Contexte : qui sont les volontaires des Brigades internationales ?
Les Brigades internationales sont créées en octobre 1936 à partir des effectifs de la « Colonne internationale », une formation de volontaires rassemblés par les partis communistes en France et en Belgique dans le sillage des « Fronts populaires antifascistes ». Créées par l’Internationale communiste, ces formations n’ont pourtant pas été armées ni équipées par les soviétiques.
Plus de 40 000 étrangers y combattent aux côtés des « Gouvernementaux ». Une majorité d’entre eux sert dans les Brigades internationales qui sont à la fois un corps d’armée et une organisation politique indépendante avant d’être transformée en armée régulière sous les ordres du gouvernement à l’automne 1937. Les Brigades internationales, dont le quartier général se trouve à Albacete (Castilla-La Mancha), comptent alors jusqu’à sept brigades (environ deux mille soldats chacune) et des dizaines de batteries d’artillerie, des hôpitaux et des usines. Parmi les hommes venus servir dans les Brigades, on compte 77 nationalités dont la grande majorité venait de seulement six pays (dans l’ordre décroissant : France, États-Unis, Belgique, Tchécoslovaquie, Canada et Suisse). La moitié de ces volontaires n’avaient pas la nationalité du pays où ils résidaient avant de partir ; ce sont des immigrés économiques ou des réfugiés : Polonais de France ou Italiens de Belgique, Serbes des États-Unis ou Croates du Canada.
La fermeture de la frontière française au nom de la « non-intervention » en mars 1937 et l’âpreté des combats provoquent une chute presque continuelle des effectifs étrangers. À partir du mois de septembre 1937, la plus grande partie des volontaires est désormais composée des conscrits espagnols qui furent adjoints aux Brigades internationales afin de maintenir les effectifs. À l’automne 1938, les Brigades internationales sont finalement démobilisées par le gouvernement républicain espagnol qui espérait ainsi, mais sans succès, convaincre ses adversaires de retirer les corps expéditionnaires italiens et allemands.
Parmi les volontaires, près d’un millier de femmes se sont engagées dans les activités sanitaires et médicales (Ill. 2, Infirmières volontaires néerlandaises). Dès août 1936, le recrutement d’infirmières est organisé en Grande-Bretagne, Suisse, France et Tchécoslovaquie pour venir en aide aux « gouvernementaux » dont le réseau hospitalier est alors déstructuré, la Croix-Rouge espagnole étant passée du côté de la rébellion militaire. Le Service sanitaire international (SSI), service de santé des Brigades internationales, est alors accompagné d’une centrale de coordination mondiale : la Centrale sanitaire internationale (CSI).
La guerre civile espagnole a également suscité un engagement majeur des intellectuels, écrivains et artistes aux côtés de la République espagnole par la plume, le pinceau, la voix ou la caméra. (Ill. 1 : Les écrivains…). Dans la lignée d’André Malraux, John Cornford, Ludwig Renn, Gustav Regler ou Wystan Hugh Auden, beaucoup sont partis combattre comme volontaires et ont laissé des témoignages écrits de leurs expériences de guerre.
Archive : Un fragment de Babel, le cahier du volontaire Gustav Regler
Gustav Regler (1898 – 1963), écrivain allemand antifasciste, a été profondément marqué par l’événement de la guerre d’Espagne. Après avoir fui l’Allemagne nazie, il s’engage dans les Brigades internationales. Son profil d’intellectuel et de communiste fervent lui permettent de devenir commissaire de guerre dans les Brigades internationales, une fonction originale consistant à veiller sur le moral des combattants et à s’occuper de la propagande. Observateur de son siècle et pourfendeur des totalitarismes, Gustav Regler est mondialement connu pour ses ouvrages sur la guerre civile espagnole, notamment The Great Crusade (1940), préfacé par Ernest Hemingway, ou, en France, par son autobiographie Le glaive et le fourreau (1960).
Durant la guerre d’Espagne, Gustav Regler conserve dans un grand cahier des centaines de feuillets couverts de notes mais aussi des textes dactylographiés et de rapports divers. Ce cahier polyglotte est une pièce unique, un instantané de la guerre, dont il porte d’ailleurs les stigmates. Perforé à la tranche par un objet qui l’a en partie déchiqueté, taché, déchiré et bricolé. En 1939, alors interné au camp français du Vernet en tant qu’« étranger indésirable », le cahier de Regler est saisi par la police et versé aux archives françaises. Il est aujourd’hui consultable sous la cote F/7/14742 des Archives nationales.
Gustav Regler était commissaire adjoint de la seconde brigade internationale (XIIe brigade) qui comprenait des volontaires d’une vingtaine de nationalités différentes. Dans cette Babel de langues, d’origines et parcours, l’écrivain proscrit mit au profit de la propagande républicaine sa connaissance des langues et son expérience intime du fascisme.
Gustave Regler a conservé des documents susceptibles de fournir la matière romanesque à son œuvre d’écrivain. Dans son cahier, on trouve le témoignage d’un volontaire français relevant le courage des Madrilènes face aux privations et aux bombardements (voir ci-dessous). La rencontre avec la population espagnole, ceux-là même qu’ils sont venus défendre, est un épisode récurrent de ces récits, souvent poignants. À l’instar d’Eric Blair (George Orwell) ou de la philosophe Simone Weil, les volontaires ont rejoint les combattants antifascistes portés par un sentiment d’empathie pour le peuple espagnol qui dépasse largement la seule adhésion politique.
L’avis de recherche conservé par Gustav Regler (ci-dessus) concerne un jeune lycéen âgé de 16 ans (Angel Perez Martinez) issu de la bourgeoisie libérale espagnole qui a fugué de son pensionnat en Allemagne pour combattre en Espagne dans les Brigades internationales. Ces jeunes combattants étaient susceptibles de ternir la réputation de l’armée républicaine espagnole en raison des protestations de leurs familles, raison pour laquelle, ces volontaires devaient être identifiés pour être retrouvés et renvoyés dans leur pays. Une telle mobilisation rend bien compte de la fascination que pouvait exercer les Brigades internationales sur la jeunesse européenne, garçons et filles. Gustav Regler a conservé cet avis de recherche, peut-être comme matière pour un futur roman.
Le combattant Regler est un observateur et son cahier abonde de tapuscrits qui seront la matière de ses œuvres postérieures. L’extrait ci-dessus, qui relate un assaut du bataillon italien Garibaldi, sera par la suite intégré dans The Great Crusade publié en 1940. Ce livre fera l’objet de plusieurs réécritures, à mesure de la désaffection de l’auteur envers le stalinisme puis le communisme, jusqu’à devenir en 1976 un best-seller anticommuniste sous le nouveau nom de Das Grosse Beispiel (Le grand exemple). Après sa rupture avec le communisme survenue durant la Seconde Guerre mondiale, il réécrit progressivement son témoignage de la guerre d’Espagne, suivant en cela l’évolution d’une mémoire désenchantée et les repositionnements mémoriels de la guerre froide. L’archive vient ici au secours de l’historien pour distinguer ce que le volontaire a écrit, ce que le témoin en a dit ensuite, et ce que l’écrivain a reformulé, passant de l’exaltation au désenchantement et à l’amertume.