Mise au point : la réorganisation administrative de l’empire romain sous Constantin
Au début du ive siècle, l’Empire romain se relève des attaques barbares qui l’ont frappé au siècle précédent. Pour mieux gouverner et protéger cet immense empire, l’empereur Dioclétien (244 - 311/312) met en place la Tétrarchie, un système de gouvernement qui divise le territoire de l’empire romain entre l’Orient et l’Occident (Ill.2), partagé entre deux augustes (empereurs) qui eux-mêmes nomment deux césars (lieutenants et successeurs des empereurs).

Constantin est le fils de Constance Chlore (vers 250 - 306), l’auguste qui domine la Gaule et la Bretagne (l’Angleterre actuelle) puis l’Espagne. En 306, à la mort de son père, il se fait proclamer auguste par ses troupes à York (Eburacum, au nord de la Bretagne). Mais cette proclamation se fait sans l’accord des autres tétrarques et alors même que le principe héréditaire n’est pas une règle de succession à l’empire. Constantin n’en décide pas moins de gouverner le territoire de son père en prenant pour capitale Trèves, en Germanie, au nord-est de la Gaule.
Fils de l’auguste Maximien, Maxence (vers 278 - 312), décide également de se faire proclamer auguste de l’Occident, disputant ainsi le pouvoir à Constantin. Avec beaucoup d’audace, Constantin mène une campagne d’Italie qui le conduit au nord de Rome et remporte contre Maxence la bataille du Pont Milvius (312).
Constantin étend ensuite ses ambitions vers l’Orient gouverné par l’auguste Licinius qu’il renverse en 324. Après sa victoire finale sur le Bosphore, il fonde Constantinople sur le site de l’ancienne cité grecque de Byzance la même année. Placée de manière stratégique sur la rive européenne du détroit, la « ville de Constantin » était proche des menaces barbares (sur le Danube et l’Euphrate), une situation géographique qui permet à l’empereur chrétien de se tenir éloigné des intrigues de Rome.
Constantin est le véritable fondateur de l’État romain tardif (qui dure jusqu’en 476 en Occident et jusqu’au viie siècle en Orient), en particulier sur le plan territorial. Si l’unification des lois avait été posée un siècle avant par la généralisation de la citoyenneté romaine avec l’édit de Caracalla en 212, la centralisation administrative de l’empire romain tardif est bien l’œuvre de Constantin. Celui-ci crée en effet de véritables départements ministériels dirigés par le maître des offices (un équivalent du ministre de l’intérieur), le questeur du palais (rédacteur des lois et porte-parole de l’empereur) et les comtes financiers (chargés des recettes et des dépenses au niveau central).
La Tétrarchie double le nombre de provinces et permet ainsi un meilleur encadrement des populations par l’administration. Ces provinces constituent désormais des diocèses, qui constituent elles-mêmes des préfectures du prétoire régionales, qui dirigent toute l’administration dans leur territoire. Tous les fonctionnaires sont incorporés dans un sénat élargi et rénové formé de dignitaires.
Constantin créé également une puissante armée regroupée en remplacement de l’organisation ancienne qui consistait à disperser les légions. Cette nouvelle armée est susceptible d’être mobilisée sur divers théâtres d’opérations, en particulier la frontière du Danube (face aux Barbares goths et sarmates). Enfin, sur le plan économique, Constantin met fin à l’inflation monétaire du iiie siècle en créant une nouvelle monnaie, le sou d’or (solidus), promis à une longue fortune.
Constantin s’inscrit dans la continuité des empereurs précédents, en particulier des Antonins au iie siècle. L’influence du christianisme y est très minoritaire et on ne saurait donc parler de tournant chrétien dans le domaine juridique. Seules quelques lois se conforment à des injonctions chrétiennes : la reconnaissance du célibat, l’affranchissement des esclaves par l’Église, l’interdiction de la peine de la croix et de la condamnation par la justice à la gladiature. En revanche, les combats de gladiateurs n’ont aucunement cessé avant le début du ve siècle, alors même qu’ils étaient condamnés par les théologiens chrétiens et, déjà avant eux, par les philosophes stoïciens.
Document : Zosime(vers 460 - vers 520), un haut fonctionnaire critique à l’égard du règne de Constantin
Il bouleversa aussi les fonctions établies depuis longtemps. Il y avait en effet deux préfets du prétoire qui exerçaient leur charge en commun : ce n’étaient pas seulement les corps de troupe stationnés à la cour qui dépendaient de leurs soins et de leur autorité, mais aussi ceux qui avaient pour tâche de protéger la Ville et ceux qui se trouvaient en garnison sur toutes les frontières ; en effet, c’est à la charge des préfets, considérée comme la seconde après la fonction impériale, qu’incombait la responsabilité aussi bien des distributions de ravitaillement que de la répression, par les punitions appropriées, des fautes commises au mépris de l’instruction militaire. Or, Constantin, modifiant ce qui était parfaitement bien établi, divisa en quatre une charge qui était unique ; en effet, à l’un des préfets, il attribua toute l’Égypte et en outre la Pentapole de Libye, ainsi que l’Orient jusqu’en Mésopotamie (…) en confiant aussi au même la Thrace (…) ainsi que Chypre et les îles des Cyclades (…). Au second, la Macédoine (…) la Crète, la Grèce ainsi que les îles qui l’entourent (…) en outre l’Illyrie (…) ; au troisième toute l’Italie et la Sicile, ainsi que les îles qui l’entourent, et de plus la Sardaigne, la Corse et l’Afrique des Syrtes à la [Maurétanie] Césarienne ; au quatrième la Gaule transalpine, l’Espagne et en outre l’île de Bretagne.
Ayant ainsi divisé la préfecture du prétoire, il s’appliqua à l’affaiblir par d’autres mesures encore : en effet, alors que les soldats avaient partout à leur tête non seulement des centurions et des tribuns, mais encore ceux qu’on nomme « ducs », qui occupaient dans chaque garnison la fonction de général, Constantin ayant créé des généraux en chef, celui de la cavalerie et celui de l’infanterie, et fait passer sous leur compétence le pouvoir de ranger l’armée en bataille et celui d’infliger des punitions aux coupables, priva de cette prérogative aussi les préfets.
Ce que cela comporta comme conséquences ruineuses en temps de paix comme en temps de guerre, je vais tout de suite le dire : comme d’une part les préfets levaient partout l’impôt par l’intermédiaire de leurs sous-ordres et utilisaient ces revenus pour entretenir l’armée, et que d’autre part ils avaient les soldats sous leur autorité afin que ceux-ci subissent le châtiment de leurs fautes selon leur libre appréciation, les soldats avaient de bonnes raisons de ne pas oublier que celui qui assurait leur subsistance les punissait aussi lorsqu’ils étaient coupables et n’osaient en rien violer leurs devoirs par crainte d’être privés de ravitaillement et punis sans délai. Maintenant, comme c’est une personne qui remet la subsistance à l’armée et une autre qui fait régner la discipline, ils n’agissent en toute chose qu’à leur tête, outre que la plus grande part des approvisionnements sert à enrichir le général et ses sous-ordres (trad. F. Paschoud).
Zosime, Histoire nouvelle, II, 32-33
Éclairages : la réforme de la préfecture du prétoire sous Constantin
Zosime (vers 460 - vers 520), haut fonctionnaire impérial oriental, a écrit son ouvrage en grec au début du vie siècle. Il a beaucoup emprunté à un auteur païen du ive siècle, Eunape de Sardes, qui, par opposition à la religion chrétienne et en tenant des traditions, se montre systématiquement hostile au premier empereur chrétien. Ainsi, selon lui, Constantin devint chrétien en 326 pour obtenir le pardon des meurtres de son fils Crispus et de son épouse Fausta. Par contraste avec les éloges immodérés de Constantin propres aux auteurs chrétiens des ive et ve siècles, l’Histoire Nouvelle de Zosime présente Constantin sous un jour moins positif et de façon tout aussi tendancieuse.
Zosime expose ici un élément central des évolutions territoriales du début du ive siècle : la réforme de la préfecture du prétoire. Sous le Haut Empire (aux ier et iie siècles), le préfet du prétoire est uniquement le chef des neuf cohortes prétoriennes, chargées de protéger l’empereur et composées de 4500 soldats d’élite (l’effectif d’une légion). Au iiie siècle, les préfets commandent encore cette troupe mais, contrairement à ce que dit Zosime, ils n’ont pas d’autorité sur les cohortes urbaines, chargées de la police de Rome, ni l’armée des frontières. Ces préfets sont alors les chefs d’État-major de l’empereur et peuvent très occasionnellement diriger l’armée en campagne. Ils sont aussi responsables du ravitaillement de l’armée et détiennent un pouvoir judiciaire sur les troupes.
Sous la Tétrarchie (284-324), ces hauts fonctionnaires rendaient la justice au-delà de l’institution militaire et avaient étendu leurs pouvoir au contrôle des opérations fiscales. Ils étaient désormais plus nombreux car attachés au pouvoir de chaque tétrarque (Ill.2). Et comme en-dessous des augustes le pouvoir était encore davantage régionalisé, en particulier avec la présence de césars, on vit apparaître des vice-préfets du prétoire (agentes vice praefectorum praetorio).
C’est donc en une parfaite continuité avec les réformes précédentes de régionalisation administrative que Constantin divise en quatre circonscriptions territoriales la charge de préfet du prétoire, une division déjà existante sous la Tétrarchie (Ill.2). En effet, en-dehors du préfet d’Afrique, les préfets sont d’abord attachés aux différents empereurs : l’un siège à Constantinople, capitale principale de Constantin, et les trois autres accompagnent les césars, fils de l’empereur principal (Constantin II, Constance II et Constant) qui se fixent progressivement dans des capitales régionales (respectivement Trèves, Antioche et Milan). De manière anachronique, Zosime présente la situation du ve siècle dont il est familier : les quatre préfectures d’Orient, d’Illyricum (les Balkans), d’Italie-Afrique et de Gaule-Espagne-Bretagne. De la sorte, sur le plan territorial également, il déforme la réforme constantinienne.
Zosime n’en expose pas moins avec justesse la séparation des pouvoirs civils et militaires en montrant que les préfets perdent alors toute compétence militaire au profit des « maîtres des soldats » ou magistri militum (magister equitum et magister peditum) qui deviennent les généraux en chef de l’armée. Si, comme l’indique Zosime, les ducs commandent bien l’armée dans les provinces, ils furent en réalité institués quelques décennies plus tôt par Dioclétien (284 - 305) et non par Constantin.
Avec le règne de Constantin, les préfets du prétoire disposent désormais de très larges compétences administratives, en particulier fiscales et judiciaires. De ce point de vue, Zosime met en avant des phénomènes de corruption tout à fait réels, liés à l’extension de leurs prérogatives. Cependant, la séparation des pouvoirs entre les préfets du prétoire et les « maîtres des soldats » pouvait justement contribuer à les réduire, en divisant les tâches et en assurant un contrôle mutuel. En outre, l’auteur paraît fortement exagérer le phénomène de désobéissance des soldats, qui n’est évoqué par aucune autre source, alors même que les campagnes de Constantin sur les frontières rhénane et danubienne furent couronnées de succès.