Cette photographie a été prise en 1921 à l'orangerie du château d'Alphéran, situé au nord d'Aix-en-Provence. Ce jour-là, le château accueille un mariage de notables, celui de Simone Charlet et de Raymond de Roquefeuil-Montpeyroux. La mise en œuvre d'un service stylé est perceptible avec les serveurs et le sommelier qui apparaissent de part et d'autre de la table centrale qui accueille les mariés et les familles proches. Nappe blanche, répartition calculée des fleurs en guise de surtout, serviettes au pliage réfléchi, vaisselle et verrerie démultipliées contrastent avec la simplicité des chaises, des tréteaux assemblés pour faire le grand U où les convives sont répartis selon des équilibres de genre et de préséance. Il ne reste plus qu'à attendre le service des plats, choisis et reportés dans un menu qui sera dégusté et fera l’objet de conversations. À elle seule, cette scène de banquet illustre plusieurs caractéristiques du repas gastronomique des Français défendu dans le dossier de classement au patrimoine immatériel de l’UNESCO.
Le repas gastronomique français est inscrit au « patrimoine culturel immatériel » de l’UNESCO (2010)
Le 19 novembre 2010, le Comité intergouvernemental de l'UNESCO en charge de la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l'Humanité décidait que le repas gastronomique des Français méritait d'être porté sur sa liste. Réunis à Nairobi au Kenya pour leur cinquième session, les membres du Comité eurent à examiner cette candidature parmi 54 dossiers, dont 5 sont soumis en français, 41 en anglais et 8 dans les deux langues.
Au terme des délibérations et de l'examen de la candidature, le dossier 00437 présentant le repas gastronomique des Français répondait aux critères d'inscription sur la base de plusieurs arguments. En premier lieu, le repas gastronomique français joue un rôle social actif dans la communauté nationale car il est transmis de génération en génération comme partie intégrante de son identité. Ensuite, son inscription contribue à une plus grande visibilité du patrimoine culturel immatériel, comme catalyseur du « respect mutuel » et du « dialogue interculturel ». Par « respect mutuel », les concepteurs du dossier entendaient valoriser les fonctions de sociabilité des repas. En tant que « dialogue interculturel », le repas gastronomique français est présenté comme un lieu d'échanges et de circulation des pratiques alimentaires. Un troisième argument souligne l'engagement de la communauté, des autorité françaises et des ONG à renforcer la transmission du repas gastronomique, notamment à travers le système éducatif, tout en encourageant la recherche de connaissances par le biais des sciences humaines. La reconnaissance porte aussi sur la participation large et active des communautés mobilisées en France par des réunions, des débats et des enquêtes avec le soutien librement exprimé de nombreuses institutions et associations. Enfin, le choix de l'UNESCO s'appuyait sur l'inscription de ce repas à l'Inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France établi par la Mission d'ethnologie du ministère de la Culture.
En 2010, les candidatures françaises à l’UNESCO furent plutôt bien servies puisque deux autres dossiers furent inscrits sur la liste du PCI (patrimoine culturel immatériel) : le compagnonnage comme réseau de transmission des savoirs et des identités par le métier ; le savoir-faire de la dentelle au point d'Alençon. Au total, 32 Etats avaient soumis une proposition. La répartition géographique des dossiers indique la forte pondération de candidatures européennes avec 13 dossiers, à égalité avec l'Asie d'où venaient notamment trois soumissions d'Inde, deux de Chine, deux du Japon et deux de République de Corée. L'Amérique du sud avait porté sept dossiers et le Moyen Orient six, dont les cinq dossiers iraniens. Moins nationalistes dans leur présentation, deux dossiers multinationaux associaient Espagne, Grèce, Italie et Maroc sur la Diète méditerranéenne, les Emirats arabes unis, la Belgique, la République tchèque, la France, la Mongolie, le Qatar, la République de Corée, l'Arabie Saoudite, l'Espagne et la Syrie pour défendre la fauconnerie comme patrimoine vivant. Des 54 candidatures abouties, cinq portaient explicitement sur l'alimentation. Les Belges proposèrent un dossier de candidature pour leur « fête du pain et du feu », le Mexique pour sa cuisine traditionnelle, plusieurs pays méditerranéens pour leur régime et la Croatie pour son pain d'épices. À leur suite, le France proposa une candidature pour son repas dit gastronomique, dont la définition rend compte d'usages présumés partagés et transmis, d'une affirmation qualitative et festive - dont il y a tout de même lieu de s'interroger sur le caractère unique dans le monde - et d'une capacité à valoriser la sélection des produits, la pratique culinaire et la reconnaissance d'une culture.
La défense du patrimoine alimentaire en France depuis les années 1980
Le résultat obtenu à Nairobi en 2010 est l’aboutissement d'une démarche qui, en France, est bien antérieure au montage de la candidature présentée à l’UNESCO. Fonctionnaires du Patrimoine, touristes étrangers, sociétés savantes locales, amateurs des trésors des musées ont continument manifesté un intérêt pour l'univers alimentaire, quand bien même il ne se résumait pas à la promotion d'un discours élitiste sur l'alimentation réservé aux clients des restaurants les plus en vue et les plus chers.
Depuis la fin du xixe siècle, les fêtes communales destinées à valoriser une production locale, les visites d'ateliers artisanaux à la gloire de l'andouille ou de la fève de cacao, les collections d'objets culinaires rassemblées parfois dans d'improbables musées, les cartes postales illustrant les mises en scène de restaurant participent de cette diffusion d'intérêt autour du repas gastronomique en France. De leur côté, des universitaires - ethnologues, géographes, historiens de l'agriculture ou du social, anthropologues - ont produit une réflexion sur l'alimentation, au moins depuis les années 1930 avec des succès le plus souvent limités à leur communauté académique.
En 1980, le ministère de la Culture crée une Mission d’action qui accompagne l’émergence d’une définition élargie du patrimoine passée d’un art élitaire à la vie quotidienne, de l'Antiquité au présent et de la matérialité à l'intangible. En 1984, la création d'une Mission des arts culinaires au sein du ministère de la Culture traduisait cette nouvelle conception du patrimoine en montrant que les pratiques de table ont une dimension culturelle impliquant tous les acteurs susceptibles en France de déclarer leur lien à « l'art culinaire ». En avril 1985, le critique gastronomique Jean Ferniot fut chargé de remettre un rapport sur la promotion de la gastronomie française aux ministères de la Culture et de l'Agriculture. À sa suite, la création en 1989 d'un Conseil national des arts culinaires, subventionné par le ministère de la Culture, n'aboutit finalement qu'à la mise en œuvre d'un inventaire du patrimoine culinaire de la France avant sa liquidation en 2000. Il s'agissait en réalité d'une recension des produits déclarés « du terroir » dans une approche plutôt tournée vers la valorisation des lieux de production comme s'il s'agissait au fond de s'aligner sur une labellisation agricole localisée, ou de recettes identifiées à une pratique spatialisée.
L’universalité des critères de sélection de l’UNESCO : identité et transmission autour du repas gastronomique français
C'est finalement par le relais d'institutions dédiées que la promotion de la gastronomie française a trouvé ses émules. La création en France de l'Institut européen de l'histoire de l'alimentation (IEHA) en 2002 a donné une véritable légitimité au repas gastronomique français. L'initiative apparaît cependant tardive au regard du soutien que d'autres institutions manifestaient à l'analyse des faits alimentaires dans l'Histoire : depuis 1989 existait déjà en Europe l'International Commission for Research into European Food History (ICREFH) ou aux Etats-Unis, depuis 1985, l'Association for the Studies of Food and Society (ASFS). Si l'IEHA, devenu en 2005 l’IEHCA (Institut Européen d’Histoire et des Cultures de l’Alimentation), légitima la patrimonialisation du repas gastronomique, c'est la création d'une Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires (MFPCA) en 2008 qui permit de faire aboutir politiquement le processus tourné vers le classement du repas gastronomique des Français à l'UNESCO.
Il fallut toutefois proposer autre chose qu'une simple conviction franco-centrée proclamant que la France avait la meilleure gastronomie du monde ! Ce qui pouvait paraître à la fois subjectif et prétentieux, même si l'excellence reconnue de la cuisine de certains chefs démontre son attraction auprès d'autres cuisiniers qui se forment à l'école française ou de clients étrangers fortunés très désireux d'accéder à des tables réputées. Les partisans du classement à l’UNESCO pouvaient s’appuyer sur d’autres arguments : en 2009, une enquête annuelle du CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) indiquait que 95,2% des Français estimaient que l’alimentation était un élément de leur patrimoine culturel et de leur identité et, plus encore, qu'il fallait le transmettre aux générations suivantes.
La notion de PCI (patrimoine culturel immatériel) adoptée par l’UNESCO reprend cette définition élargie du patrimoine : il ne s’agit plus de prendre en compte des monuments et des objets mais plutôt des pratiques, des savoirs, des « éléments culturels » dont la transmission participe à la reconnaissance d'identités collectives. À ce titre, l'UNESCO considère autant les arts du spectacle et les traditions orales, les rituels de fêtes et de cérémonies, les savoirs artisanaux. Pour que ce patrimoine culturel immatériel existe, il doit être reconnu et porté par la communauté qui l'inspire. En 2022, 629 « éléments culturels » correspondant à 139 pays dans le monde sont ainsi classés par l'UNESCO dans la liste de son patrimoine immatériel de l'Humanité. Une infinie diversité d’ « éléments culturels » s’accole dans cette vitrine du génie humain depuis 2008 : aussi bien les dessins sur le sable de Vanuatu que le chant pastoral sarde ou le Xtaxkgakget Makgkaxtlawana du peuple totonaque de Veracruz. Classer le repas gastronomique des Français supposait donc d'en démontrer la pertinence au regard des critères d’évaluation de l’UNESCO.
Le dossier présenté à l'UNESCO s’appuyait sur la revendication du repas gastronomique comme un « élément culturel » propre à la France quand bien même d’autres pays pouvaient revendiquer leur culture alimentaire comme une caractéristique de leur identité collective. Du reste, depuis ce classement, d'autres pays ont en effet fait reconnaître leur culture alimentaire, à l'image du Japon qui a obtenu le classement du Washoku en 2013, de l'Arménie et de son pain traditionnel en 2014, de la Belgique et sa culture de la bière en 2016, du pizzaiolo napolitain en 2017 … L’universalité des critères présentés dans le dossier français (identité culturelle, transmission) évitait ainsi de prendre parti sur la qualité de la cuisine des chefs étoilés en France ou la supériorité du vin de Bourgogne et de la charcuterie corse, par exemple, un choix qui aurait été jugé trop commercial. C’est la raison pour laquelle de nombreuses associations et collectivités locales soutiennent alors la candidature française à l’UNESCO, un soutien censé montrer les « preuves du consentement libre, préalable et éclairé de la communauté à la candidature » selon les termes du dossier de candidature.
Les arguments des défenseurs du repas gastronomique devant l’UNESCO : cuisine, rituels et cohésion nationale
La description du repas gastronomique français proposé dans le dossier remis à l’UNESCO insiste sur sa fonction essentielle dans la cohésion de la communauté nationale. Celle-ci provient du sens donné au repas gastronomique : le bien être ensemble, l’attention à l’Autre, le partage autour du plaisir du goût, l’équilibre entre l’être humain et les productions de la nature. Si ce repas est un patrimoine culturel, c’est aussi qu’il implique des rites précis : la recherche de bons produits, la référence aux corpus de recettes codifiées issues d'un ouvrage ou d'une transmission personnelle, le savoir-faire culinaire, l'esthétisation de la table, la succession des services, le mariage des mets et des vins, les conversations autour des plats. Tous ces aspects sont repris dans une courte vidéo présentant le repas gastronomique comme un élément culturel structurant la vie quotidienne des Français : le repas resserre le cercle familial et amical et, au delà, renforce le lien social. Il constitue, toujours selon les promoteurs du dossier, un repère identitaire important et procure un sentiment de continuité et d’appartenance.
Construit comme une pratique sociale, le repas gastronomique doit aussi marquer les spécificités françaises. Le dossier présenté à l’UNESCO rappelle ainsi que d’autres noms sont donnés couramment au repas qualifié de « gastronomique », un terme qui renvoie, dans la langue française, à la culture populaire du bien manger et du bien boire : repas festif, festin, banquet, gueuleton, « bonne bouffe » (avec une prudence toute académique les auteurs du dossier mentionnent que ce terme est utilisé « dans les jeunes générations ») ou « art de la bonne chère ». Signe d'unité, le repas gastronomique se pratique sur tout le territoire français mais il est aussi pratiqué par les Français qui vivent à l’étranger. Il est diffusé dans de nombreux pays par la proximité géographique frontalière, par l’action d’associations, par les migrations et par les flux de populations. Les circulations professionnelles des cuisiniers au xixe siècle n'y furent pas étrangères.
Dans le dossier présenté à l’UNESCO, le repas gastronomique français se déroule toujours selon des codes et des rites quelque peu idéalisés. Mais qu'en est-il des fameuses « bonnes bouffes » plus informelles ? Comment définir les « bons produits » dont il est question dans le dossier ? Sont-ils exclusivement l'apanage d'un producteur déclaré très respectueux de la nature ou bien peuvent-ils être aussi issus des gammes industrielles qui s'évertuent à respecter des règles qualitatives rigoureuses ? Doivent-ils n'être achetés que chez des détaillants de l'artisanat et du commerce comme le met en image le diaporama du dossier ? Qu'en est-il de l'éducation au goût pour garantir « l’accord des saveurs, des mets et des vins » ? Et quel goût d'ailleurs ? Et qu'en est-il du buveur de bière ? De cidre ? Et surtout du buveur d'eau minérale, trop souvent assimilé au dineur déclassé ?
Le dossier évoque également le respect d’une même structure pour chaque repas : ouvert par l’apéritif, clos par le digestif, il comporte des services successifs : entrée, poisson et/ou viande avec légumes, fromages, desserts. De quatre minimum, le nombre de services peut aller jusqu’à cinq ou six selon les circonstances déclarent les auteurs. Le modèle classique est bien identifié mais comment classer des préférences gastronomiques moins ritualisées ? Esthétiser la table selon le goût français « classique » (une symétrie à partir du centre) renvoie à l'Histoire longue, celle des manières de table et de la construction d'un discours gastronomique depuis le xviiie siècle.
Elle comporte nappe, serviettes (avec l'art du pliage), objets aux formes adaptées à chaque service et étudiés pour sublimer les goûts. Selon l’apparat, on trouve deux à cinq verres, plusieurs assiettes et couverts, parfois un menu écrit. Les places à table peuvent marquer le statut (hiérarchie, genre). Un culte des préséances pourrait-on spécifier. Plus consensuelle sans doute est la présentation de la consommation qui est déclarée s'accompagner d'une gestuelle : humer, goûter, découper à table les grosses pièces (viande, gâteaux, etc.) selon des gestes codifiés symbolisant le partage dans l’unité du groupe. Elle s'accompagne aussi d’expressions orales : parler à table de ce que l’on mange et boit, montrer par les mots d’un lexique spécifique qu’on apprécie le repas.
Enfin le dossier met en avant la transmission de ce patrimoine gastronomique dans le cadre familial : la transmission et l’adaptation de recettes entre différentes générations. Un patrimoine qui s'inscrit également dans un héritage historique au cœur duquel se trouvent des commensalités, des manières, et l'idéal d'inclusion collective. La table a joué ce rôle tout au long de l'histoire en diffusant d'une catégorie sociale à une autre, l'organisation des repas, l'accueil des convives, le choix de recettes et de boissons particulières à l'image de l'emploi du champagne, tout comme elle a pu servir à fêter des identités collectives, par exemple lors des banquets de corporation ou d'entreprises, voire tout simplement lors de mariages ou de cérémonies familiales. Ainsi présenté le repas gastronomique des Français puise sa source dans la valorisation et la transformation des produits agricoles, de l'élevage et de l'identification de « terroirs ». Il embrasse tous les tours de main de cuisine et les temps de dégustation.
Le classement à l'UNESCO portait aussi des engagements des signataires de la convention, c’est-à-dire de l’État français par le biais du ministère de la Culture et de la Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires (MFPCA). Des actions méritoires comme celles de la Fédération nationale des Sites remarquables du goût ont favorisé le travail d'inventaire des produits et des cuisines dès 2008. Mais c’est surtout la création d’une Cité de la gastronomie qui devait assurer les engagements pris dans classement opéré par l’UNESCO : renforcer la transmission du repas gastronomique, notamment à travers le système éducatif, tout en encourageant la recherche de connaissances par le biais des sciences humaines et sociales. Il fallut attendre 2013 pour que soient finalement retenues quatre villes aux projets complémentaires pour accueillir une Cité de la gastronomie.
Quatre, au lieu d'une, parmi six dossiers de candidature : Dijon, Lyon, Paris-Rungis, Tours. Cuisine et vins, santé, alimentation durable, éducation et recherche devaient ainsi trouver leur place dans chacune des cités gastronomiques. En 2020, le journal Les Echos pouvait titrer « les Cités de la gastronomie tentent d'éviter le fiasco », alors que la cité de la gastronomie de la ville de Lyon avait ouvert puis fermé, que Tours tentait de promouvoir sa Villa au nom de Rabelais et que l’ouverture d’une cité de la gastronomie à Paris était promise pour 2024. La ville de Dijon a ouvert sa cité de la gastronomie au début du mois de mai 2022. Le sujet de l'alimentation a largement débordé les cités élues à la faveur d'autres investissements locaux, à l'exemple de la Cité du vin de Bordeaux inaugurée en 2016. De même, le sujet est devenu d'intérêt général dans les bibliothèques communales ou universitaires et tous les musées qui développent leurs collections d'objets en rapport avec l'alimentation : des assiettes en porcelaine, des verreries, des menus. Le classement à l'UNESCO a ainsi ouvert un large terrain éducatif en laissant chaque acteur défendre la gastronomie française selon ses propres choix de présentation au public
L'histoire du classement du repas des Français au patrimoine immatériel de l'UNESCO a connu un rebondissement le 30 novembre 2022 avec la réception du classement des « savoir-faire artisanaux et la culture de la baguette de pain ». Présentée comme « un symbole à travers le monde de la gastronomie française », la baguette est donc elle aussi entrée dans la liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité. Cette distinction est à la fois similaire au classement du repas gastronomique, différente par son approche et discutable par ce qu'elle recouvre au regard d'une histoire plus documentée. Similaire car il s'agit d'affirmer un caractère particulier de l'alimentation en France à travers un produit qui est emblématique. Chacun connaît la photographie de Willy Ronis illustrant le Paris des années 1950 par le cliché d'un gamin portant sa baguette de pain en courant dans une rue de la capitale. Comme une pointe émergée d'un iceberg boulanger, l'image est devenue une représentation à vocation universelle, comme si la baguette parisienne était la France. Différent par son approche, le classement de la baguette l'est en soulignant autant le savoir faire boulanger que la prédilection supposée des Français pour ce pain. Il ne s'agit plus seulement de convivialité ou de gastronomie mais de pratiques alimentaires et de fournitures de consommation très diverses puisque la baguette peut tout autant être consommée dans la rue transformée en sandwich, en casse-dalle de chantier ou tronçonnée dans une panière de restaurant. Faire de la baguette un élément du patrimoine immatériel est plutôt singulier si l'on considère sa matérialité et sa fabrication largement inscrite dans une chaîne agroalimentaire industrielle. Il s'agit donc plutôt de mettre en avant dans ce classement son identification culturelle et le tournemain des boulangers, souvent bien aidés par les fabrications minotières. Il s'agit surtout de classer une image de la France à des fins de communication, touristique, commerciale, culturelle. Un classement somme toute discutable car la prétention de la baguette parisienne à incarner la France élude la variété régionale des pains quand bien même sa consommation serait répandue sur tout le territoire et vue de l'étranger comme un symbole français. Or, aujourd'hui, l'appétit tourné vers les spécificités locales et l'engagement de certains boulangers à faire vivre blé de population et pratiques artisanales revitalisées inscrivent les pains, et pas seulement la baguette, dans un registre culturel tout aussi important.