Mise au point : l’installation progressive des populations juives en Palestine, des années 1880 à la création d’Israël (1948)
Apparu en Europe dans le dernier tiers du xixe siècle, le sionisme (Sion est l’un des noms de Jérusalem dans la Bible) est un mouvement national militant pour la création d’un foyer national pour le peuple juif en Palestine. Ce mouvement politique se structure dans l’Organisation sioniste mondiale, créée en 1897 sous l’impulsion de l’écrivain Theodor Herzl (1860 - 1904). Dès 1882, des groupes juifs fuyant les pogroms en Europe de l’Est avaient commencé à s'installer en Palestine, qu'ils appelèrent Eretz Israël (le pays d’Israël). La Palestine était alors administrée par deux gouverneurs nommés par le pouvoir central ottoman : la partie occidentale était dirigée depuis Beyrouth et la partie orientale depuis Damas. À la veille de la Première Guerre mondiale, 700 000 personnes y vivaient, dont 540 000 musulmans, 70 000 chrétiens et 90 000 Juifs.
À partir de 1917, les Britanniques, par la voix d’Arthur Balfour (1848-1930), secrétaire d’État aux Affaires étrangères, se dirent favorables (« déclaration Balfour » du 2 novembre 1917) à la création d’un foyer national pour les Juifs sur le territoire palestinien qu’ils occupaient dans le cadre de la guerre contre l’Empire ottoman, allié de l’Allemagne pendant la Première Guerre mondiale. À partir de 1922, les Britanniques furent mandatés par la Société des Nations pour administrer la Palestine et permirent aux Juifs d'y émigrer, de transférer des fonds et des biens, de créer des usines, d'acheter des terres et de fonder des villes et villages nouveaux.
Sur le territoire palestinien, la population arabe développait une conscience nationale basée sur son identité locale, mais elle fut également influencée par les idées nationalistes européennes, elles-mêmes véhiculées par le nationalisme arabe, un courant qui avait commencé à se développer au sein de l'Empire ottoman, pendant les trente dernières années du xixe siècle. Le nationalisme palestinien s’est formé dans la décennie qui précède la Première Guerre mondiale, sans se différencier encore tout à fait de l'identité nationale de la « Grande Syrie », une idéologie nationaliste et irrédentiste qui englobait la Palestine, la Syrie, le Liban et la Jordanie. C’est véritablement après la guerre que commença à s'élaborer une identité palestinienne fondée, entre autres, sur l'opposition au mouvement sioniste et au mandat britannique qui le soutenait.
L'opposition palestinienne se manifesta violemment contre les Juifs et les Britanniques en 1921, 1929 et lors de « la Grande révolte arabe » (1936-1939). Les Palestiniens optèrent pour une résistance violente pour empêcher la croissance de l'implantation juive en Palestine, avec la crainte que ce mouvement ne conduise à la création d'un État juif soutenu par les Britanniques. Mais ces manifestations ne mirent pas fin à l’émigration juive en Palestine : à la fin du mandat britannique, en mai 1948, près de 600 000 Juifs vivaient en Palestine et environ 1 250 000 Palestiniens. Au cours du mandat britannique, le nombre d'habitants juifs fut donc multiplié par environ six et demi.
Après la Seconde Guerre mondiale, les Britanniques décidèrent de mettre un terme à leur mandat en raison du coût financier et de la difficulté de plus en plus grande à maintenir l’ordre en Palestine. Ils devaient, en effet, faire face aux attaques terroristes de groupes armés juifs (comme l’Irgoun, organisation militaire de la droite sioniste) qui protestaient contre la limitation, par les autorités mandataires, de l’immigration des populations juives rescapées de la Shoah. Pour sortir de cette impasse, la Grande-Bretagne décida de confier le sort de la Palestine aux Nations-Unies qui recommanda en août 1947 de partager le territoire entre deux États indépendants : un État juif sur près de 55 % du territoire et un État arabe sur les 45 % restants (Ill. 1). Ces recommandations furent adoptées par l'Assemblée générale des Nations Unies en novembre 1947, ce que les Juifs accueillirent favorablement.
Les Palestiniens rejetèrent le plan de partage, soutenant que l’étendue du territoire qui leur était attribué était inversement proportionnelle au rapport démographique entre les deux peuples en 1948. Les violences armées entre les communautés juives et arabes prirent la forme d’une véritable guerre entre la Haganah (groupe de défense armée des populations juives en Palestine) et les populations arabes soutenues par les volontaires égyptiens, syriens et irakiens. La veille du jour du départ des Britanniques les Juifs proclamèrent la création de l'État d'Israël (14 mai 1948).
La guerre dura jusqu'en janvier 1949 et se conclut sur une série d'accords d'armistice entre l'État d'Israël et ses voisins (Égypte, Liban, Transjordanie, Irak). En 1949, les victoires militaires du nouvel État d'Israël permirent aux Israéliens d’occuper désormais 77% de l’ancienne Palestine mandataire, bien au-delà des lignes de partages fixées par l’ONU en 1947 (Ill.1), tandis que 650 000 Palestiniens s'enfuirent ou furent expulsés. Ils ne furent pas autorisés à revenir et devinrent des réfugiés dans les pays arabes limitrophes. Cet exode est retenu dans la mémoire collective palestinienne sous le terme de Naqba (cataclysme, calamité).
Document : Extraits de la Déclaration d'Indépendance de l'État d'Israël (14 mai 1948)
La Déclaration d'Indépendance de l'État d'Israël
Eretz-Israël [le pays d'Israël] est le lieu où naquit le peuple juif. C'est là que se forma son caractère spirituel, religieux et national. C'est là qu'il réalisa son indépendance, créa une culture d'une portée à la fois nationale et universelle et fit don de la Bible au monde entier.
Contraint à l'exil, le peuple juif demeura fidèle au pays d'Israël à travers toutes les dispersions, priant sans cesse pour y revenir, toujours avec l'espoir d'y restaurer sa liberté nationale.
Motivés par cet attachement historique, les juifs s'efforcèrent, au cours des siècles, de retourner au pays de leurs ancêtres pour y reconstituer leur Etat. Tout au long des dernières décennies, ils s'y rendirent en masse : pionniers, immigrants et défenseurs. Ils y défrichèrent le désert, firent renaître leur langue, bâtirent cités et villages et établirent une communauté en pleine croissance, ayant sa propre vie économique et culturelle. Ils n'aspiraient qu'à la paix encore qu'ils aient toujours été prêts à se défendre. Ils apportèrent les bienfaits du progrès à tous les habitants du pays. Ils nourrirent toujours l'espoir de réaliser leur indépendance nationale. […]
C'est de plus, le droit naturel du peuple juif d'être une nation comme les autres nations et de devenir maître de son destin dans son propre Etat souverain.
En conséquence, nous, membres du conseil national représentant le peuple juif du pays d’Israël et le mouvement sioniste mondial, réunis aujourd’hui, jour de l’expiration du mandat britannique, en assemblée solennelle, et en vertu des droits naturels et historiques du peuple juif, ainsi que de la résolution de l’assemblée générale des nations unies, proclamons la fondation de l’Etat juif dans le pays d’Israël, qui portera le nom d’Etat d’Israël. […]
L'Etat d’Israël sera ouvert à l'immigration des juifs de tous les pays où ils sont dispersés; il développera le pays au bénéfice de tous ses habitants; il sera fondé sur les principes de liberté, de justice et de paix enseignés par les prophètes d'Israël; il assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe; il garantira la pleine liberté de conscience, de culte, d'éducation et de culture; il assurera la sauvegarde et l'inviolabilité des Lieux saints et des sanctuaires de toutes les religions et respectera les principes de la Charte des Nations unies. […]
Aux prises avec une brutale agression, nous invitons cependant les habitants arabes du pays à préserver les voies de la paix et à jouer leur rôle dans le développement de l'Etat sur la base d'une citoyenneté égale et complète et d'une juste représentation dans tous les organismes et les institutions de l'Etat, qu'ils soient provisoires ou permanents.
Nous tendons la main de l'amitié, de la paix et du bon voisinage à tous les Etats qui nous entourent et à leurs peuples. Nous les invitons à coopérer avec la nation juive indépendante pour le bien commun de tous. L'Etat d'Israël est prêt à contribuer au progrès de l'ensemble du Moyen Orient.
Traduction de la déclaration d’Indépendance : Ministère israélien des affaires étrangères Source : Pouvoirs, 2011.
Éclairage : La déclaration d’indépendance (1948) justifie l’existence de l’État d’Israël
Le texte de la Déclaration d'Indépendance a été rédigé entre le 24 avril et le 13 mai 1948 par des juristes et des hommes politiques membres de la direction sioniste du « Yishuv », nom donné à la communauté politique des Juifs en Palestine avant la création d’Israël. Elle eut plusieurs versions, corrigées et amendées par un certain nombre de commissions ad hoc, jusqu'à ce que soit obtenu le texte final ratifié par David Ben Gourion (1886 - 1973), président du Gouvernement temporaire du Yishuv (avril - mai 1948) et premier chef de gouvernement provisoire de l'État d'Israël (mai 1948 - mars 1949).
Cette déclaration d’indépendance fut lue au cours d'une cérémonie officielle qui se déroula dans le hall du musée de Tel Aviv, le 14 mai 1948, et à laquelle participèrent les membres du Conseil national – le parlement temporaire du Yishuv – qui ratifièrent sa formulation. Ils cosignèrent ensuite un parchemin (Ill.2) auquel furent adjoints un lacet de couleur et un sceau rouge, destinés à lui octroyer une apparence solennelle.
La Déclaration, appelée communément « Charte de l’Indépendance », fut ensuite transcrite en lettres hébraïques traditionnelles ressemblant à celles de la Bible, dans l'intention de marquer sa sainteté. Elle est largement affichée dans les écoles et les institutions gouvernementales et de nombreux débats politiques et juridiques se réfèrent à ses différents paragraphes. Sans tenir lieu de véritable constitution pour Israël, elle reste un texte fondateur.
Dans la première partie de la déclaration, l'évocation du passé légitime l'existence de l'État d'Israël. Pour ce faire, elle s'ouvre sur l'affirmation que le peuple juif est né en Eretz Israël, qu'il y est devenu souverain et qu'il y a créé sa culture particulière. Elle raconte ensuite le départ du peuple en exil à la suite de la destruction du temple de Jérusalem (70 ap. J.-C.), sa nostalgie ininterrompue du pays et son retour « au cours des dernières générations ».
La Déclaration se réfère ensuite à la reconnaissance internationale du droit du peuple juif à sa patrie historique, depuis la déclaration Balfour (2 novembre 1917), via le mandat britannique, sans faire allusion à l'État palestinien qui devait être édifié dans son voisinage. Enfin, la Déclaration rappelle « le droit naturel du peuple juif d'être une nation », faisant ici référence implicitement à la Charte des nations Unies (26 juin 1945) qui mentionnait le droit des peuples à l’auto-détermination. Les membres de la direction sioniste du Yishuv choisirent le nom d’Israël pour le nouvel État, soit le nom de Jacob et de ses enfants à l’origine des 12 tribus qui formèrent le premier royaume juif dans la Bible. Cette appellation permettait en théorie aux habitants non-juifs de s'identifier au nouvel État. Alors que des appellations comme « État des Juifs » auraient pu être comprises comme excluantes, les futurs citoyens d’Israël pouvaient, ainsi, se nommer arabes-israéliens, ou druzes-israéliens, à la manière des juifs-allemands ou juifs-italiens.
Dans la troisième partie, le futur État est décrit comme observant l'égalité, la liberté et la justice pour tous ses citoyens. Cette partie s'appuie sur le discours international des droits de l'homme en vigueur à l'époque qui s'exprima dans la Déclaration universelle des Droits de l'homme adoptée par l'ONU le 10 décembre 1948. Les partis de gauche et les partis arabes s'y référèrent lorsqu'ils exigèrent l'égalité des droits pour tous les habitants du pays.