Les professeurs de philosophie dans les collèges et universités de l’Europe moderne
Au xve siècle, la faculté des arts où s’enseignait la philosophie était moribonde. Avec la création des collèges, une nouvelle institution, détachée des universités, s’est ainsi progressivement mise en place. Les plus importants d’entre eux ont été tenus par les pères de la Compagnie de Jésus, fondée en 1540, dans le cadre de la contre-réforme catholique mise en œuvre par le Concile de Trente (1545-1563). Les jésuites ont donc créé des institutions où des professeurs enseignaient la philosophie juste avant les autres disciplines universitaires (droit, médecine, théologie). L’Europe s’est couverte de collèges, créant ainsi des enseignements tenus par des professeurs de philosophie, à Messine (royaume de Naples), puis à Billom (en France) en 1555, au collège de Clermont en 1563 (futur collège Louis-Le-Grand), au collège de La Flèche où, en 1607, parmi les internes figure René Descartes. Le jésuite Pierre Canisius créé des collèges pour garçons à Vienne, Prague, Strasbourg, Trèves, Fribourg-en-Brisgau, Zabern, Dillingen, Munich, Wurzburg, Innsbruck, Molsheim (Alsace) et Fribourg (Suisse).
L’enseignement de la philosophie au sein des collèges a concerné la France et d’autres pays d’Europe tels que l’Espagne et le Portugal. En revanche, c’est à l’université que cet enseignement est donné dans les principautés de langue allemande et dans les pays protestants (Angleterre, Pays-Bas, etc.). Ainsi en Grande-Bretagne, lorsque l’on parle de collège – le King’s college de Londres, par exemple – aujourd’hui encore, il s’agit, comme au Moyen-âge, d’un enseignement universitaire et non secondaire.
Les professeurs de philosophie dans l’enseignement secondaire au XIXe siècle
Si l’on prend l’exemple le plus significatif, tant pour la place qu’ils occupent dans la hiérarchie des classes que dans l’organisation des programmes, de la France avec la création des lycées en 1802, des professeurs de philosophie y sont nommés, différents de ceux des facultés. Une agrégation est créée dès 1825 pour les recruter : Gatien Arnoult, futur auteur de manuels, en est l’un des premiers lauréats. En 1831, Charles Bénard est reçu à son tour : ce professeur joue un rôle non négligeable dans les années 1860 en étant l’un des artisans de la généralisation de la dissertation dans le secondaire qui devient l’épreuve écrite essentielle de l’examen du baccalauréat en 1866. D’une certaine manière, les professeurs de philosophie de l’enseignement du secondaire cannibalisent cet enseignement qui se développe peu à l’université française. La philosophie sert à faire passer un examen, mais aussi à éveiller les consciences : Alain, Jules Lachelier, Émile Boutroux et bien d’autres sont des professeurs reconnus. Inversement, la recherche à l’université est peu fournie, très littéraire, le nombre de professeurs réduits, les effectifs d’étudiants squelettiques, et la licence autonome de philosophie n’existe qu’à partir des années 1880. On retrouve cet ancrage scolaire fort de la discipline également en Italie, au Portugal, ou en Espagne où des professeurs exercent leur fonction dans le secondaire.
Dans les autres pays d’Europe, tel l’Allemagne, la Grande Bretagne, le Bénélux, la philosophie est en revanche très présente à l’université, mais absente du secondaire où des cours de morale en sont un substitut, comme en Allemagne ou en Belgique. Les universités donnent la possibilité à des professeurs de déployer tous leurs talents de chercheurs, particulièrement en Allemagne qui représente le mieux cette tradition : Kant, Hegel, Fichte, Schelling, Wundt, Dilthey, Simmel. Aussi, dès le début du xixe siècle (Victor Cousin publie en 1817 Souvenirs d’Allemagne, et en 1833 De l'instruction publique en Allemagne, et notamment en Prusse) et plus encore dans les années 1880, sous l’impulsion du gouvernement républicain après la défaite de Sedan, nombre de professeurs français partent chercher leur modèle dans les États allemands en y faisant une partie de leurs études ou une enquête. C’est le cas, par exemple d’Henri Lachelier (le fils de l’inspecteur général) qui constate à Leipzig ou à Berlin l’afflux d’étudiants et surtout l’obligation pour tous les futurs professeurs de faire de la philosophie considérée outre-Rhin comme un élément fondamental de la culture générale.
La philosophie dans le secondaire au début du XXIe siècle
Entre la fin du xixe siècle et les années 1960, les professeurs de philosophie vivent une réelle période de stabilité. En France, pays où l’enseignement de la philosophie est ancré dans le secondaire, ils enseignent la discipline de couronnement des études, passage quasi obligé pour entrer ensuite dans le supérieur : la classe de philosophie accueille, en effet, la moitié des effectifs des classes de terminale. Mais, c’est le chant du cygne.
En effet, l’enseignement de la philosophie se transforme considérablement à partir des années 1980-1990 avec la massification des effectifs scolarisés dans le secondaire, l’extension de l’enseignement de la philosophie en primaire, la multiplication des sections du secondaire et le rapprochement des systèmes universitaires et secondaires européens. Cette évolution s’observe à la fois en amont et en aval. Dans nombre de pays d’Europe, des professeurs des écoles, souvent influencés par le philosophe américain Matthieu Lipman (à partir de 1970), animent désormais des ateliers de philosophie à destination des enfants et nombre d’ouvrages sont publiés à cet effet par des universitaires qui ont théorisé cette nouvelle pratique : Oscar Brenifier et Michel Tozzi en France, Ekkehard Martens et Karlfriedrich Herb en Allemagne, Fischer en Angleterre. Une chaire est même créée à l’UNESCO sur la pratique de la philosophie avec les enfants, actuellement tenue par Edwige Chérouter de l’Université de Nantes. Si la qualité de la formation des enseignants est aléatoire selon les cas, nombre de pays d’Europe offrent désormais un enseignement de la philosophie dans le secondaire : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Grèce, Irlande, Islande, Italie, Lettonie, Luxembourg, Monaco, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Serbie, Slovaquie, Slovénie. Cet enseignement est donné par des professeurs spécialisés (comme en France) ou non (comme en Italie où ils sont bivalents enseignant histoire et philosophie). L’enseignement peut être une majeure dans le cursus secondaire ou au contraire être une mineure. En Allemagne, comme en Belgique, le cours de philosophie acquiert une importance plus grande depuis qu’il est possible de le substituer au cours de religions donné par les principales confessions.
Si une certaine diversité demeure parmi les enseignants de philosophie européens, ne serait-ce que par la différence des organisations, un rapprochement a eu lieu entre les pays du continent initialement divisés entre les professeurs principalement du secondaire et ceux qui étaient uniquement au niveau universitaire. Ce rapprochement se manifeste notamment depuis 1974 par l’existence d’une association internationale des professeurs de philosophie – en fait principalement européenne –, l’AIPPh, qui organise des congrès (Europa Forum philosophie) et publie des ouvrages.