Histoire d’un geste : donner le biberon aux enfants malades

Les auxiliaires de puéricultures sont formées aux soins maternels dans les écoles agréées par l’État français depuis 1947. Dans certaines écoles, l’accueil des enfants malades nécessite un soin tout particulier donné à l’alimentation. C’est le cas de la pouponnière-école de Saint-Cyr au Mont-d’Or où les élèves apprennent à préparer et à donner le biberon sous le contrôle d’un médecin-chef, d’une diététicienne et d’infirmières puéricultrices. Cet encadrement donne lieu à la rédaction de rapports rédigés par les élèves pour corriger leurs erreurs. Conservés aux archives départementales du Rhône, ces rapports révèlent l’importance particulière donnée à ce geste dans la formation des auxiliaires de puériculture.

Archive pour la classe

Histoire d’un geste : donner le biberon aux enfants malades

Ill.1. Photographie extraite de l’article consacré à la Pouponnière-école de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or dans La Croix-Rouge Suisse, 15 octobre 1956
Ill.1. Photographie extraite de l’article consacré à la Pouponnière-école de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or dans La Croix-Rouge Suisse, 15 octobre 1956. Source : www.e-periodica.ch
Sommaire

Contexte : la formation des auxiliaires de puériculture dans la pouponnière de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or (région lyonnaise)

La Chaux est une école privée de la Croix-Rouge française, située à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or (région lyonnaise) et agréée après la publication du décret du 13 août 1947 créant le diplôme d’État de puéricultrice. Cette pouponnière-école, créée en 1942, forme des auxiliaires de puériculture jusqu’au début des années 1980. Elle accueille environ 70 élèves par an, divisées en deux promotions. Toutes internes, ces élèves restent un an dans l’école, qui est rattachée à une pouponnière, nom donné aux établissements accueillant les enfants de la naissance à trois ans qui sont placés en dehors du cadre familial, pour des raisons sanitaires ou sociales. Pendant leurs stages, les élèves auxiliaires de puériculture travaillent dans les différents services organisés selon l’âge des enfants et les besoins spécifiques comme le lazaret où les enfants sont placés en isolement pendant une vingtaine de jour en cas d’épidémie.

Après trois semaines durant lesquelles elles s’exercent sur des poupées pour les gestes de soins quotidiens (comment porter un enfant, le laver, l’habiller, le changer et le nourrir), les élèves se voient confier la charge de quatre enfants, sous la surveillance des monitrices. Elles suivent également des cours théoriques d’hygiène générale, de diététique, de physiologie de l’enfant et reçoivent quelques notions de psychologie. Le règlement de l’école précise, dans les années 1970, que ces cours comportent « essentiellement des notions pratiques » et excluent les « développements scientifiques inutiles ». 

En effet, dans la hiérarchie de la pouponnière, les élèves-stagiaires effectuent les soins qualifiés de « maternels » ou de « nursing » par les règlements de l’école. Définies comme des techniciennes, elles exécutent les tâches qui leurs sont confiées par les monitrices (souvent d’anciennes élèves diplômées du certificat d’auxiliaire de puériculture) et par les infirmières puéricultrices de l’établissement. 

Archive : rapport d’incident dans l’administration d’un biberon à une enfant cœliaque, (1975)

Ill.2. Rapport d’incident d’une élève auxiliaire de puériculture en stage, 19 juin 1975 (Archives départementales du Rhône HDEPOT la Chaux, dossiers d’élèves) 

La Maladie cœliaque :

C’est l’intolérance à la farine. Elle est due à un composant du gluten nommé gliadine.

Les enfants cœliaques : sont intolérants à la farine ordinaire donc à tous les aliments qui en contiennent (le pain, pâtisserie, pate à potage, farine pour bouillon). Donc l’enfant recevra un régime à base de bouillie sans gluten, de biscuit sans gluten.

Marque de biscuit Betterford

Pâte sans gluten Aproten

Véronique 41 : est une enfant au régime sans gluten. Ce soir au lieu de lui donner son spécial, je lui ai donné un repas cuisiné qui était à base de floraline.

C’est après lui avoir donné que j’ai réalisé la bêtise que je venais de comettre (sic) mais c’était trop tard.

Je suis allé tout de suite avertir la monitrice du service.

L’infirmière a réussi à faire vomir Véronique et comme çà il y a pas eu d’incidents graves.

Si on ne s’était pas aperçu de l’erreur à temps, l’enfant aurait présenté une diarrhée, une perte de poids, de vilaines selles, des troubles digestifs.

L’école de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or est adossée à une pouponnière à caractère sanitaire : les élèves doivent s’occuper d’enfants atteints de maladies de la nutrition ou du tube digestif, ce qui nécessite une surveillance rigoureuse de leur alimentation. Dans cette école, le régime alimentaire de chaque enfant est donc établi et contrôlé chaque semaine par le médecin chef. Dans le service de biberonnerie, une diététicienne prépare les repas des enfants : repas cuisinés pour les « grands enfants », « mixés » à base de légume ou de viande, biberons de lait et de bouillies (lait et farine) pour les plus petits. Elle encadre les élèves stagiaires en biberonnerie dans la préparation des repas, mais aussi dans l’entretien du service : nettoyage des biberons en verre (Ill.1) et des tétines en caoutchouc. 

La diététicienne est aussi chargée de préparer les régimes « spéciaux » pour les enfants atteints de maladie de la nutrition ou du tube digestif, notamment des régimes antidiarrhéiques composés de carottes et d’arobon, une poudre antidiarrhéique commercialisée par Nestlé dans les années 1950, recommandée par les pédiatres dans les années 1970. Les élèves stagiaires préparent et stérilisent les biberons en avance, les conservent en chambre froide et les réchauffent au bain-marie. Enfin, les élèves stagiaires des différents services donnent les repas, biberons ou plats cuisinés solides, aux enfants dont elles ont la charge. 

En juin 1975, une élève de la Chaux rédige le rapport d’incident (ci-dessus) après avoir donné un régime à base de farine de blé à une enfant de la pouponnière, Véronique, atteinte de la maladie cœliaque. Cette enfant est allergique au gluten et la diététicienne lui prépare chaque jour des repas « spéciaux », que les élèves doivent lui donner. Le rapport permet d’observer les pratiques quotidiennes des élèves stagiaires auprès des enfants, au moment des repas, lorsque des erreurs sont commises. Il restitue les étapes du signalement de cette erreur : l’élève avertit d’abord l’infirmière-monitrice responsable du service, qui fait vomir l’enfant, donnant ainsi à voir quels gestes sont réalisés par les différentes professionnelles. Si les élèves-stagiaires sont responsable de l’alimentation, c’est la monitrice qui effectue les gestes de secours sur l’enfant. L’erreur commise par l’élève permet ainsi d’identifier les techniques et les gestes dévolus aux différentes professionnelles de la pouponnière selon leurs diplômes et leur expérience.

Dans une optique de formation et/ou de punition, l’élève responsable rédige un court exposé sur la maladie cœliaque, qui témoigne des connaissances théoriques qu’elle est supposée avoir acquises depuis le début de la formation. Elle identifie les aliments contenant du gluten et leurs substituts, ainsi que les risques sanitaires en cas d’administration d’un régime inadapté à un enfant cœliaque. 

Ce document n’est pas isolé : d’autres rapports témoignent des erreurs commises par les élèves au moment de l’administration des biberons et les risques pour la santé des enfants. De fait, dans une intervention lors du deuxième congrès national des auxiliaires de puériculture diplômées, en 1971, la directrice de l’école évoque la responsabilité des élèves dans la prise en charge et le soin des enfants « il faut [leur] faire comprendre qu’elle[s] partage[nt] toutes les responsabilités et que chacun de [leurs] actes comporte un risque pour les enfants qui [leur] sont confiés ». 

Citer cet article

Zoé Poli , « Histoire d’un geste : donner le biberon aux enfants malades », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 20/11/24 , consulté le 19/02/2025. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22513

Cette notice est publiée sous licence CC-BY 4.0. La licence CC-BY signifie que les publications sont réutilisables à condition d’en citer l’auteur.

Bibliographie

Berthiaud Emmanuelle, Léger François, et van Wijland Jérôme (dir.), Prévenir, accueillir, guérir. La médecine des enfants de l’époque moderne à nos jours, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Histoire et civilisations », 2021.

Bouve Catherine, « De la garde à l’accueil. Les crèches françaises de 1945 à 1995, au carrefour d’une redéfinition de leurs normes politiques, sociales et pédagogiques », History of Early Education Institutions in Europe From WWII until the Recent Reforms. Bologna : Clueb, p. 23-48, 2022.

Cahen Fabrice, « Le gouvernement des grossesses en France (1920-1970) », Revue d’histoire de la protection sociale, no 1, vol. 7, p. 34‑57, 2014.

Norvez Alain, De la naissance à l’école : santé, modes de garde et préscolarité dans la France contemporaine, thèse de doctorat, Presses universitaires de France, coll. « Travaux et Documents 126 », 1990.

Rollet Catherine, La politique à l’égard de la petite enfance sous la IIIe République, thèse de doctorat, Institut national d’études démographiques, Presses universitaires de France, coll. « Travaux et documents », 1990.

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Photographie prise dans une crèche à Amsterdam en 1942 : les enfants sont distingués selon leurs groupes d’âge et leurs besoins supposés ; les vêtements de la puéricultrice, tout comme ceux des enfants, témoignent de la continuité de la crèche avec le monde de l’hôpital. Source : Wikimedia Commons
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L’arrivée du gouverneur britannique Frederick Gordon Guggisberg au concours de bébés d’Accra, en 1926. Collection de l’auteure.
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