Mise au point : le « New Deal », du slogan aux politiques de relance économique (1933-1938)
Aux États-Unis, l’élection présidentielle du 8 novembre 1932 se déroula trois ans après le krach boursier de 1929, en pleine récession économique et alors même que le chômage frappait un quart de la population active. Le président sortant, le républicain Herbert Hoover (1874 - 1964), avait pris quelques initiatives innovantes pour faire face à la situation - la création de la Reconstruction Finance Corporation (RFC), qui apportait une aide d’urgence aux entreprises et aux banques en difficulté -, mais il s’était refusé à mettre en place une assistance fédérale massive aux chômeurs et n’était pas parvenu à convaincre ses concitoyens que la prospérité, comme il le prédisait, allait bientôt revenir.
Face à Hoover, les démocrates désignèrent comme candidat le gouverneur de l’État de New York, Franklin D. Roosevelt (1882 – 1945), qui s’était signalé par son volontarisme face à la crise. Lors de la convention démocrate, le 2 juillet 1932, Roosevelt conclut son discours par ces mots : « I pledge you, I pledge myself, to a new deal for the American people ». Ainsi le « New Deal » fut-il un slogan de campagne avant de désigner l’ensemble des politiques publiques mises en œuvre durant la présidence Roosevelt.
Après que Roosevelt eut prêté serment, le 4 mars 1933, les cent premiers jours de sa présidence furent inaugurés par la remise en état de marche d’un secteur bancaire paralysé par la panique des épargnants. De mars à juin 1933, le 73e Congrès (en fonction de 1933 à 1935) vota des mesures d’urgence pour venir en aide aux chômeurs (Federal Emergency Relief Act) et restaurer l’équilibre des finances publiques (Economy Act). Des réformes ambitieuses furent lancées dans les domaines des marchés financiers (le Federal Securities Act, qui édictait des règles de transparence pour les opérations financières), du secteur bancaire (le Glass Steagall Act, qui séparait les activités des banque de dépôt de celles des banques d’investissement et instaurait le principe d’une garantie fédérale des dépôts bancaires), de l’agriculture (l’Agricultural Adjustment Act, qui mit en place divers mécanismes de lutte contre la surproduction agricole), de la production industrielle (le National Industrial Recovery Act, qui visait à réorganiser l’ensemble de l’industrie américaine sur la base d’un plan rationnel mis en œuvre par une agence fédérale nouvellement créée, la National Recovery Administration).
Durant cette même période furent créées des agences ou des programmes fédéraux comme le Civilian Conservation Corps, destiné à fournir du travail aux jeunes chômeurs, ou la Tennessee Valley Authority, chargée de l’électrification et du développement de la vallée du Tennessee. Enfin, sous l’égide de la Public Works Administration, de grands projets d’équipement furent alors initiés – construction de ponts, de routes, de barrages, d’écoles, de tribunaux, etc. En rupture avec l’orthodoxie monétaire de son prédécesseur, le président Roosevelt prit également la décision de mettre un terme à la convertibilité-or du dollar et signifia ainsi que sa priorité était la relance intérieure : cette dévaluation de fait, suivie par une expansion monétaire, brisa la spirale déflationniste et permit le redémarrage de l’activité économique.
Certaines des mesures les plus emblématiques du « premier New Deal » furent remises en question par la Cour suprême, qui invalida notamment le National Industrial Recovery Act. Alors que la reprise économique tardait à se manifester et qu’émergeait une contestation politique, Roosevelt réagit en lançant un « second New Deal » dont les deux réalisations principales furent le National Labor Relations Act (juillet 1935), qui créa notamment un National Labor Relations Board régissant les relations entre patrons et salariés, et le Social Security Act (août 1935), qui instaura un système de retraites pour les travailleurs âgés de plus de soixante-cinq ans, ainsi que des allocations chômage.
Roosevelt fut réélu triomphalement en novembre 1936. Mais le début de son deuxième mandat fut marqué par un bras de fer avec la Cour suprême et surtout par une rechute de l’économie américaine. Abandonnant le dogme de l’équilibre budgétaire, qui l’avait conduit à réduire prématurément le soutien de l’État fédéral à l’activité économique dès que des signes de reprise étaient apparus, le président Roosevelt décida en avril 1938 de la combattre par une véritable politique de relance par la dépense publique d’inspiration keynésienne.
Document : Franklin D. Roosevelt appelle les Américains à la confiance dans leur système bancaire (12 mars 1933)
Mes amis, je souhaite parler pendant quelques minutes avec le peuple américain du sujet de la banque – parler avec ceux, relativement peu nombreux, qui en comprennent les mécanismes, mais plus particulièrement avec l’écrasante majorité d’entre vous qui utilisez les banques pour y déposer de l’argent ou tirer des chèques. Je souhaite vous dire ce qui a été fait au cours des derniers jours, pourquoi cela a été fait, et ce que vont être les prochaines étapes. Je reconnais que les nombreuses proclamations émanant des capitales des États ainsi que de Washington, les textes de loi, les réglementations en provenance du Trésor, etc., rédigées pour la plupart d’entre elles en des termes de technique bancaire et en des termes juridiques, doivent être expliquées d’une manière telle que chaque citoyen puisse les comprendre. Cela m’est une obligation, tout particulièrement en raison du courage et de la bonne humeur avec lesquels chacun a accepté les inconvénients et les rigueurs de la fermeture temporaire des banques. Et je sais que lorsque vous comprendrez ce que nous autres avons fait à Washington, je continuerai à pouvoir compter sur votre coopération comme j’ai bénéficié de votre sympathie et de votre aide au cours de la semaine dernière.
Tout d’abord, permettez-moi d’exposer un fait simple : lorsque vous déposez de l’argent à la banque, celle-ci ne le place pas dans une salle des coffres. Elle l’investit en différentes sortes de crédits – en obligations, en effets de commerce, en crédits hypothécaires, et en beaucoup d’autres sortes de prêts. En d’autres termes, la banque fait travailler votre argent pour que les rouages de l’industrie et de l’agriculture puissent continuer à tourner. Une part relativement faible de l’argent que vous mettez à la banque est conservée sous forme de billets ou de pièces – un montant qui, en temps normal, est tout à fait suffisant pour couvrir les besoins en espèces du citoyen ordinaire. En d’autres termes, le montant total de toutes les espèces en circulation ne représente qu’une proportion relativement faible du total des dépôts dans l’ensemble des banques de notre pays.
Que s’est-il donc passé pendant les tout derniers jours de février et les tout premiers jours de mars ? En raison d’un manque de confiance de la part du public, il y a eu une ruée d’une grande partie de notre population vers les guichets des banques pour convertir les dépôts en devises ou en or – une ruée telle que les banques les plus solides n’ont pas pu rassembler assez d’espèces pour faire face à la demande. La raison en était que, dans l’urgence, il était bien entendu impossible de vendre des actifs parfaitement sains et de les convertir en espèces à des prix fixés dans la panique très en-dessous de leur valeur réelle.
L’après-midi du 3 mars, il y a une semaine, vendredi dernier, pratiquement aucune banque dans notre pays n’était ouverte pour que l’on puisse y effectuer des transactions courantes. Des proclamations ordonnant leur fermeture, de manière totale ou partielle, avaient été publiées par les gouverneurs dans presque tous les États.
C’est alors que j’ai rendu publique une proclamation par laquelle je décidais de la fermeture nationale temporaire de toutes les banques (« national banking holiday ») ; ce fut la première étape de la reconstruction, par le gouvernement, du tissu financier et économique de notre pays.
La deuxième étape, jeudi dernier, fut la loi votée avec promptitude et patriotisme par le Congrès pour confirmer ma proclamation et élargir mes pouvoirs de sorte qu’il est devenu possible, compte tenu des contraintes de temps, de prolonger ou raccourcir progressivement cette fermeture temporaire dans les jours à venir. Cette loi a aussi permis de mettre en œuvre un programme de sauvetage de nos banques et je souhaite dire à nos concitoyens, où qu’ils soient dans notre pays, que le Congrès des États-Unis – républicains aussi bien que démocrates – a montré dans ces circonstances un dévouement au bien public et une compréhension de l’urgence et de la nécessité d’agir vite dont il est difficile de trouver des exemples dans toute notre histoire.
La troisième étape fut l’ensemble des réglementations qui ont permis aux banques de continuer à tenir leur rôle consistant à assurer la distribution de nourriture et de biens de première nécessité, ainsi que le paiement des salaires. […]
Encore un point avant de conclure. Il y aura, bien sûr, des banques qui ne pourront pas ouvrir à nouveau sans être restructurées. La nouvelle loi permet au gouvernement de contribuer à ces restructurations rapidement et efficacement et lui permet même de souscrire, au moins partiellement, à l’émission de capital qui pourrait être nécessaire.
J’espère que vous pouvez voir, mes amis, à partir de l’exposé de ce que votre gouvernement est en train de faire, qu’il n’y a rien de complexe, rien de radical, dans ce processus.
Nous faisions face à une situation bancaire mauvaise. Certains de nos banquiers se sont montrés soit incompétents, soit malhonnêtes dans la manière dont ils ont géré les fonds du public. Ils ont utilisé l’argent qui leur a été confié pour spéculer ou consentir des prêts mal avisés. Bien entendu, ce n’était pas le cas dans la grande majorité des banques, mais ça l’était dans un nombre suffisant pour traumatiser le peuple américain au point de le plonger, pendant un temps, dans un sentiment d’insécurité et de le mettre dans un état d’esprit tel qu’il ne faisait pas la différence mais paraissait supposer que les actions de quelques-uns avaient corrompu toutes les banques. Ainsi c’est devenu le devoir du gouvernement de remédier à cette situation et de le faire aussi rapidement que possible. Et ce devoir est en train d’être rempli.
Je ne vous promets pas que chaque banque pourra ouvrir à nouveau ou qu’aucune perte d’argent individuelle ne sera encourue, mais il n’y aura pas de pertes qui pourraient être évitées ; et il y aurait eu des pertes plus nombreuses et pour des montants plus élevés si nous avions laissé la situation aller à la dérive. Je peux même vous promettre le sauvetage d’au moins quelques-unes parmi les banques les plus sévèrement atteintes. Nous nous engagerons non seulement à ouvrir à nouveau les banques saines mais aussi à créer des banques plus saines en les restructurant.
Pour moi ce fut merveilleux de percevoir des signes de confiance émanant de tout le pays. Je ne pourrai jamais être assez reconnaissant envers le peuple américain pour le soutien loyal qu’il m’a accordé en approuvant le raisonnement qui a dicté le cours de notre action, même si toutes ses composantes n’étaient peut-être pas claires à ses yeux.
Après tout, dans la réorganisation de notre système financier il y a quelque chose de plus important que la monnaie, de plus important que l’or, et c’est la confiance du peuple. La confiance et le courage sont les deux éléments essentiels pour mener à bien, avec succès, notre plan. Vous qui m’écoutez devez avoir la foi ; vous ne devez pas céder à la panique en raison de rumeurs ou de suppositions. Unissons-nous pour bannir la peur. Nous avons mis en place le mécanisme pour restaurer notre système financier ; c’est votre responsabilité de lui apporter votre soutien et de le faire fonctionner.
Mes amis, ce problème est le vôtre autant que le mien. Ensemble, nous ne pouvons pas échouer.
Texte original en anglais : FDR’s Fireside Chats, Edited by Russell D. Buhite and David W. Levy, University of Oklahoma Press, Norman and London, 1992, p. 12-17.
Traduction en français : Yves-Marie Péréon
Éclairages : le succès politique et médiatique des « causeries au coin du feu »
La « causerie au coin du feu » radiodiffusée (fireside chat) reste certainement le moyen de communication le plus original utilisé par Franklin D. Roosevelt pour s’adresser directement à ses concitoyens. Le succès de ces discours radiodiffusés s’explique en partie par la progression spectaculaire des moyens de communications aux États-Unis au début du xxe siècle et la popularité croissante de la radio pendant les années 1930.
Au fil du temps, Roosevelt perfectionna ce mode de communication, rédigeant ses textes avec le plus grand soin, prêtant attention aux moindres détails de son élocution et allant jusqu’à se faire confectionner un bridge amovible pour éviter le léger sifflement causé par l’espace entre ses incisives inférieures. Comme on peut l’entendre sur l’archive radiophonique de son discours du 12 mars 1933, Roosevelt modulait le ton de sa voix qui n’était pas celui d’un discours politique martial mais d’une conversation visant à créer un sentiment de proximité chez l’auditeur. Chacune de ces interventions était suivie avec passion par les Américains, qui écrivaient à la Maison-Blanche pour faire part de leur soutien ou de leur désaccord.
Roosevelt choisissait le thème de ses causeries dans un but pédagogique : expliquer le contenu et les objectifs d’une réforme, défendre son action à un moment délicat de sa présidence ou encore, avant l’entrée en guerre des États-Unis, présenter les enjeux du conflit à l’opinion publique et la préparer à l’intervention.
La première causerie au coin du feu du président illustre bien sa méthode. Elle fut diffusée dans la soirée du dimanche 12 mars 1933, quelques jours après son investiture le samedi 4 mars. La situation était alors dramatique : les épargnants n’avaient plus confiance en la solidité du système bancaire américain ; partout dans le pays, ils se ruaient aux guichets des banques pour retirer des espèces. Incapables de faire face à ces demandes massives, les banques étaient menacées de faillite.
Pour mettre un terme à la panique, Roosevelt ordonna, le lundi 6, une fermeture nationale temporaire des banques – la « national banking holiday ». Pendant une semaine, son conseiller Raymond Moley (1886 - 1975), le nouveau secrétaire au Trésor William Woodin (1868-1934) et leurs équipes préparèrent leur réouverture ; seules les banques jugées assez solides, après examen par les fonctionnaires fédéraux du Trésor, furent autorisées à reprendre leur activité. Le jeudi 9 mars, le Congrès vota une loi bancaire d’urgence (« Emergency Banking Act ») qui étendit les pouvoirs de l’exécutif face à la crise.
Ce fut à Roosevelt qu’il incomba de convaincre ses concitoyens de faire à nouveau confiance aux banques américaines. L’enjeu était considérable, puisque les banques devaient rouvrir dès le lendemain de son allocation radiodiffusée. Parlant à ses « amis », il usa de mots simples et d’expressions imagées pour expliquer des mécanismes complexes – « il est plus sûr de garder votre argent dans une banque […] que sous votre matelas ».
L’un des passages les plus célèbres du discours d’investiture prononcé par Roosevelt quelques jours auparavant était celui dans lequel le nouveau président exhortait ses concitoyens à ne pas avoir peur : « the only thing we have to fear is fear itself » ; on en percevait l’écho dans cette première causerie au coin du feu lorsqu’il réitérait son appel à ne pas avoir peur. Il avait aussi condamné, lors de son investiture, les « marchands du temple » et ne manquait pas de fustiger, à nouveau, « certains […] banquiers », incompétents ou malhonnêtes. Mais il n’annonçait pas, pour autant, une révolution, et insistait sur le caractère raisonnable des mesures prises.
Le président Roosevelt gagna finalement son pari : en quelques jours, la plupart des banques purent rouvrir et les Américains ne se précipitèrent pas à leurs guichets pour vider leurs comptes de leur épargne. Raymond Moley salua cette victoire dans un passage célèbre de ses souvenirs publiés en 1939 : « Le capitalisme a été sauvé en huit jours. »