Mise au point : l’ordonnance de Villers-Cotterêts, une étape importante dans le renforcement de l’administration du royaume de France
Édictée par François 1er au mois d’août 1539, l’ordonnance de Villers-Cotterêts est communément attribuée au chancelier Guillaume Poyet (1473 - 1548), grand officier en charge de l’administration et de la justice du royaume, ce qui lui vaut d’être également nommée « ordonnance Guillemine ». L’ordonnance aborde une grande variété de sujets à travers ses 192 articles portant sur la réforme de la procédure judiciaire, la délimitation des compétences respectives de la justice civile et de la justice ecclésiastique, ou encore l’insinuation (c’est-à-dire l’inscription d’un acte notarié sur un registre public).
L’ordonnance de Villers-Cotterêts constitue une étape importante de la construction de l’État monarchique en renforçant l’emprise de l’administration centrale sur les populations du royaume. Ainsi les articles 50 à 54 ordonnent aux curés de tenir des registres de baptêmes et de sépultures, en précisant le jour et l’heure des naissances et des décès. Ces registres – qui feront le bonheur des historiens et des généalogistes – doivent désormais être contresignés par un notaire et déposés chaque année au greffe du tribunal royal le plus proche par le responsable de la tenue du registre. Enfin, les articles 110 et 111, appelés à une grande postérité, intiment de remplacer le latin par le « langage maternel francoys » dans les actes officiels de la monarchie.
Document : les articles 110 et 111 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts imposent le « langage maternel francoys » dans les actes officiels de la monarchie
Article 110 :
Que les arretz soient clers et entendibles
Et afin qu'il n'y ayt cause de doubter sur l'intelligence desdictz arretz. Nous voulons et ordonnons qu'ilz soient faictz et escriptz si clerement qu'il n'y ayt ne puisse avoir aulcune ambiguite ou incertitude, ne lieu a en demander interpretacion.
« Que les arrêts soient clairs et compréhensibles, et afin qu'il n'y ait pas de raison de douter sur le sens de ces arrêts, nous voulons et ordonnons qu'ils soient faits et écrits si clairement qu'il ne puisse y avoir aucune ambiguïté ou incertitude, ni de raison d'en demander une explication ».
Article 111 :
De prononcer et expedier tous actes en langaige françoys
Et pource que telles choses sont souventesfoys advenues sur l'intelligence des motz latins contenuz esdictz arrestz. Nous voulons que doresenavant tous arrestz ensemble toutes autres procedeures soient de noz cours souveraines ou autres subalternes et inferieures, soyent de registres, enquestes, contractz, commissions, sentences, testamens et autres quelzconques actes & exploictz de justice, ou qui en dependent, soient prononcez, enregistrez & delivrez aux parties en langage maternel francoys, et non autrement.
« De prononcer et rédiger tous les actes en langue française
Et parce que de telles choses sont arrivées très souvent, à propos de la compréhension des mots latins utilisés dans lesdits arrêts, nous voulons que dorénavant tous les arrêts ainsi que toutes autres procédures, que ce soit de nos cours souveraines ou autres subalternes et inférieures, ou que ce soit sur les registres, enquêtes, contrats, commissions, sentences, testaments et tous les autres actes et exploits de justice qui en dépendent, soient prononcés, publiés et notifiés aux parties en langue maternelle française, et pas autrement ».
Éclairage : l’ordonnance de Villers-Cotterêts n’a pas imposé la langue française à l’ensemble du royaume
L’ordonnance de Villers-Cotterêts, imprimée en une vingtaine de milliers d’exemplaires, est diffusée en quelques mois dans tout le royaume – une diffusion d’une ampleur rare au xvie siècle. Cette campagne éditoriale, probablement orchestrée par Guillaume Poyet, ralentit à partir du mois de février 1540, mais les éditions sont encore nombreuses entre 1540 et 1542 et deviennent ainsi accessible à tous les juristes du royaume de France.
Les articles 110 et 111 entendent faciliter le travail administratif en abandonnant les formulations ambiguës de textes rédigés dans un latin de piètre qualité par des juges ou des notaires friands de formules latines absconses et approximatives. Dans certaines parties du royaume, la chancellerie avait déjà autorisé le recours à la langue vulgaire (la langue parlée au sein d’une communauté) au détriment du latin. C’était le cas en Languedoc (avec l’ordonnance du 28 décembre 1490, puis l’ordonnance de juin 1510) comme en Provence (avec l’ordonnance d’octobre 1535). L’ordonnance de Villers-Cotterêts élargit à tout le royaume cette interdiction du latin dans les actes légaux.
Un point fait cependant débat parmi les linguistes, les juristes et les historiens : que signifie l’expression « langage maternel francoys » ? Désigne-t-elle uniquement la langue française ou bien les langues régionales – les langues d’oc, le provençal et le breton – sont-elles également comprises ? La question se posait déjà au xvie siècle : dans les années 1550, le jurisconsulte Pierre Rebuffe expliquait ainsi que les dialectes provinciaux composaient tous la langue française. Elle continue de se poser au xxe siècle, opposant un premier courant, majoritaire, qui voit dans ce passage de l’ordonnance de Villers-Cotterêts un texte fondateur de l’unité française, à un second qui y voit au contraire un texte consacrant le pluralisme linguistique.
Le débat est mal posé. Ces deux articles témoignent surtout du souci de la monarchie de se doter d’une langue intelligible par ses sujets, et la langue parlée par le roi est logiquement choisie pour cet emploi. L’ordonnance de Villers-Cotterêts n’impose donc pas l’emploi de la langue française à l’ensemble du royaume. Il ne s’agit pas de reconnaître juridiquement une essence supposée géniale de la langue française mais d’adopter la langue qui se prête le moins possible aux déformations et incompréhensions des sujets du royaume, permettant ainsi que les arrêts de justice soient compris de tous et que les testaments et actes notariaux ne soient pas contestés, en bref : « Que les arrêts soient clairs et compréhensibles ».
Il est vrai, en revanche, que l’ordonnance est contemporaine d’un mouvement de promotion de la langue française et que François Ier entend faire de cette langue le reflet du pouvoir monarchique. L’année même où est édictée l’ordonnance de Villers-Cotterêts, Robert Estienne fait ainsi paraître le premier dictionnaire passant du français au latin, le Dictionnaire françois-latin. Dix ans plus tard, le poète Joachim du Bellay fait paraître un manifeste, La Deffence et Illustration de la Langue Francoyse, dans lequel il rend hommage à François Ier, « notre feu bon Roi et père », décédé deux ans auparavant en 1547, pour sa promotion de la langue française. Aussi les deux articles de l’ordonnance ont-ils été immédiatement érigés en témoin de l’action d’un François Ier « protecteur des arts et des lettres », constituant le « trésor de la langue française ».
L’ordonnance de Villers-Cotterêts – qui pourtant ne se limite pas à ces deux articles – a ainsi été associée par extension au souvenir d’un François Ier bâtisseur de l’État monarchique et promoteur de la langue française. Cette dimension patrimoniale (Ill.1), associée à la construction de l’État-Nation, explique la référence récurrente à ce texte, par le Conseil constitutionnel refusant d’entériner la charte européenne des langues minoritaires en 1999 comme par la décision d’Emmanuel Macron d’établir la Cité internationale de la langue française dans le château restauré de Villers-Cotterêts (2023).