activités portuaires de la Compagnie et accueille un grand nombre de travailleurs indiens. Mixité, cosmopolitisme et ségrégation par quartier font de Pondichéry un modèle de ville portuaire et colonial. Les Français installent progressivement leurs habitations de chaque côté du Fort Louis dans une ville où se croisent désormais hommes d’épée et de plume, familles françaises et mixtes (franco-indienne ou franco-portugaise), ecclésiastiques de toutes congrégations et aventuriers divers.

Le comptoir connaît son apogée militaire et commercial entre 1742 et 1754 sous la direction de Joseph François Dupleix, au point de menacer les intérêts anglais en Inde. Les affrontements militaires, terrestres et maritimes, se multiplient entre la France et l’Angleterre. En 1748, les forteresses de Pondichéry permettent au comptoir de résister au siège terrestre et maritime des armées anglaises. Mais en 1761, après un nouveau siège, Pondichéry est prise et le Fort-Louis, symbole de la puissance française en Inde, est détruite par l’armée anglaise.

Pillée et occupée à plusieurs reprises, Pondichéry devient un comptoir commercial de second ordre après la suppression de la Compagnie en 1793. Les Français y maintiennent une présence ténue au xixe siècle, alimentée par le commerce de l’huile et de savonnerie. À la fin du xixe siècle, le comptoir n’est plus qu’une étape maritime sur la route qui mène en Indochine. En 1954, Pondichéry est intégrée à la souveraineté de l’Union indienne

Citer cet article

Marie Menard-jacob , « Cartes et plans du comptoir de Pondichéry (xviie-xviiie siècle) », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 01/09/22 , consulté le 14/12/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/21928

Bibliographie

Deloche Jean, Le vieux Pondichéry, 1673-1824, revisité d’après les plans anciens, Institut Français de Pondichéry, École française d'Extrême-Orient, Collection Indologie 99, Pondichéry, 2005

Menard-Jacob Marie, La Première Compagnie des Indes, PUR, Rennes, 2016

Weber Jacques, Les relations entre la France et l’Inde de 1673 à nos jours, Les Indes Savantes, 2002

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