Le témoignage de Pham Thanh Tâm

Combattant vietminh à Diên Biên Phu (1954)

Phan Thanh Tâm, soldat et artiste, a laissé un témoignage exceptionnel pour comprendre les représentations et les expériences ordinaires des soldats de l’armée populaire vietnamienne. Les quelques extraits présentés ici permettent de comprendre comme la bataille de Diên Biên Phu a été vécue, du côté vietminh, comme une guerre de résistance contre l’occupation française.

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Le témoignage de Pham Thanh Tâm

Sommaire

Contexte : la bataille Diên Biên Phu (mars-mai 1954) et ses mémoires

En 1953, le nouveau commandant en chef en Indochine, le général Navarre, propose un plan d’action destiné à « fixer » le corps de bataille vietminh en le forçant à accepter une bataille décisive. Le lieu choisi pour cette bataille est une vallée au nord du Vietnam, au Tonkin, non loin de la frontière du Laos dans laquelle, parmi de nombreux villages de l’ethnie Thaïe, se trouve celui de Diên Biên Phu. Le corps expéditionnaire français investit cette plaine à partir du 21 novembre 1953 et y installe progressivement un camp retranché derrière des points d’appui positionnés sur des collines étendues le long d’une rivière et d’une ancienne piste d’aviation japonaise, relique de la Seconde Guerre mondiale. Cette vaste plaine, rapidement dénommée « cuvette » par la presse, est entourée de montagnes à la végétation dense que les Français surveillent mais sur lesquelles ils ne s’installent pas : une erreur tactique qui permet aux armées vietminh d’encercler le camp français. La bataille proprement dite est déclenchée le 13 mars 1954 par une attaque vietminh et se conclut par la prise du camp français les 7 et 8 mai 1954.

Les mémoires de Diên Biên Phu sont entretenues en France par le témoignage d’anciens combattants marqués par la défaite française et les souffrances endurées par les prisonniers de guerre. En revanche, les mémoires vietnamiennes de cet évènement restent peu connues en France car les témoignages des anciens combattants vietminh sont rarement traduits. Édité en 2011, la traduction française des Carnet de guerre d’un jeune Viêt-minh à Diên Biên Phu constitue, de ce point de vue, une heureuse exception. Le témoignage du soldat Pham Thanh Tâm, combattant de l’Armée populaire vietnamienne au moment de la bataille de Diên Biên Phu, nous plonge dans un autre imaginaire politique de la bataille considérée ici comme une victoire patriotique dans la guerre de résistance nationale menée contre les Français.

Archive : journal de campagne de Pham Thanh Tâm à Diên Biên Phu, (février-août 1954)

Extrait du 26 février (sur la route vers Dien Bien Phu) : « […] Une fois de l’autre côté

du fleuve, nous nous sommes arrêtés pour quelques heures et avons rencontré une brigade de jeunes volontaires. Ils viennent tous de familles rurales très pauvres, ça se voit tout de suite. La plupart ont entre 18 et 25 ans mais beaucoup n’ont que 16 ou 17 ans. Ceux-là ont sûrement dû faire une fausse déclaration pour se faire engager. Ils ont des visages innocents d’enfants et ne rêvent que de porter l’uniforme des soldats de l’Oncle Hô. »

Extrait du 10 mars : « […] Je viens d’apprendre par radio que nos commandos ont détruit 18 avions ennemis au sol à Gia Lam, à Hanoi, et 60 à Cat Bi, à Haiphong. Détail intéressant : parmi les pilotes, il y avait des pilotes américains. C’est bien la preuve que les Etats-Unis aident les Français. […] »

Extrait du 13 mars (jour de l’attaque) : « Une lettre de l’Oncle Hô vient d’arriver à l’état-major ! Assis sur le toit de l’abri, Mau, le commissaire politique de la division, nous l’a lue à haute voix : « Je vous invite à partir au combat. J’attends des nouvelles de vos exploits pour récompenser les unités et les individus le plus courageux. Je vous souhaite une grande victoire. Je vous embrasse. » À 4 heures de l’après-midi exactement Thuoc, le commandant député du régiment, reçoit l’ordre d’ouvrir le feu […] Le camarade Tong Tu à son tour transmets l’ordre reçu à toutes les unités : « Nous participons à une bataille historique. Camarades, visez juste pour remporter la victoire ! »[…] »

Extrait du 27 avril : « A l’état-major de la division. D’après Lâm, à la conférence de Genève, M. Molotov a fait allusion dans son discours aux problèmes de la Corée et du Vietnam. […] »

Extrait du 7 mai : « Selon mon ami Thanh, de la C753, officiers et soldats, blancs ou de couleur, se sont alignés sur quatre rangs. Un des Vietnamiens (s’étant battu du côté français) s’est écrié en voyant nos soldats : « Vous nous sauvez la vie ! Ça pue là-dedans et les lance-roquettes de Staline nous flanquent la trouille ! ». Je ressens du mépris pour lui mais aussi de la pitié pour lui et pour notre peuple. Nous avons été divisés et incités à nous entre-tuer pour l’ennemi. […] La nouvelle de notre victoire s’est répandue peu à peu au courant de la soirée. Des cris de joie s’élevaient dans les champs et sur les collines rouges de sang et brûlées par le napalm. Ces jeunes fantassins, ces petits fantassins étaient victorieux ! Comme nous sommes heureux ! […] Les dakotas continuent le parachutage de vivres. Sans doute que Navarre et le gouvernement fantoche à Hanoi sont au courant de la situation tragique dans laquelle se trouvent leurs troupes et continuent de les ravitailler. […] »
 

Le journal de campagne de Pham Thanh Tâm, daté du 21 février au 28 août 1954, rend compte de l’idéologie et de la propagande diffusées par « l’oncle Hô » (Hô Chi Minh 1890-1969) aux jeunes vietnamiens depuis la fin des années 1940. Pham Thanh Tâm témoigne de la foi des combattants vietminh, à l’instar de ces jeunes volontaires décrits dans l’extrait du 26 février 1954 : « La plupart ont entre 18 et 25 ans mais beaucoup n’ont que 16 ou 17 ans. Ceux-là ont sûrement dû faire une fausse déclaration pour se faire engager. Ils ont des visages innocents d’enfants, et ne rêvent que de porter l’uniforme des soldats de l’Oncle Hô ».

Les commissaires politiques et formateurs militaires en Chine instruisent alors les soldats sur les enjeux politiques et internationaux de la guerre. Pham Thanh Tâm lui-même, deux ans avant d’arriver à Diên Biên Phu, a été envoyé dans un centre d’entraînement du Yunan afin de recevoir une instruction politique, idéologique et militaire. Ses carnets révèlent son intérêt pour le contexte international, un intérêt qu’il doit également à son éducation urbaine, laquelle le distingue de la plupart des combattants. Le 27 mai 1954, il cite ainsi l’intervention du ministre des Affaires étrangères de l’Union Soviétique (V. Molotov) à la Conférence de Genève (26 avril – 20 juillet 1954) et comprend que l’effort de guerre répond directement à la nécessité d’obtenir un rapport de force favorable lors des négociations internationales portant, entre autres, sur le sort du Vietnam.

Au moment de la victoire à Diên Biên Phu (extrait du 7 mai), Pham Thanh Tâm éprouve une immense joie et une profonde fierté. Il en oublie presque les divisions et rancœurs, aggravées par le conflit, entre les combattants « de l’armée fantoche », vietnamiens ou issus d’autres ethnies ayant combattu côté français (parfois contre leur gré il est vrai) et ceux qui avaient choisi (pas toujours volontairement non plus) le combat aux côtés du Vietminh (« Je ressens du mépris pour lui mais aussi de la pitié pour lui et pour notre peuple. Nous avons été divisés et incités à nous entre-tuer pour l’ennemi […] »).

Ce dernier extrait permet de nuancer l’idée d’une guerre uniquement vécue par les combattants vietminh sous l’angle d’un affrontement entre Hanoi et Paris puis Washington. Car durant 30 ans (1945-1975), la guerre d’Indochine et du Vietnam fut également une guerre opposant les Vietnamiens entre eux et qui mérite, à ce titre, d’être replacée à l’échelle de l’histoire du Vietnam comme s’efforce de le faire aujourd’hui la recherche historique. Il existe au Vietnam différents courants politiques (nationaliste monarchiste, républicain, ethnique) qui n’ont pas forcément adhéré à la vision communiste du nationalisme d’Hô Chi Minh. Ces dissensions internes ont eu des conséquences sur l’engagement des Vietnamiens dans une guerre d’indépendance que les historiens vietnamiens nomment « la Résistance contre les Français ». Les Français ont intégré à leurs troupes régulières des Vietnamiens (non communistes ou du moins non affiliés) mais aussi des supplétifs issus souvent d’ethnies opprimées par les Vietnamiens. Ce sont ces soldats ayant combattu aux côtés des Français qui inspirent le « mépris » mais aussi la « pitié » à Pham Thanh Tâm à la fin de la bataille. Les prisonniers indochinois de Diên Biên Phu ont vite été séparés des « Européens » et les témoignages français s’accordent à dire que leur sort n’a pas été plus enviable.

Citer cet article

Laure Monin-cournil , « Le témoignage de Pham Thanh Tâm », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 26/11/22 , consulté le 19/04/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22024

Bibliographie

Pham Thanh Tâm, Carnet de guerre d’un jeune Vietminh à Diên Biên Phu, Armand Colin, 2011

Journoud Pierre et Tertrais Hugues (sous la dir. de ), 1954-2004, La bataille de Diên Biên Phu, entre histoire et mémoire, Paris-St Denis : SFHOM, 2004, actes du colloque « la bataille de Diên Biên Phu, entre histoire et mémoire » , 21 et 22 novembre 2003, Paris

Monin-Cournil, Laure, Diên Biên Phu, des tranchées au prétoire, 1953-1958, ed. Les Perséides, 2020

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