La statuaire d’Auguste : la mise en images des pouvoirs du Prince

Pour s’imposer auprès des populations de l’empire romain, Auguste se met en image à travers les statues, les reliefs et les monnaies. Ces images nous permettent de mieux comprendre le discours transmis sur les différents attributs (politiques, militaires, religieux) du pouvoir d’Auguste sous le Principat.

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La statuaire d’Auguste : la mise en images des pouvoirs du Prince

Ill. 1: L’Auguste Prima Porta Vatican (Musée Chiaramonti, Vatican, Rome)
Ill. 1: L’Auguste Prima Porta Vatican (Musée Chiaramonti, Vatican, Rome). Source : commons.wikimedia.org
Ill. 2 : Auguste à tête voilée, via Labicana Musée national romain, Rome
Ill. 2 : Auguste à tête voilée, via Labicana Musée national romain, Rome. Source : commons.wikimedia.org
Sommaire

Contexte : L’instauration d’un pouvoir personnel par Auguste

Durant son Principat, Auguste a été représenté à de multiples reprises sur les monnaies et par des statues, comme celles de l’Auguste Prima Porta et de l’Auguste à la tête voilée (capite velato) de la via Labicana. Ces deux statues ont été réalisées sous le règne d’Auguste qui gouverne désormais seul l’empire depuis 31 av. J.-C. : il a obtenu de façon légale de très nombreux pouvoirs depuis cette date, en particulier en 27 av. J.-C. Le princeps (littéralement le “premier”) a également remporté des victoires diplomatiques en Orient, sa succession est assurée par la naissance de ses petits-fils, et il a éliminé les oppositions. Auguste a surtout mis fin aux guerres civiles qui ont déstabilisé les bases de la société romaine durant le Ier siècle av. J.-C. (Marius contre Sylla, Pompée contre César, Marc-Antoine contre lui-même).

Les deux statues présentées ont sans doute été copiées pour être largement diffusées dans l’empire : c’est alors le seul moyen pour les provinciaux de connaitre la physionomie de leur dirigeant. Ces statues présentent à l’ensemble de la population la stabilité politique et les pouvoirs d’Auguste, à la fois chef militaire et chef de la religion publique. Bien qu’âgé de plus de 50 ans (il est né en 63 av. J.-C.), Auguste est toujours représenté avec les traits d’un homme de 40 ans : sa maturité suggérée - mais non sa vieillesse - est une garantie de la pérennité du régime. Les statues d’Auguste sont réalisées dans le style grec idéalisé : l’empereur doit être jeune et beau.

Archive : De nouveaux pouvoirs et une filiation divine mis en image

L’Auguste Prima Porta (Ill. 1: L’Auguste Prima Porta, Vatican) est une statue de marbre découverte dans la villa de Livie, résidence privée située au nord de Rome. Elle mesure 2,30 mètres et reste incomplète : manquent le bras droit, les pieds et le socle. La main gauche devait sans doute tenir une lance. La statue était peinte et son dos n’était pas sculpté, elle était donc destinée à être placée le long d’un mur. Cette statue exposée au Musée Chiaramonti du Vatican est la copie d’un original en bronze qui devait être exposé en public. Elle est postérieure au retour des enseignes prises par les Parthes en 53 av. J.-C., en 40 et en 36, que la diplomatie d’Auguste a réussi à faire revenir à Rome en 20 av. J.-C. : les enseignes ont été placées dans le temple de Mars Vengeur (Ultor) dans le forum d’Auguste.

Portant la cuirasse, Auguste est représenté en chef de l’armée, possesseur de l’imperium. Il porte le manteau qui était à l’époque peint en rouge, enroulé autour de ses flancs et reposant sur son avant-bras gauche : c’est le paludamentum, symbole de l’imperium. Auguste est accompagné par Eros, situé à côté de sa jambe droite, et posé sur un dauphin : Eros est le fils de Vénus, déesse née de l’écume marine. La présence d’Eros rappelle qu’Auguste appartient, par son adoption par Jules César, à la famille julienne dont la déesse est l’ancêtre mythique.

 

La cuirasse d’Auguste Prima Porta   Source : eduscol.education.fr
La cuirasse d’Auguste Prima Porta. Source : eduscol.education.fr

La cuirasse est une cuirasse de parade. On y voit deux hommes face à face : à gauche, le personnage (1) accompagné d’un chien (une louve ?) pourrait être Auguste ou Mars, dieu emblématique pour Auguste qui lui consacre un temple sur son forum ou Romulus, le fondateur de Rome, ou encore la déesse Rome. À droite est représenté un Parthe (2), sans doute Phraatès IV, roi de Parthie qui possédait les enseignes prises aux Romains. Le personnage représentant Rome (1) ne tend pas la main pour saisir l’enseigne : la paume ouverte est un geste d’amitié offerte par Auguste. Il fait allusion à cet épisode dans son testament politique :

« J’ai forcé les Parthes à me rendre les dépouilles et les enseignes de trois armées romaines et à demander en suppliants l’amitié du Peuple romain. Et ces enseignes, je les ai déposées dans la chambre sacrée qui se trouve à l’intérieur du temple de Mars Vengeur ». RGDA, 29.

Cette scène historique est placée sous le contrôle des dieux : le Ciel ou Saturne (3) couvre de son manteau le lever du Soleil dans son char (4), précédé de l’Aurore (5) accompagnée de la Rosée (6). Le Sphinx (7 et 8) est le symbole d’Auguste, conquérant de l’Égypte ; il est représenté sur les épaulettes. Encadrant la scène centrale, deux provinces affligées et assisses sont représentées : l’Hispanie (9) avec une épée typique de la production locale, et la Gaule (10) avec un carnyx et les cheveux dénoués. Il s’agit de provinces pacifiées depuis longtemps, particulièrement fidèles à Auguste depuis le serment de 32 av. J.-C.

Au-dessous, la Terre (Tellus) ou l’Oikoumène (11) tient une corne d’abondance, symbole de la prospérité ; elle est accompagnée des produits de la terre (épis de blé, fleur de pavot). Deux petits putti se trouvent devant la personnification. Elle est encadrée par Apollon sur un griffon (12), dieu de la victoire d’Actium (31 av. J.-C.), et de Diane, sa sœur, sur un cerf (13). C’est une allégorie de la maternité, mais aussi du contrôle de l’espace par Rome. Beaucoup d’éléments se trouvent ainsi sur cette cuirasse vue de face, mais certains éléments devaient être placés sur le dos de la cuirasse sur l’original en bronze.

La statue d’Auguste de la via Labicana (Ill.2 : Auguste à tête voilée, via Labicana) a été retrouvée dans les fondations d’une maison située sur les pentes de l’Oppius, au centre de la ville de Rome. Réalisée avec du marbre grec (tête et avant-bras droit) et du marbre italien (Luni), elle mesure 2,07 mètres et était peinte à l’origine. Elle est de peu postérieure à 12 av. J.-C., date à laquelle Auguste devient grand pontife, suite à la mort de Lépide qui possédait ce titre depuis 43 av. J.-C.  Auguste n’a cependant pas attendu d’être grand pontife pour mener à bien sa politique religieuse fondée sur la restauration de pratiques anciennes et des anciens cultes, la reconstruction d’anciens temples, mais aussi d’une nouveauté, le culte du Divin Jules (Divus Iulius), César qui était son père adoptif, mort en 44 av. J.-C. et placé parmi les dieux en 42 av. J.-C.

Tête voilée, Auguste est dans la posture du prêtre selon le rite romain du sacrifice, avec un pan de la toge ramené sur sa tête. Auguste a largement promu le port de la toge lors des cérémonies et des spectacles, laquelle reste le symbole du citoyen romain et de la conscience nationale : ce modèle devient la norme jusqu’au iie siècle ap. J.-C. Les chaussures sont celles des patriciens, le groupe social le plus élevé à Rome. La disposition du bras droit indique sans doute qu’Auguste portait une patère, une coupe destinée à contenir du vin répandu durant un sacrifice en l’honneur d’une divinité. À ses pieds se trouve un coffret rond (une capsa) qui contenait des documents officiels : cet objet est là pour indiquer que le rituel est réalisé dans l’espace public et non privé. Cette statue représentant Auguste participant à un sacrifice est un modèle de pietas, une vertu essentielle pour les Romains, synonyme de respect des traditions les plus anciennes de Rome.

Citer cet article

Sabine Lefebvre , « La statuaire d’Auguste : la mise en images des pouvoirs du Prince », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 07/10/22 , consulté le 25/04/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/21970

Bibliographie

Catalogue Auguste, Exposition au Grand Palais, RMN, Paris, 2014.

Zanker, Paul, The power of images in the age of Augustus, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1983.

Sauron, Gilles, Quis deum ? L’expression plastique des idéologies et religieuses à Rome, Rome, École française de Rome, 1994.

Rose, Charles Brian, Dynastic Commemoration and Imperial Portraiture in the Julio-Claudian Period, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.

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