La fin de l’apartheid en Afrique du Sud (1991)

Promulguées en 1948, les lois d’apartheid instaurent une ségrégation raciale au profit de la minorité blanche, descendante des « Afrikaners », principalement des colons néerlandais en Afrique du Sud. À partir des années 1960, ces lois confrontent les gouvernements pro-apartheid à une contestation de plus en plus violente dans le pays et à des condamnations de plus en plus vives sur la scène internationale. Le 2 février 1990, tirant les leçons de la chute du mur de Berlin, le président sud-africain Frederik Willem De Klerk, décide de libérer les prisonniers politiques, ouvrant la voie à l’abolition définitive de l’apartheid, en abrogeant la dernière loi raciale le 30 juin 1991.

Le cours

Discours inaugural du président F. W. de Klerk (2 février 1990)

Le 2 février 1990, Frederik Willem De Klerk, président d’Afrique du Sud, annonce aux députés la levée de l’interdiction des partis s’opposant à l’apartheid et la libération des prisonniers politiques. Les députés pro-apartheid quittent bruyamment l’assemblée. Nelson Mandela sera libéré le 11 février.
Le 2 février 1990, Frederik Willem De Klerk, président d’Afrique du Sud, annonce aux députés la levée de l’interdiction des partis s’opposant à l’apartheid et la libération des prisonniers politiques. Les députés pro-apartheid quittent bruyamment l’assemblée. Nelson Mandela sera libéré le 11 février. Voir le discours en ligne
Sommaire

Mise au point : le combat pour l’abolition de l’apartheid en Afrique du Sud (1960 – 1991)

Colonisée par la Compagnie néerlandaises des Indes Orientales (VOC) en 1652 l’Afrique du Sud a vu rapidement se développer la communauté blanche au détriment des populations africaines existantes (les Khoesans et les Bantous) auxquels sont venus s’ajouter des communautés d’esclaves en provenance d’Inde et de Malaisie, pour répondre aux besoins de main d’œuvre de la colonie néerlandaise. Les Afrikaners (autrefois appelés Boers) sont les descendants de ces colons néerlandais auxquels se sont ajoutés des colons français protestants (les huguenots) ainsi que des colons allemands.

Instaurées dès 1948, les lois d’apartheid prolongent, en la rendant officielle, la ségrégation raciale au détriment des Noirs (majoritaires), des Métis et des populations originaires d’Asie (Malaisiens, Indiens, chinois). Ces lois séparent les populations noires des populations blanches : les mariages et relations sexuelles entre les deux communautés sont interdites par la loi, les aménagements urbains et les transports prévoient une séparation rigoureuse. Les lois d’apartheid sont également des lois d’exclusion sociale et politique : elles interdisent aux populations noires le droit de grève, la création de syndicats et l’organisation de partis politique défendant leur cause et freinent leur participation pleine et entière au processus électoral. Dès 1948, cette ségrégation raciale n’a pas bonne presse sur la scène internationale car elle est instaurée au moment même où la notion de race est rejetée par l’UNESCO et alors même que les ex-pays colonisés accèdent progressivement à leur indépendance (l’Inde devient indépendante en 1947).

Les historiens s’accordent à dire que le massacre de Sharpeville (21 mars 1960) constitue un tournant dans la contestation puis la fin de l’apartheid. Ce jour-là, plusieurs milliers de manifestants décident de désobéir et se présentent sans leur pièce d’identité (le Pass dont étaient dispensés les Blancs) partout en Afrique du Sud devant le commissariat de police de leur quartier afin d’être arrêté et d’emboliser les prisons. À Sharpeville (un township à 50 km de Johannesburg), la manifestation tourne au massacre. La police ouvre le feu faisant 69 morts (parmi lesquels 29 enfants) et 180 blessés. Fait terrible : beaucoup des manifestants seront abattus dans le dos, prouvant qu’ils étaient moins en train d’affronter les forces de l’ordre que de fuir. La réprobation est unanime sur la scène internationale, conduisant l’Afrique du Sud à quitter le Commonwealth (1961) sous la pression du Canada et des pays dont la population est majoritairement noire.

Après le massacre de Sharpeville, Nelson Mandela et d’autres leaders de l’African National Congress (ANC), un parti crée en 1912 pour défendre les intérêts de la majorité noire, créent la branche armée de l’ANC, MK (Umkhonto We Sizwe, la lance de la nation). En 1960, le gouvernement pro-apartheid déclare l’état d’urgence et dissout l’ANC en emprisonnant ses dirigeants comme Nelson Mandela ou Walter Sizulu. L’ANC plonge alors dans la clandestinité. Ses membres sont traqués par l’Unité C-10, unité anti-terroriste chargée de la contre-insurrection, tristement célèbre pour ses assassinats politiques. Les gouvernements occidentaux n’en soutiennent pas moins le gouvernement pro-apartheid durant la guerre froide car celui-ci lutte contre l’influence de Moscou en Afrique, la puissance soviétique soutenant par ailleurs les combattants de l’ANC.

Dans les années 1980, les gouvernements sud-africains, isolés sur la scène internationale, subissent de plein fouet le boycott économique, notamment de la part des États-Unis. Le président Pieter Willem Botha (1916-2006) donne alors des gages de bonne volonté en abrogeant certaines lois de l’apartheid « mesquin », c’est-à-dire la ségrégation visible, en particulier dans les transports et les lieux publics. Mais il refuse de libérer Nelson Mandela et de lever toutes les mesures d’apartheid, notamment l’interdiction des partis politiques d’opposition et la limitation du droit de vote pour les populations noires. Il est remplacé en septembre 1989 par Frederik Willem de Klerk quelques semaines seulement avant la chute du mur de Berlin. Le 2 février 1990, de Klerk prononce son célèbre discours du saut de géant (Quantum Leap) dans lequel il lève l’interdiction des partis politiques d’opposition et libère les prisonniers politiques. Mandela sort de prison le 11 février 1990 et, au nom de l’ANC, entame des négociations avec le gouvernement De Klerk qui aboutissent le 30 juin 1991 à l’abrogation des dernières lois d’apartheid.

Document : discours inaugural du président Frederik Willem de Klerk (2 février 1990)

[…]

Le gouvernement est conscient du rôle important que le monde entier doit jouer dans la réalisation des intérêts nationaux de notre pays.

Sans contact et sans coopération avec le reste du monde, nous ne pouvons promouvoir le bien-être et la sécurité de nos citoyens. L'évolution dynamique de la politique internationale a également créé de nouvelles opportunités pour l'Afrique du Sud. Des progrès importants ont été réalisés, entre autres, avec l'étranger, en particulier là où auparavant des considérations idéologiques les empêchaient.

J'espère que cette tendance sera encouragée par l'important changement d’état d’esprit qui s'opère en Afrique du Sud.

Pour l'Afrique du Sud, voire pour le monde entier, l'année écoulée a été marquée par des changements et des bouleversements majeurs. En Europe de l'Est et même en Union soviétique, les bouleversements politiques et économiques ont déferlé en une marée que personne n’a pu arrêter. Dans le même temps, Pékin a temporairement étouffé, avec une violence brutale, l'aspiration de la population de la Chine continentale à une plus grande liberté.

L'année 1989 restera dans l'histoire comme l'année de la fin du communisme stalinien.

Ces développements entraîneront des conséquences imprévisibles pour l'Europe, mais ils seront également d'une importance décisive pour l'Afrique.

Tout porte à croire que les pays d'Europe centrale et d’Europe de l’Est bénéficieront d'une plus grande attention, alors qu'elle diminuera pour l'Afrique.

L'effondrement, en particulier du système économique en Europe de l'Est, sert également d'avertissement à ceux qui s'obstinent à le maintenir en Afrique.

 Ceux qui cherchent à rendre l’Afrique du Sud responsable de l’échec de ce système devraient réviser complètement leur jugement. Il devrait être clair pour tous que [le système communiste] n'est pas la solution ici non plus. La nouvelle situation en Europe de l'Est montre également que l'intervention étrangère n'est pas la solution pour opérer un changement national. Elle ne réussit jamais, quelle que soit sa motivation idéologique. Les bouleversements en Europe de l'Est ont eu lieu sans l'intervention des grandes puissances ou des Nations unies.

Les pays d'Afrique australe sont confrontés à un défi particulier. L'Afrique australe a maintenant une occasion unique de mettre de côté ses conflits et ses différences idéologiques et d'élaborer un programme commun de reconstruction. Ce programme doit être suffisamment attractif pour que l’Afrique australe obtienne des investissements et des capitaux d'emprunt suffisants de la part des pays industriels. Si les pays d'Afrique australe ne parviennent pas rapidement à la stabilité et à une approche commune du développement économique, ils seront confrontés à un nouveau déclin et à la ruine.

Le gouvernement est prêt à entamer des discussions avec les autres pays d'Afrique australe dans le but d’élaborer un plan de développement réaliste. Le gouvernement estime que les obstacles à la tenue d'une conférence des États d'Afrique australe ont maintenant été suffisamment levés.

Les attitudes hostiles doivent être remplacées par des attitudes coopératives ; la confrontation par le dialogue ; le désengagement par l'engagement ; les formules toutes faites par un débat volontaire.

Le temps de la violence est terminé, celui de la reconstruction et de la réconciliation est arrivé. […]

Extrait du discours inaugural du président F. W. de Klerk lors de la session parlementaire sud-africaine du 2 février 1990.

Éclairages : pourquoi le président De Klerk a-t-il décidé de libérer les prisonniers politiques en 1990 ?

Frederik de Klerk (1936-2021) était un afrikaner, issu d’une lignée de colons néerlandais et français. Sa famille a combattu les peuples noirs (bantous) d’Afrique du Sud et s’est opposée par les armes à l’armée coloniale britannique du xviiie au xxe siècles. Membre de l’establishment sud-africain, il entre en politique en 1972 en soutenant fermement le système d’apartheid. À partir de 1984, il comprend que la donne a changé et que le bloc de l’Ouest se désolidarise progressivement de l’Afrique du Sud.

Devenu président de l’État de la République d’Afrique du Sud, De Klerk surprend les députés, la presse et l’opinion publique en annonçant la fin de l’apartheid lors son discours d’ouverture de la session parlementaire du 2 février 1989. Dans ce long discours en anglais et en afrikaans, il annonce la libération de Mandela et des autres prisonniers politiques, l’arrêt des persécutions contre les syndicats (arrestations arbitraires, interdiction des réunions, saisie de documents), la réhabilitation des organisations interdites, comme l’ANC, le parti communiste ou le Pan African Congress, et surtout la préparation d’élections libres auxquelles Noirs et Métis pourront participer. Le choc est grand pour les députés conservateurs qui quittent la salle alors que les démocrates exultent. Un journaliste dira qu’en une demi-heure, de Klerk a mis fin à l’apartheid ainsi qu’à plus de trois siècles de ségrégation raciale.

Dans ce discours, De Klerk justifie la sortie de l’apartheid par les bouleversements de l’année 1989 et la fin du communisme stalinien (« L'année 1989 restera dans l'histoire comme l'année de la fin du communisme stalinien »). Implicitement, le président sud-africain, justifie la parenthèse historique de l’apartheid par le contexte international de la guerre froide. En effet, le soutien du camp occidental pendant la guerre froide permettait aux gouvernements pro-apartheid de combattre leurs opposants au nom de la lutte contre l’influence communiste en Afrique. Pour cette raison, les États-Unis ne critiquaient pas ouvertement l’apartheid en Afrique du Sud dans les années 1960, d’autant plus que les lois de ségrégations étaient encore appliquées dans les anciens états confédérés. Il faut attendre les années 1980 pour voir les Occidentaux, États-Unis en tête, critiquer de manière de plus en plus vive le régime d’apartheid.

Lorsque De Klerk prononce ce discours, les partisans de l’apartheid en Afrique du Sud ne disposent plus de soutien sur la scène internationale. Pour De Klerk, l’abolition de l’apartheid est une condition nécessaire à l’indépendance de l’Afrique du Sud. Le pays doit abolir lui-même la ségrégation raciale pour ne plus subir de sanctions internationales et se voir dicter sa conduite par des puissances étrangères. C’est, selon lui, la grande leçon que l’Afrique du Sud doit tirer du renversement des démocraties populaires en Europe : « La nouvelle situation en Europe de l'Est montre également que l'intervention étrangère n'est pas la solution pour opérer un changement national. Elle ne réussit jamais, quelle que soit sa motivation idéologique. Les bouleversements en Europe de l'Est ont eu lieu sans l'intervention des grandes puissances ou des Nations unies ».

Enfin, l’abolition de la ségrégation doit permettre de renouer des liens économiques avec les pays proches en Afrique australe (Namibie, Botswana, Zimbabwe) qui s’étaient éloignés de l’Afrique de Sud en raison de l’apartheid. L’ambition est économique : les pays d’Afrique Australe doivent s’unir pour obtenir « des investissements et des capitaux d'emprunt suffisants de la part des pays industriels ». Il s’agit également pour le président sud-africain de restaurer l’influence de son pays à l’échelle du continent, une ambition qui ne renieront pas ses successeurs en menant une politique étrangère tournée vers l’Afrique et les puissances émergentes (Chine, Brésil, Mexique, Inde) à partir des années 1990.

Citer cet article

Gilles Teulié , « La fin de l’apartheid en Afrique du Sud (1991) », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 08/09/23 , consulté le 06/10/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22131

Bibliographie

Allan, John, L’Afrique du Sud sous l’apartheid : survol des origines et des conséquences du développement séparé, Universe, 2013.

Fauvel-Aymard, Xavier, Histoire de l’Afrique du Sud, L’univers historique, Seuil, 2006.

Mandela, Nelson, Un long Chemin vers la liberté, Livre de poche, 1996.

Michie Eades, Lindsay, The End of Apartheid in South Africa, Parlux, 2005.

Teulie, Gilles, Histoire de l’Afrique du Sud, Texto, Tallandier, 2022.

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