Pays au potentiel agricole relativement limité, l’Allemagne a fondé sa puissance industrielle sur l’exploitation d’importantes ressources minières. Prolongeant une tradition séculaire d’extraction des métaux (argent, cuivre, étain) qui a entraîné le peuplement d’une partie des moyennes montagnes du sud de l’Allemagne – le Mittelgebirge – le Bergbau (exploitation minière) se développe à une échelle industrielle dans la deuxième moitié du xixe siècle, notamment après l’unification de 1871. La transformation des paysages par l’exploitation minière atteint alors une échelle sans précédent. Il en résulte une culture extractiviste toujours forte, mais qui s’accompagne d’une sensibilité paysagère se traduisant par des réhabilitations systématiques.
Le bassin houiller de la Ruhr : du Kohlenpott au parc urbain
Si une partie des gisements métallifères, ainsi que l’extraction de la potasse, connaissent au xixe siècle un premier apogée, le fait essentiel est l’accroissement extraordinaire de l’exploitation du charbon, sur lequel repose principalement l’essor industriel du pays. Alors que la production n’est que de 23 millions de tonnes en 1871, elle atteint 80 millions de tonnes en 1895 pour culminer à 190 millions de tonnes en 1913. Le charbon conserve une place prééminente jusqu’au début des années 1960 où, après avoir dépassé 140 millions de tonnes, la production nationale commence à décliner au profit du pétrole et des importations.
L’essentiel de la production est extrait dans le bassin de la Ruhr qui devient la plus grande région industrielle d’Europe. Le paysage est désormais dominé par les terrils, les chevalements, les hauts fourneaux et une multitude de cheminées d’usines crachant des nuages noirs provenant de la combustion du charbon. L’environnement de la région est ainsi profondément transformé, soumis à des pollutions considérables de l’air et de l’eau qui lui valent le surnom de Kohlenpott (le pot à charbon). À cela s’ajoutent les affaissements miniers qui affectent une grande partie du bassin et atteignent localement une amplitude dépassant 20 m. Il en résulte des dégâts sur les habitations et surtout de gros problèmes d’écoulement des cours d’eau dont les crues menacent des quartiers entiers, préservés de l’inondation par des digues et des systèmes de pompage.
Il faut attendre les années 1960 et le début du déclin de l’extraction pour que l’on commence sérieusement à se préoccuper des problèmes environnementaux exprimés notamment par le slogan de campagne de Willy Brandt en 1961 : « le ciel doit redevenir bleu au-dessus de la Ruhr ». Avec la fermeture des mines et le déclin de l’utilisation du charbon, le vœu de Willy Brandt finit par être exaucé au cours des années 1980. L’IBA Emscher Park, vaste programme de réhabilitation des sites miniers et industriels et de verdissement des terrils, est mené à bien, transformant les paysages de la Ruhr (photo 1). À la fermeture de la dernière mine en 2018, l’environnement verdoyant de la région urbaine ne justifie plus l’appellation de Kohlenpott. Les anciens paysages miniers et industriels sont même devenus des attractions touristiques mises en réseau dans le cadre de la Route Industriekultur.
L’exploitation dévastatrice du lignite
Depuis le déclin de l’exploitation du charbon, l’activité minière la plus importante est l’extraction à ciel ouvert du lignite, un charbon à faible pouvoir calorifique, dont l’Allemagne possède des réserves considérables. Le gisement le plus important est celui de la région de Cologne-Aix-la-Chapelle. Mais il existe aussi quatre gisements dans les nouveaux Länder, notamment en Basse-Lusace, autour des villes de Leipzig et de Halle.
Malgré les mauvaises qualités énergétiques de ce combustible, la production de lignite connaît un grand essor à partir de la Première Guerre mondiale et dans l’entre-deux-guerres, car il sert en quelque sorte d’ersatz au charbon, dont la production n’est pas suffisante pour les besoins du pays, surtout après la perte du bassin de Silésie. L’exploitation du lignite s’est développée grâce à des politiques visant à l’autarcie, notamment durant le Troisième Reich et en RDA après la Seconde Guerre mondiale, où la production a culminé à plus de 300 millions de tonnes en 1988.
L’exploitation à ciel ouvert, très mécanisée, avec des machines géantes, permet une très forte productivité. C’est ainsi que, contrairement au charbon, l’extraction du lignite reste, aujourd’hui encore, une exploitation rentable, dont la production brûlée dans de grosses centrales thermiques fournit environ un quart de l’électricité du pays. Mais c’est surtout une production dévastatrice, car les immenses mines en découverte qui s’enfoncent jusqu’à plusieurs centaines de mètres de profondeur dans les campagnes de la région de Cologne (photo 2) ou de Basse-Lusace, ont provoqué la destruction de dizaines de villages et de petites villes, contraignant plus de 100 000 habitants à se déplacer, principalement entre 1950 et 1989. Mais les déplacements de villages se poursuivent aujourd’hui, notamment dans le bassin de Cologne.
Après l’extraction, les compagnies minières sont contraintes de procéder à la Rekultivierung, en l’occurrence réhabiliter les déblais miniers et façonner un nouveau paysage de forêts, de champs cultivés et de lacs à l’emplacement des excavations. Dans les nouveaux Länder où la plupart des mines ont été fermées après la réunification, le paysage des bassins de lignite est déjà en grande partie réhabilité, avec des dizaines de lacs de grandes dimensions où se développent des activités de loisirs, comme au sud de Halle et de Leipzig (photo 3). La création de ces paysages de succession minière doit permettre de maintenir une acceptabilité de l’exploitation, qui est toutefois de plus en plus remise en cause, à la fois à cause des dévastations des mines et des émissions de gaz à effet de serre des centrales thermiques. C’est pourquoi les projets d’extension des mines soulèvent une forte opposition de la part des militants écologistes qui se manifeste par des occupations temporaires des mines, comme celle de Hambach près de Cologne. Depuis 2019, il est d’ailleurs prévu de mettre fin à l’exploitation au plus tard en 2038, afin de réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre du pays.
Les paysages de succession minière des gisements métallifères
Les paysages miniers du lignite viendront alors s’ajouter à la longue liste des paysages de succession minière qui se sont multipliés après la réunification allemande, avec la fermeture de toutes les mines métallifères de l’ex-RDA. Les mines d’étain des monts Métallifères et les mines de cuivre du Harz ont alors été fermées, en raison de leur épuisement, ou de leur manque de rentabilité, laissant en héritage un paysage de friches minières dominé par d’immenses terrils. Mais il subsiste aussi un riche patrimoine composant les paysages originaux des monts Métallifères qui ont été classés au patrimoine UNESCO en 2019. Si ces paysages ont relativement peu changé depuis la fin de l’exploitation minière, il en va tout autrement des anciennes mines d’uranium de Saxe et de Thuringe. Soumis à une exploitation intensive à partir de 1945 et jusqu’à la fin de la RDA, les paysages des gisements de pechblende (le principal minerai d’uranium) ont été dévastés. La vallée d’Oberschlema, célèbre station thermale des monts Métallifères, est ainsi ensevelie sous des centaines de millions de m³ de déblais.
À la fermeture des mines en 1991, le plus grand projet européen de réhabilitation minière va assainir ces régions très polluées et faire disparaître les terrils noirâtres d’Oberschlema, en les transformant en collines verdoyantes servant d’écrin à la nouvelle station thermale reconstruite. Le souvenir de l’exploitation minière n’est alors plus conservé que dans des musées.