Les conditions environnementales de la « révolution néolithique »
Si les premiers humains remontent, dans l’état actuel de nos connaissances, à six ou sept millions d’années et notre séparation d’avec nos cousins primates à environ dix millions d’années, l’espèce Sapiens (c’est-à-dire les humains actuels) émerge progressivement en Afrique il y a trois cent mille ans à partir de l’espèce précédente, Homo erectus. Certains de ces Sapiens sortent peu à peu d’Afrique, tout comme l’avaient fait certains Erectus près de deux millions d’années auparavant. Ils se répandent progressivement dans le monde entier, y compris dans les Amériques jusque-là vierges d’humains, en passant le détroit de Béring. Ce faisant, ils remplacent peu à peu, dans des conditions encore inconnues, toutes les autres espèces humaines qui existaient jusqu’alors en parallèle, dont les Néandertaliens en Europe et au Proche-Orient et les Denisoviens en Asie, et se croisent occasionnellement avec elles. Depuis environ 27 000 ans, nous sommes pour la première fois l’unique espèce humaine sur Terre. Pendant ce temps, Homo sapiens continue à évoluer lentement au fil de la sélection naturelle. L’une des constantes de cette évolution est une croissance progressive en complexité psychique et cérébrale, qui lui permet d’améliorer son adaptation à l’environnement.
Or cet environnement connaît une transformation radicale il y a environ 12 000 ans. La période glaciaire qui avait débuté 115 000 ans avant notre ère arrive alors à son terme et notre planète entre à nouveau dans une période interglaciaire, l’actuel holocène. Le climat se réchauffe peu à peu, en oscillations successives. L’Europe était jusque-là recouverte de glaces dans sa moitié nord jusqu’au niveau de la Belgique, tandis que s’étendait dans sa moitié méridionale une steppe parcourue de troupeaux de rennes, de mammouths, de chevaux ou de bisons. Avec la fin de la période glaciaire, les glaces fondent peu à peu et le niveau de la mer remonte d’environ 130 mètres pour atteindre son niveau actuel. Les animaux liés au froid, rennes et mammouths, remontent vers le nord et une dense forêt tempérée remplace la steppe, hébergeant des espèces elles aussi accoutumées à un climat tempéré – cerfs, chevreuils, aurochs, sangliers. Un processus comparable affecte l’ensemble des continents.
C’est alors que l’on observe sur les différents continents, et sans liens les uns avec les autres, que des groupes de chasseurs-cueilleurs commencent à se sédentariser et à domestiquer certains animaux et certaines plantes. Le principe de la domestication était déjà connu par certains d’entre eux qui, dès 20 000 ans avant notre ère et en pleine période glaciaire, avaient entrepris de domestiquer des loups, les transformant en chiens. Ce n’était pas une domestication alimentaire mais plutôt une association d’intérêts avec des services rendus réciproques, les loups transformés en chiens facilitant la chasse et la sécurité, et bénéficiant en retour d’une nourriture mieux garantie et de la chaleur des feux. On constate aussi que des chasseurs-cueilleurs traditionnels, comme en Amazonie, pouvaient apprivoiser de jeunes animaux sauvages pour leur seul agrément. Ils pouvaient aussi, sans jamais vraiment planter, favoriser la pousse de plantes jugées utiles, au détriment d’autres, jugées sans intérêt.
Les conditions nécessaires à l’émergence d’une agriculture sédentaire
La combinaison entre un cerveau plus complexe et sans doute comparable au nôtre d’une part, et un environnement plus favorable d’autre part, amène donc l’émergence de l’agriculture sédentaire – sachant qu’au nom de la loi du moindre effort, les humains préfèrent en règle générale la sédentarité au nomadisme dès que cela est possible. Toutefois, la nouvelle invention ne se produit pas partout. Elle implique des espèces domesticables et des milieux intermédiaires, ni trop arides ni trop luxuriants, où les efforts réclamés par l’agriculture en valent vraiment la peine. Ainsi, dans les Grandes Plaines nord-américaines – où le principe de la domestication est pourtant connu, puisque le chien y a été apprivoisé –, les humains n’essaient pas de domestiquer les bisons : à quoi bon, puisqu’ils y abondent et qu’il suffit d’aller en tuer en cas de besoin ? L’agriculture sédentaire implique également de maîtriser un ensemble de techniques. Il faut pouvoir stocker les grains de blé ou d’orge, sans qu’ils pourrissent ou soient mangés par les rongeurs ; savoir nourrir et soigner des animaux désormais arrachés à leur milieu naturel et enfermés.
Pourtant, l’agriculture n’apparaît pas partout où ces différentes conditions sont remplies. Il a fallu aussi un changement de perspective culturelle, dans la manière même de se représenter le monde : non plus seulement se sentir immergé dans la nature, mais entreprendre de la dominer. L’homme est alors devenu comme « maître et possesseur de la nature », comme l’écrivait Descartes, même si ce dernier ne songeait nullement à revendiquer pour les humains un droit de destruction. Aussi ne recense-t-on qu’une douzaine de foyers indépendants d’invention de l’agriculture, dont notamment le Proche-Orient, la Chine du Nord et celle du Sud, la Nouvelle-Guinée, l’Afrique moyenne, l’Amérique andine et la Mésoamérique.
En Europe et en Asie, on nomme aujourd’hui cette période « néolithique ». Le terme, forgé dans les années 1860 par l’archéologue anglais John Lubbock, reformule suivant une étymologie grecque l’expression d’« âge de la pierre nouvelle », ou « âge de la pierre polie », apparue à la fin des années 1840 : les pierres polies qu’exhument alors les premiers archéologues, et à partir desquelles ils nomment l’âge néolithique, sont les premières haches en pierre, devenues indispensables pour défricher la forêt, implanter les champs et construire les habitations « en dur ».
C’est l’archéologue australien Gordon Childe qui, le premier dans les années 1930 en Angleterre, parle d’une « révolution néolithique ». L’expression, toutefois, est trompeuse : non seulement cette « révolution » s’est à chaque fois étalée sur plusieurs siècles, voire davantage, mais des chasseurs-cueilleurs ont pu parallèlement continuer pendant des millénaires leur mode de vie traditionnel, en général dans des milieux naturels aux ressources abondantes, notamment aquatiques (poissons, coquillages, mammifères marins), permettant la sédentarité. Ce fut le cas pendant dix millénaires de la civilisation dite Jômon au Japon. Cette civilisation sédentaire, caractérisée par des villages avec de grandes maisons de terre et de bois, émergea il y a environ 14 000 ans et l’agriculture n’y pénétra vraiment que dans les derniers siècles avant notre ère. C’est aussi ce qui caractérise les sociétés scandinaves jusqu’au ive millénaire avant notre ère, ou encore des Amérindiens de la côte nord-ouest de l’Amérique du Nord, également sédentaires et connus pour les grands mâts-totems sculptés qui ornaient les villages et affirmaient leur puissance. Ces sociétés guerrières étaient inégalitaires et possédaient même des esclaves.
Les conséquences de la « révolution néolithique » : boom démographique, guerres et épidémies
Une fois l’agriculture sédentaire installée, aucun retour en arrière n’est possible, sauf dans des circonstances exceptionnelles. La première conséquence est le boom démographique engendré par la sédentarité et une nourriture mieux sécurisée. Alors que les chasseuses-cueilleuses nomades observées par l’ethnologie ont en moyenne un enfant tous les trois ou quatre ans, les agricultrices des sociétés rurales traditionnelles, y compris dans l’Europe de la première moitié du xxe siècle, peuvent avoir un enfant chaque année, même si beaucoup mouraient en bas âge jusqu’aux progrès de la médecine à partir du xixe siècle. Ce boom démographique provoque donc, dans les différents foyers originels, un surplus de populations qui fait peu à peu tache d’huile et se répand en assimilant, repoussant, voire massacrant les sociétés de chasseurs-cueilleurs.
Ainsi, en ce qui concerne plus particulièrement l’Europe, où l’agriculture n’a pas été inventée, des populations excédentaires venues du Proche-Orient pénètrent dans la péninsule balkanique au cours du viie millénaire et se répandent progressivement d’est en ouest, jusqu’à atteindre l’Atlantique au cours du ive millénaire (Ill.2). Là, elles restent bloquées jusqu’au xvie siècle de notre ère ; de ce point de vue, on peut interpréter la colonisation récente des Amériques par les Européens comme la poursuite, un temps interrompue, de ce mouvement migratoire. De fait, une bonne partie des migrations humaines ont pour but la recherche de nouvelles terres, et ce jusqu’à aujourd’hui, alors même que le dérèglement climatique rend certaines régions inhabitables, soit qu’elles deviennent arides (comme en Afrique), ou menacées par la montée des eaux (comme au Bengladesh ou en Océanie).
Ce boom démographique continu, et pas toujours maîtrisé malgré la progression du contrôle des naissances, a entraîné pour les sociétés humaines une autre conséquence : la nécessité impérative d’augmenter sans arrêt leurs capacités de production, surtout lorsqu’elles n’ont plus pu poursuivre la colonisation de nouvelles terres. On voit ainsi apparaître successivement la charrue, la roue, la traction animale, la métallurgie du cuivre puis du fer, le fumage des sols (c’est-à-dire le fait d’y épandre du fumier), les assolements, et finalement, avec la révolution industrielle, la motorisation, les engrais chimiques, les pesticides, les élevages industriels, les OGM, entre autres, dans une perpétuelle fuite en avant pour nourrir de plus en plus d’humains. Les crises énergétiques actuelles s’inscrivent ainsi dans une dynamique enclenchée à l’âge néolithique.
La généralisation de la guerre constitue une autre conséquence majeure de la néolithisation. La violence entre mâles humains existe aussi chez les chasseurs-cueilleurs, en dépit de certaines conceptions rousseauistes que l’on peut rencontrer çà et là chez certains anthropologues, voire philosophes, tenants d’une humanité bonne par nature. Elle est bien attestée chez les aborigènes australiens qui n’ont jamais éprouvé le besoin d’inventer l’agriculture, même s’ils pratiquaient des brûlis intentionnels ou aménageaient des barrages sur les cours d’eau pour retenir les poissons. Ces guerres étaient soit des vendettas interminables entre groupes, soit des expéditions pour enlever des femmes, une pratique fréquente comme l’attestent pour l’Europe aussi bien l’enlèvement d’Hélène par Pâris dans l’Iliade que les débuts de l’histoire de Rome, avec l’enlèvement des Sabines. Cette violence s’exacerbe toutefois sous l’effet de la révolution néolithique. Avec des communautés de plus en plus nombreuses et territorialisées, les villages néolithiques, à l’origine ouverts, se dotent au fil du temps de fortifications de bois et de terre, se hissent sur des hauteurs, tandis que les impacts d’armes sur les squelettes se multiplient. Là encore, il faut sans cesse innover. Si l’arc, la massue en bois et la hache existaient déjà, le poignard en silex apparaît, suivi bientôt, grâce au métal, d’armes offensives plus efficaces comme les épées, mais aussi d’armes défensives – casques, cuirasses, jambières, boucliers, etc. Puis viennent l’arbalète, la poudre, et jusqu’aux missiles, aux drones et aux armes nucléaires. Les guerres, malgré leurs ravages, ne parviennent cependant pas à enrayer la progression de la démographie.
Enfin, la croissance démographique entraîne une prolifération des maladies. Si celles-ci ont toujours existé, la cohabitation des humains avec des animaux, conséquence directe de l’élevage et de la sédentarité, facilite la transmission des pathogènes. La plupart des maladies humaines sont à l’origine des zoonoses, des maladies venues des animaux, que ce soit d’animaux domestiques (comme la brucellose des moutons, qui provoque chez l’homme fortes fièvres et faiblesse généralisée) ou d’animaux dits « commensaux », comme les rats qui apportent la leptospirose ou, avec leurs puces, la peste – dont le bacille a été identifié sur des squelettes remontant à 30 500 ans avant notre ère. Les concentrations humaines croissantes favorisent les épidémies, que l’archéologie détecte de plus en plus facilement grâce à la génétique. Néanmoins, même la Grande Peste du xive siècle, qui tua entre un tiers et la moitié des Européens, ne fit que ralentir à peine la croissance démographique.
Hiérarchies et inégalités sociales
Autre conséquence de la croissance démographique du Néolithique, la montée des inégalités et des hiérarchies sociales. Comme l’ont montré les observations des ethnologues Claude Lévi-Strauss puis Pierre Clastres en Amazonie, dans tout groupe humain traditionnel, même des plus simples, il existe un leader, ce que nous appelons un « chef ». Cependant, il a autant de devoirs que de droits. En Nouvelle-Guinée, où de tels leaders sont appelés « Big Men », des observations comparables indiquent que leurs pouvoirs reposent sur leur prestige et leur capacité à s’attirer une clientèle en redistribuant sans cesse leurs propres biens à peine acquis, ce qui limite toute constitution de véritable fortune. On les enterre en outre avec leurs richesses (notamment des défenses de porcs domestiques, animaux dont la possession est signe d’opulence), débarrassant ainsi la société de ce qui pourrait à terme mettre en danger son aspiration à une relative égalité. En d’autres termes, il existe partout des pouvoirs politiques mais, au sein de petits groupes, ces pouvoirs ne peuvent s’accompagner d’un réel pouvoir économique.
Or avec l’essor démographique des sociétés néolithiques, celles-ci deviennent capables de produire plus que leurs stricts besoins, et notamment des objets inutiles, mais prestigieux. C’est le cas, en Europe du sud-est, au cours du ve millénaire, des premiers objets en cuivre et en or, comme on en trouve dans la nécropole de Varna en Bulgarie, sur les bords de la mer Noire (Ill.1). Alors que les tombes des plus pauvres n’ont que très peu d’objets, et fort modestes (aiguilles en os, petits vases), les plus riches peuvent contenir jusqu’à un kilo de parures en or, mais aussi de très longues lames de silex, atteignant jusqu’à 45 cm de longueur, qui exigeaient pour être taillées qu’on exerce sur le bloc de silex une pression de 400 kg/cm2, ce qui implique donc la construction d’une machine à levier. La possession de ces lames, trop fragiles pour pouvoir être utilisées, était une pure manifestation de pouvoir.
Avec la révolution néolithique, de nouveaux rituels font également leur apparition. Dans les Balkans, des masques en argile crue sont ainsi déposés dans des cénotaphes, des tombes dépourvues de corps. À l’autre extrémité de l’Europe, sur les bords de l’Atlantique où l’on ne connaît encore ni or ni cuivre, les « chefs » sont inhumés dans des chambres funéraires construites en énormes blocs de granite, les dolmens, autour desquels nous retrouvons des traces de rituels. Or l’histoire comme l’ethnologie nous montrent que le pouvoir se donne toujours comme lié au surnaturel, depuis les empereurs du Japon qui descendent de la déesse du soleil Amaterasu jusqu’aux rois européens dits « de droit divin » et sacrés, sans oublier les chefs d’États contemporains qui jurent sur des textes sacrés, Bible ou Coran, ou encore le roi d’Angleterre Charles III, chef de l’État comme de l’Église anglicane. L’archéologie voit toutefois alterner des périodes de fortes concentrations des richesses, et d’autres moins inégalitaires. Il est donc probable que des phénomènes de résistances aux pouvoirs, liés notamment à des facteurs externes (guerres, épidémies, catastrophes naturelles) susceptibles de décrédibiliser les dominants, aient régulièrement affaibli, voire détruit ces pouvoirs montants – ce qu’on appelle, aux périodes historiques documentées par des textes, des révolutions.
L’augmentation constante de la population débouche à partir du ive millénaire sur les premières villes, d’abord en Mésopotamie et en Égypte dont les vallées fertiles, cernées de déserts, de mers ou de montagnes, constituent des régions restreintes où la pression démographique est encore plus forte qu’ailleurs. Aux villes, qui se généralisent progressivement, sont liées des organisations étatiques encore plus hiérarchisées et inégalitaires. La gestion de ces concentrations humaines exige aussi, la mémoire ne suffisant plus, l’invention de l’écriture – même si des signes abstraits et organisés étaient déjà présents sur les parois des grottes préhistoriques. L’écriture permet dès lors une transmission beaucoup plus rapide, y compris à distance, de l’information et, comme les autres inventions déjà évoquées, la communication n’a cessé depuis lors d’utiliser des vecteurs de plus en plus rapides : parchemin, papier, imprimerie, télégraphe, ondes hertziennes ou internet.
Plusieurs indices semblent enfin indiquer un système de domination sexuée, même si l’on en sait peu encore sur l’organisation de la famille au néolithique. Les premières analyses génétiques indiquent ainsi la mise en place d’un système patrilocal, dans lequel les femmes sont extérieures à un village donné, l’épouse venant habiter dans le village de son mari – un système longtemps en usage dans l’Europe traditionnelle. On note aussi que les tombes les plus riches sont à 80% des tombes masculines, ce qui va également dans le sens d’une domination masculine ancienne.
Fallait-il inventer l’agriculture ?
C’est à partir du néolithique que se développent les atteintes croissantes à l’environnement naturel – si l’on excepte les quelques incendies volontaires provoqués par des chasseurs-cueilleurs, lesquels avaient amorcé le tout début de la sixième extinction massive des espèces biologiques en éliminant les espèces les plus vulnérables dans les territoires nouvellement conquis, comme les paresseux géants et les castors et pécaris tout aussi géants. Avec l’agriculture viennent les déboisements massifs qui créent de nouveaux paysages, comme les garrigues et les maquis méditerranéens. Les premières pollutions dues à la métallurgie sont visibles dès le second millénaire avant notre ère dans des bulles d’air piégées dans les glaces des pôles.
Ces atteintes à l’environnement touchent jusqu’aux corps humains eux-mêmes. Les gestes pénibles et répétitifs de l’agriculture, joints à une nourriture moins riche, quoique sécurisée, entraînent dans un premier temps une diminution de la taille. Basée sur les céréales, cette nourriture plus molle et plus sucrée fait exploser les caries dentaires, inexistantes jusque-là, et c’est elle qui, à terme, est la cause de l’épidémie actuelle de surpoids chez les humains, qui affecte désormais deux milliards d’entre eux, avec toutes ses conséquences en termes de santé publique.
On le voit, la révolution industrielle n’a été qu’un moment supplémentaire dans la nécessité de nourrir et plus généralement de gérer un nombre toujours croissant d’humains. Si la révolution néolithique a été, malgré son nom, progressive et préparée en partie par des expériences antérieures (comme la domestication du chien à partir du loup durant l’ère glaciaire), elle n’en a pas moins constitué un changement radical d’échelle. Il en va de même pour la révolution industrielle. Celle-ci n’est pas sortie de nulle part. Certains historiens, comme Jean Gimpel, parlent, pour le Moyen Âge déjà, d’une « première révolution industrielle », notamment avec la domestication des cours d’eaux et la généralisation des moulins à eau de tous usages. Et l’Empire romain lui-même était certainement plus développé économiquement et techniquement que l’Europe du milieu du Moyen Âge. La découverte de nouvelles sources d’énergie à partir de la fin du xviiie siècle n’a fait qu’accélérer ce mouvement millénaire. Mais la révolution industrielle, même étalée sur un siècle, n’en a pas moins constitué un radical changement d’échelle, au point d’affecter désormais l’habitabilité de la planète Terre.
C’est pourquoi l’on parle désormais d’anthropocène, au sens de la première période de l’histoire de la terre dont les conditions environnementales ont été provoquées par les humains (anthropos signifiant humain en grec ancien). Certains ne le font commencer qu’aux premières explosions nucléaires, d’autres à la révolution industrielle, d’autres encore aux Grandes Découvertes ; mais il est clair que c’est une conséquence directe de la révolution néolithique, dont les premiers effets (déboisements, boom démographiques, etc.) furent dans les premiers millénaires peu perceptibles, mais n’ont cessé ensuite de s’accélérer.
Fallait-il donc inventer l’agriculture ? S’il est de mode médiatique de critiquer cet événement, on ne saurait nier les avantages certains qu’ont apportés l’agriculture et ses conséquences sur la destinée remarquable d’Homo sapiens, espèce invasive particulièrement adaptative. De fait, comme toute invention, c’est, très banalement, ce que les sociétés en font qui est décisif, non l’invention en elle-même.