Le Conseil de l’Europe, inspirateur d’une politique européenne d’éducation

Dans son discours au congrès de La Haye en 1948, Winston Churchill appelle de ses vœux la création d’une institution européenne promouvant la paix et rassemblant les pays. Le Conseil de l’Europe naît un an plus tard à Strasbourg. Il a su mener dès les années 1950 une action fondamentale dans la préparation de l’Europe de l’éducation. Pour lutter contre une Europe divisée, ses fondateurs ont voulu rapprocher les peuples par la mobilité et la reconnaissance des diplômes, l’enseignement des langues, la transmission d’une histoire multiple et l’éducation à la paix et à la démocratie. L’institution a fêté ses 70 ans dans une Europe en paix, signe d’une collaboration réussie avec l’Union européenne dont l’emblématique programme Erasmus a bénéficié de l’action inspiratrice du Conseil de l’Europe.

Discours de Winston Churchill, Congrès de La Haye, mai 1947. Crédits : Communauté européenne.
Discours de Winston Churchill, Congrès de La Haye, mai 1947. Crédits : Communauté européenne. Source : www.touteleurope.eu
Signature de la convention culturelle européenne le 19 décembre 1954. © Conseil de l’Europe.
Signature de la convention culturelle européenne le 19 décembre 1954. © Conseil de l’Europe. Source : www.coe.int
Sommaire

Dans son discours au congrès de La Haye en 1948, Winston Churchill appelle de ses vœux la création d’une institution européenne promouvant la paix et rassemblant les pays. Le Conseil de l’Europe naît à Strasbourg un an plus tard. Créé par dix États fondateurs, il regroupe maintenant 47 membres, 800 millions de personnes et s’étend de Reykjavik à Vladivostok. La convention culturelle, signée en 1954, est la pierre angulaire de sa politique éducative. L’article 2 prévoit que « chaque partie contractante, dans la mesure du possible, encouragera chez ses nationaux l’étude des langues, de l’histoire et de la civilisation des autres parties contractantes, et offrira à ces dernières sur son territoire des facilités en vue de développer semblables études. » Il s’agit de promouvoir la diversité et de lutter contre l’obscurantisme. L’action du Conseil de l’Europe (CoE) dans le domaine de l’éducation s’articule autour de quatre axes : la création d’un espace commun d’éducation, le partage d’une histoire commune, l’apprentissage des langues européennes et l’éducation à la paix et à la démocratie.

Un espace commun d’éducation : mobilité, diplômes, réformes

La création d’un espace commun d’éducation exige des conditions favorables à la mobilité, la reconnaissance des diplômes et la réforme des institutions.

Dès les années cinquante, le CoE adopte trois conventions sur la reconnaissance des qualifications acquises à l’étranger (1953, 1959) et sur l’équivalence des périodes d’études (1956). Dans les années 1980, il met l’accent sur l’information concernant les diplômes européens. Le réseau Eurydice (1980), agence chargée de l’information sur les systèmes d’éducation, et le réseau NARIC (1984), destiné à aider les étudiants à comprendre les cursus d’études à l’étranger, sont créés. Le CoE prépare ainsi le terrain à la mobilité étudiante européenne et au programme Erasmus de 1987.

L’intégration de l’espace éducatif de l’enseignement supérieur s’intensifie avec, en 1999, la signature de la convention de Lisbonne. Elle anticipe la réforme des diplômes en trois ans (licence), cinq ans (master), huit ans (doctorat) du processus de Bologne. L’Europe s’aligne donc sur des cursus communs. En 2012, le supplément au diplôme créé par le CoE sert à détailler les enseignements suivis et donne plus de lisibilité aux diplômes. Enfin, dans une démarche de mobilité pour tous, le CoE prévoit en 2017 un passeport européen des qualifications des réfugiés.

Engagé pour la démocratie et un enseignement éthique, le CoE s’attèle également à la réforme des institutions académiques avec des programmes de lutte contre la corruption dans l’enseignement supérieur (en Arménie, à Prague avec la plateforme Etined).

Une histoire commune : manuels, thèmes transversaux, approche multiperspective

L’article 2 de la convention culturelle prône l’enseignement de l’histoire dans le but d’œuvrer à l’entente commune entre les peuples.

Dès 1950 le Comité des ministres propose de réviser les manuels scolaires. Un an plus tard naît le centre de recherche international sur les manuels scolaires Georg Eckert. Cet historien, président de la commission allemande de l’UNESCO, milite pour la révision des manuels scolaires, également prônée par la Société des Nations. En 1953, la conférence sur « l’idée européenne dans l’enseignement de l’histoire » précise le projet. Le Conseil culturel créé en 1962 aiguille ces recherches et dégage, en 1965, vingt-cinq thèmes d’études comme le féodalisme et les croisades. Vingt ans plus tard naissent les classes européennes du patrimoine. Fondées sur l’idée de civisme et d’intégration sociale des jeunes, les classes visent à faire découvrir le patrimoine européen commun comme en 1989, l’opération « Rhin sans frontière » regroupant 110 élèves de quatre pays frontaliers.

Suite à la chute du mur, la réflexion s’engage à Bruges sur « l’enseignement de l’histoire dans la nouvelle Europe ». Le CoE rassemble les historiens dans le réseau Euroclio, défend l’éducation à la compréhension mutuelle, soutient les minorités et prône en 1997 une approche multiperspectives de l’étude de l’histoire.

40 langues à enseigner : niveaux, formation, multilinguisme

L’enseignement des langues est l’autre axe fort de l’article 2 de la convention culturelle. Le CoE promeut la recherche et la formation, identifie les niveaux de langage, et encourage la diversité linguistique.

En 1960 émerge la recherche linguistique et psychologique sur l’apprentissage des langues dont le CoE veut démocratiser l’accès. Il lance de 1963 à 1972 un vaste programme sur l’éducation des adultes et les langues à l’école. Cet apprentissage devient une priorité en 1969 avec les exigences des échanges commerciaux. Un niveau seuil de compétence en langues est défini (1974) permettant de communiquer de façon basique dans une langue. C’est le prélude au futur cadre commun de références en langues (CECRL) qui décrit les compétences en langues du débutant (A1) au bilingue (C2). Lancé en 2001, ce cadre figure désormais dans le portfolio des langues, outil récapitulant le niveau et les expériences linguistiques de chacun. La partie recherche et formation, portée par le Centre européen pour les langues vivantes de Graz (1994), concerne l’utilisation des nouvelles technologies, l’autonomie de l’apprenant…

En 1997 et 2001, des programmes pour une Europe multilingue et interculturelle visent à garantir le plurilinguisme. La diversité, inscrite dans la charte de protection des langues régionales minoritaires ou régionales, est protégée par l’Union européenne qui interdit dans le traité de Lisbonne les discriminations (art. 21). La déclinaison du CECRL en 40 langues en 2015 illustre cette diversité. Le CoE adopte des résolutions sur les langues menacées (2013) et sur l’égalité des langues à l’ère numérique (2018). Il s’appuie sur le Centre des langues de Graz et le Centre européen de recherche sur le multilinguisme (MERCATOR). L’Union européenne rejoint son action en visant la maîtrise de deux langues étrangères d’ici 2025.

Éduquer à la paix et à la démocratie et défendre les DDH

L’engagement du CoE pour la défense de la démocratie et des droits de l’homme se fait dès le début avec sa Cour de justice. Dans son sillage, le Conseil des ministres souligne en 1978 la nécessité de préparer les jeunes aux droits de l’homme. Si la Commission de Venise, née le 10 mai 1990, accompagne la transition démocratique des pays de l’Est, un cadre de référence sur la citoyenneté et l’éducation aux droits de l’homme est présenté en 1992. En 1999, lors du 50e anniversaire de CoE, le Conseil des ministres lance un programme sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et en fait la priorité de l’année 2004. Avec la Norvège, il crée le centre Wergeland d’Oslo où naîtra le cadre de compétences pour une culture de la démocratie en 2018.

Au fil du temps, la construction de l’Europe de l’éducation, évidente pour le Conseil de l’Europe, conquise par l’Union, suit un processus dialectique où, progressivement, chaque institution trouve ses marques. Aujourd’hui le CoE fête ses 70 ans dans une large couverture géographique. Le travail de fond du CoE et son audace politique témoignent de sa constance. Si l’Union européenne a pu avancer si rapidement dans l’intégration d’un espace commun d’éducation grâce à la mobilité, à la reconnaissance et à l’harmonisation des diplômes, elle le doit à l’action menée par le CoE depuis 1949. Elle s’est inspirée du chemin tracé et collabore maintenant étroitement avec lui grâce aux valeurs et aux objectifs partagés. Porteuse de la Convention européenne des droits de l’homme, de portfolios pour la reconnaissance des diplômes – y compris pour les migrants –, des 40 langues européennes et d’une histoire multiple, cette institution ne serait-elle pas l’âme de l’Europe ?

Citer cet article

Muriel Bourdon , « Le Conseil de l’Europe, inspirateur d’une politique européenne d’éducation », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 08/09/20 , consulté le 20/04/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/21389

Bibliographie

Bourdon, Muriel, L’Europe des universités, Grenoble, Presses de l’université de Grenoble, 2012.

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