Mise au point : Renaissance et restauration du pouvoir pontifical à Rome (XVe- XVIe siècle)
La chapelle Sixtine, décorée par plusieurs générations successives d’artistes, est devenue au fil du temps une véritable allégorie de la Renaissance pontificale. En effet, après le déplacement de la papauté à Avignon (1309-1378) et le Grand schisme d’Occident (1378-1417), un temps de division de la papauté, le xve et le début du xvie siècle sont marqués par un retour des papes à Rome et par une restauration progressive de leur pouvoir.
Cette restauration est menée dans le contexte de la Renaissance, une période caractérisée par la redécouverte de l’Antiquité, aussi bien dans les lettres que dans les arts. Les souverains pontifes, sensibles à ce programme culturel, lancent de vastes chantiers de reconstruction de la ville de Rome. Dans un premier temps, leurs efforts se concentrent sur le Vatican, quartier où se trouve l’une des résidences pontificales et où ils élisent définitivement domicile dans la seconde moitié du xve siècle. C’est dans ce contexte que Sixte IV (1471-1484) fait reconstruire, entre août 1479 et octobre 1481, la cappella magna, c’est-à-dire la grande chapelle du palais, qui prend alors le nom de « chapelle Sixtine ».
Le Vatican devient la vitrine du pouvoir pontifical dans les décennies qui suivent. Innocent VIII (1484-1492) y fait édifier la villa d’agrément du Belvédère entre 1485 et 1487. Alexandre VI (1492-1503) emménage dans de nouveaux appartements, au deuxième étage du palais apostolique, qu’il fait décorer par le peintre Pinturicchio (v. 1454-1513). Ce mouvement atteint son apogée pendant le règne de Jules II (1503-1513) qui dirige les travaux au Vatican : chantiers architecturaux au palais apostolique, décoration à fresques des Stanze (chambres du troisième étage du palais apostolique) par le peintre Raphaël (1483-1520), exposition de plusieurs œuvres antiques dont le Laocoon (célèbre groupe statuaire représentant un épisode de la mythologie grecque), formant ainsi le premier noyau des collections des musées du Vatican, reconstruction de la basilique Saint-Pierre confiée en 1506 à l’architecte Bramante (1444-1514). Entre 1508 et 1513, les plus grands artistes du temps sont réunis au Vatican pour travailler à la gloire de la papauté, dont Michel-Ange (1475 - 1564) recruté par Jules II pour peindre les fresques de la voûte de la chapelle Sixtine.
Ces travaux ont un coût élevé. Les souverains pontifes s’appliquent donc à tirer un maximum de revenus de l’Église en introduisant la vénalité (vente) des offices (fonctions) au sein de l’administration curiale et en monnayant toujours davantage les bénéfices (charges ecclésiastiques accompagnées de revenus) de la chrétienté (canonicats, monastères, diocèses, etc.). Pour financer le chantier de Saint-Pierre, Jules II a également recours à deux reprises à des campagnes d’indulgences : le pape propose aux fidèles d’obtenir la rémission de leur peine au purgatoire contre monnaie sonnante et trébuchante, une pratique reprise par son successeur, Léon X (1513-1521).
Des critiques virulentes s’élèvent contre ces procédés. À Florence, le prédicateur dominicain Savonarole (1452-1498) compare l’Église à une prostituée. En 1513, le philosophe Érasme (1466-1536) écrit un dialogue (Jules, privé de paradis !) imaginant saint Pierre refusant l’entrée du paradis à Jules II. Ces critiques culminent en 1517 dans les 95 thèses de Martin Luther. Écrit à la suite d’une campagne d’indulgences tenue à Wittenberg, ce texte est fondateur du mouvement protestant.
Document : visite virtuelle de la chapelle Sixtine (musées du Vatican)

Éclairage : de la création d’Adam au Jugement dernier
En confiant à Michel-Ange la décoration du plafond de la chapelle Sixtine, le pape Jules II fait un pari audacieux : quoique célèbre pour ses sculptures, le jeune artiste de 33ans n’a alors jamais réalisé de fresques. Son activité de peintre se résume à un tondo (une peinture sur un support de forme ronde) représentant la Sainte Famille, réalisé entre 1503 et 1505. Mais au mois de mars 1508, Jules II décide lui de faire confiance.
L’artiste florentin travaille seul sur la voûte de 1508 à 1512. Les neuf scènes centrales sont dédiées à des épisodes de la Genèse. La plus célèbre, la fresque de la Création d’Adam (Ill.2), illustre le verset de la Genèse « Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance ».

Michel-Ange démontre sa virtuosité dans le traitement de l’anatomie des corps à travers la réalisation d’Adam, soulignée par les quatre ignudi (nus masculins) qui encadrent la scène dans des poses variées. Cette maestria repose à la fois sur la formation de sculpteur de Michel-Ange et sur son expérience acquise au cours de dissections. Le peintre florentin témoigne de son inventivité dans le traitement de cet épisode. En effet, le geste de Dieu descendu des nuées pour créer l’homme du doigt sans le toucher est inédit et devient une icône dans l’histoire de la peinture occidentale.
Le pape Clément VII (1523-1534) lance le dernier grand projet pictural de la chapelle Sixtine. Il parvient en 1533 à convaincre Michel-Ange d’y travailler à nouveau en lui confiant le projet de réaliser une chute des anges rebelles sur le mur d’entrée et un jugement dernier sur le mur d’autel. Clément VII meurt un an plus tard, mais le projet est repris par son successeur Paul III (1534-1549). Seule la fresque du Jugement dernier est finalement achevée en 1541 par le maître florentin (Ill. 3).

Le Jugement dernier de Michel-Ange représente en son centre le Christ, dans un halo lumineux, entouré de plus de trois cents personnages qui se déploient sur un fond bleu outre-mer figurant les cieux. À sa droite, les élus dont les corps sont ressuscités sont élevés au paradis par des anges, où ils prennent leurs formes glorieuses, tandis qu’à sa gauche les damnés sont voués à la géhenne (l’enfer) par les démons. Un espace intermédiaire donne à voir le purgatoire.
La nudité des corps suscite assez vite la controverse et devient intolérable dans le cadre de la réforme catholique (la réforme de l’Église impulsée par le concile de Trente entre 1545 et 1563). Après la mort de Michel-Ange, en 1564, le pape Paul IV (1555-1559) confie le soin à Daniele da Volterra de couvrir les parties génitales visibles d’un voile, œuvre pour laquelle il reçoit le surnom d’« Il Braghettone » (le « faiseur de culottes »).
Entre-temps, cette chapelle est devenue un espace politique qui joue un rôle important dans l’organisation des conclaves et dans lequel chaque pontife de la Renaissance tente de laisser son empreinte.