Contexte : quand les nobles protestants se convertissent au catholicisme au XVIIe siècle
Des années 1620 aux années 1660, certains membres de la haute noblesse réformée se convertissent au catholicisme. C’est le cas de François de Bonne, duc de Lesdiguières, en 1622, d’Henri Ier de La Trémouille en 1628 lors du siège de La Rochelle, de Gaspard IV Coligny en 1643 (descendant de l’amiral de Coligny, première victime du massacre de la Saint-Barthélemy en août 1572) ou, en 1668, d’Henri de La Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne, l’un des principaux généraux des armées de Louis XIV au début de son règne.
Ces conversions se déroulent principalement à partir des années 1620, quand le « parti protestant » perd les unes après les autres les places fortes obtenues par l’édit de Nantes de 1598. Elles se poursuivent durant les persécutions menées contre les Églises réformées sous le règne de Louis XIV.
Ces conversions s’expliquent surtout par les choix politiques d’une noblesse protestante qui avait su depuis la seconde moitié du xvie siècle se constituer en « parti huguenot » et peser sur les décisions du roi. Avec la fin de leurs libertés politiques après l’édit de Nîmes de 1629, ces nobles comprennent qu’ils n’ont d’autre choix que la conversion au catholicisme pour retrouver leur influence auprès de l’entourage royal.
Au xviie siècle, ces conversions placent les nobles protestants dans un conflit de loyauté entre leur fidélité à la foi et leur fidélité à un roi qui prête serment, lors de son sacre, de lutter contre toute forme d’hérésie. La question se pose, par exemple, de leur service dans les armées royales : celui-ci est-il compatible avec le fait de combattre d’autres pays protestants ?
Si ces conversions ont un sens politique, elles ne sont pas toujours dénuées de motivations théologiques. Les études sur la conversion religieuse au xviie siècle montrent que les frontières confessionnelles entre catholiques et protestants sont « poreuses » (Élisabeth Labrousse). La conversion est souvent considérée par celui qui change de confession comme une amélioration des pratiques religieuses. Mais il ne faut pas prendre à la lettre les récits de conversion dans les ouvrages publiés par des convertis. Ces derniers sont en effet prompts à mettre en scène une conversion dictée par Dieu sous la forme d’un chemin qui les conduit des « ténèbres » à la « lumière », des « erreurs » à la « vérité ».
La conversion de nobles réformés au catholicisme donne lieu à l’organisation de grandes cérémonies qui célèbrent la victoire d’une confession sur l’autre. Les récits de conversion insistent sur le caractère public et exemplaire de ces cérémonies. Ainsi, dans celui décrivant l’abjuration en 1628 d’Henri Ier de La Trémouille (père), il est écrit : « Il a fait profession publique, renoncé à son erreur, ouy la Messe à genoux, & receu avec une profonde humilité les douces consolations de ce Prélat incomparable [Richelieu]. Pendant que son cœur brusloit de l’amour de Dieu, les yeux de l’assistance fondoient en larmes ; et pendant qu’il pleuroit de regret pour ses pechez, les autres pleuroient de joye pour sa pénitence ».
Archive : « Le triomphe de l’Église sur l’hérésie », Almanach royal (1671)
Cette gravure, illustrant un almanach royal pour l’année 1671, représente une scène qui s’est déroulée en 1670. Le document a été imprimé chez Pierre Landry, un éditeur, imprimeur et libraire parisien décédé en 1701. L’almanach royal illustré connait son apogée sous le règne de Louis XIV et s’adresse surtout à un public peu lettré. Il constitue une véritable mise en images des actions remarquables du roi et de la cour et il est pour cette raison un véritable outil de propagande.
La scène principale représente la conversion au catholicisme du duc de La Trémouille, prince de Tarente, et de son fils le duc de Thouars (le premier enfant en bas à droite), entre les mains de l’évêque d’Angers, Henri Arnauld, le 3 septembre 1670.
Le cartouche, situé au centre, indique : « LE TRIOMPHE DE L’ÉGLISE SUR L’HÉRÉSIE Dans la Conversion de L’Illustre Famille de la Trimouille, M. le Prince de Tarante, et M. le Duc de Touars, son fils, entre les mains de M. Henri Arnauld, Evesque d’Angers, Et Celle de plusieurs autres Personnes de Considération soubs le Pontificat de Clément X ».
Henri II, duc de La Trémouille est né en 1620 et baptisé protestant. Il est le fils d’Henri Ier, duc de La Trémouille, et de Marie de La Tour d’Auvergne. Henri II se convertit une première fois au catholicisme en 1628, à l’âge de 8 ans, en même temps que son père lors du siège de La Rochelle. Mais sous l’influence de sa mère, demeurée protestante, il retourne au calvinisme en 1638. En 1670, il se convertit de nouveau au catholicisme avec son fils, réitérant la scène qu’il avait connue enfant. Il est dénommé « prince de Tarante [Tarente, Italie] », en raison des prétentions de la famille sur le royaume de Naples qui n’ont jamais abouties.
Henri Arnauld (1597-1692) est évêque d’Angers de 1649 à sa mort : il est le frère d’Antoine Arnauld, dit le Grand Arnauld, le chef de file des jansénistes dans la seconde moitié du xviie siècle. Janséniste lui-même, il s’est totalement consacré à la Réforme catholique dans son diocèse. La cérémonie de l’abjuration étant une scène publique, des membres du clergé catholique sont représentés en arrière de l’évêque, et des nobles derrière le duc de La Trémouille.
Cette scène met donc face-à-face deux éminentes personnalités de la noblesse et du clergé. Elle a lieu sous la protection de la monarchie représentée en haut de la gravure par les trois fleurs de lys sur le bouclier symbolisant la défense de la foi catholique par le souverain qui, lors de son sacre, prête serment de lutter contre les hérésies. L’angelot en haut à droite tient dans sa main droite une couronne de laurier exprimant la victoire contre l’hérésie. Au bas de l’évêque est représenté le pape Clément X (1670-1676).
Les trois dernières scènes en bas de la gravure représentent la victoire de l’Église catholique sur le calvinisme.
Sous le cartouche « LE TRIOMPHE DE L’ÉGLISE SUR L’HÉRÉSIE », est gravée une scène qui a pour légende : « CALVIN et sa doctrine renversés par les lumières de L’ÉGLISE CATHOLIQUE ». Jean Calvin, le Réformateur de Genève est terrassé par les rayons de lumière provenant de l’Église catholique symbolisée sous les traits d’une femme qui lève le bras gauche et l’index de la main gauche vers le ciel, et qui tient dans sa main droite un ostensoir (pièce d’orfèvrerie qui sert à exposer l’hostie consacrée dans la religion catholique).
La scène en bas à droite de la gravure représente l’abjuration en 1670 de l’homme de lettres et académicien Paul Pellisson : « M. Pellisson faisant abjuration de l’hérésie entre les mains de l’Evesque de Tournay ». L’abjuration est publique et le converti est représenté à genoux, la main droite posée sur la Bible. C’est le même homme qui, en 1676, organisa la « Caisse des conversions » destinée à récompenser les protestants convertis au catholicisme.
En bas à gauche, une scène similaire montre « Melle d’Angenes abjurant entre les mains de Monseign[eur] l’Archevesque de Paris » : la convertie est, elle aussi, à genoux, tournée vers un enfant de chœur qui tient la Bible et priant les mains jointes, dos au public.
Par la publication et la diffusion de cet almanach destiné à être lu et vu par un grand nombre de sujets, l’État royal veut ainsi illustrer la volonté du souverain d’obtenir l’unité confessionnelle du royaume et ces conversions – un noble et son fils, un homme de lettres, une femme noble – doivent servir de modèle à tous ceux demeurés protestants.