Contexte : 6 août 1945, Hiroshima, une ville rayée de la carte
Avant d’être touchée par la première bombe atomique le 6 août 1945, la ville portuaire d’Hiroshima n’avait pas connu de bombardements aériens massifs. C’est pour cette raison que le commandement américain a choisi cette ville : à la différence de Tokyo plusieurs fois bombardée, Hiroshima pouvait être un terrain d’expérimentation pour tester les effets de la bombe atomique. Kyoto, qui figurait initialement sur la liste des villes « atomisables », fut enlevé par Henry Stimson, Secrétaire américain à la Guerre, qui ne souhaitait pas détruire l’ancienne capitale impériale dans laquelle il avait effectué son voyage de noces et dont il admirait les temples et palais.
Le 6 août 1945, l’explosion de la bombe atomique s’est produite à près de 600 mètres de hauteur, dans le centre-ville d’Hiroshima, au-dessus des habitations proches des rivières Motoyasu et Honkawa. Les ponts en béton qui se trouvaient à proximité de l’hypocentre (ou Ground Zero – point zéro au sol) ne se sont pas effondrés, mais sous l’action de la chaleur la structure métallique a fondu partiellement, et les ponts se sont légèrement affaissés. Jusqu’à 500 mètres de l’hypocentre, toutes les constructions à structure métallique furent détruites. Après l’explosion, seules quelques constructions en béton plus solides furent épargnées dans cette zone. C’est le cas du hall préfectoral de promotion industrielle, construit en 1915 par l’architecte tchécoslovaque Jan Letzel, situé à 160 m de l’hypocentre, partiellement endommagé par l’explosion et les incendies. Ce bâtiment, connu sous le nom de dôme de la bombe A, est aujourd’hui le symbole et le musée de la paix et de la tragédie nucléaire au Japon (Il.1).
Les destructions des infrastructures, moins importantes à distance de l’hypocentre, furent principalement dues à l’explosion et au souffle qui l’a suivi. L’explosion de la bombe à 600 mètres de hauteur renforça la puissance du souffle et les dégâts matériels, mais elle réduisit la propagation des radiations. Si l’explosion s’était produite au sol, les radiations auraient été plus importantes et plus dangereuses à long terme.
Archive : deux photographies prises à Hiroshima prise après l’explosion atomique (1945)
Cette photographie (Ill.2) prise le 12 octobre 1945 depuis un avion américain survolant la ville est l’un des premiers clichés aériens offrant un panorama du centre-ville d’Hiroshima. Pour l’armée américaine, ces photographies aériennes poursuivent un double objectif : étudier les effets matériels de la bombe et informer les Alliés, au premier titre l’URSS, de la puissance de son nouvel arsenal nucléaire.
Sur cette photographie, on distingue très nettement les quelques structures en béton qui ont partiellement résisté à la différence des structures en bois, encore nombreuses en 1945. L’absence de reliefs dans la ville (les collines environnant Hiroshima sont situées à plusieurs kilomètres), explique les effets dévastateurs de la bombe dont le souffle n’a rencontré aucun obstacle naturel. On ne retrouve pas cette caractéristique à Nagasaki où le relief plus accidenté a amorti la zone d’impact de la bombe.
Sur cette deuxième photographie (Ill.3), l’homme a été brûlé par le flash thermique de la bombe. Seule la taille protégée par une ceinture épaisse a échappé à la brûlure. Cette photographie a été prise le 7 août 1945 dans un bureau de quarantaine d’Hiroshima, chargé d’accueillir les blessés. Elle appartient à une série de clichés pris par le photographe japonais Masami Onuka, lui-même rescapé du bombardement. Elle sera publiée pour la première fois dans le magazine japonais Asaho Grafu, le 6 août 1952. Elle est aujourd’hui exposée au Hiroshima Peace Memorial Museum et constitue un des clichés les plus diffusés pour rendre compte des conséquences de la bombe atomique sur le corps humain.
Sur cette photographie l’homme, gravement brûlé, est posé sur une simple couverture sans bandages ni perfusion. Ce dénuement est révélateur de la difficile prise en charge médicale des dizaines de milliers de blessés accueillis dans des centres de soins improvisés souvent très éloignés du centre d’Hiroshima. En raison des manques de soins, d’infrastructures et de personnel médical, le taux de mortalité des victimes fut très élevé dans les jours qui suivirent le 6 août 1945.
Dès l’automne 1945, les scientifiques américains étudièrent les dommages de la bombe atomique à Hiroshima et Nagasaki. Cette enquête au long cours fut publiée en 1981 sous le titre The physical, medical, and social effects of the atomic bombings (les effets physiques, médicaux et sociaux des bombardements atomiques). Cette étude ne se limite pas aux quelques mois qui ont suivi la catastrophe, mais couvre trois décennies qui offrent un aperçu complet sur les conséquences médicales et génétiques des bombardements. La durée de cette enquête permet d’estimer le nombre total de victimes des bombardements atomiques entre 60.000 et 200.000 à Hiroshima et Nagasaki.
Cette variation s’explique par la difficulté du recensement des morts en 1945 et par les effets à long terme de la bombe qui ne sont pas toujours mesurables. Les radiations provoquèrent en effet des maladies graves (leucémie, cancers de la tyroïde) au bout de plusieurs jours, plusieurs semaines voire plusieurs années. Les hibakusha – terme désignant au Japon les survivants affectés par la bombe atomique – développèrent ainsi différentes formes de cancer et leurs enfants eux-mêmes furent parfois touchés par de malformations. Ces conséquences médicales à long terme, effrayantes car invisibles, expliquent les discriminations dont furent victimes les hibakushas au Japon (célibat, chômage). Ces effets à long termes jouèrent un rôle de premier plan dans la terreur générée par l’arme atomique.