L’orientation professionnelle : encadrer la transition entre l’école et le travail au xxe siècle

L’orientation professionnelle (OP) apparaît au début du xxe siècle afin de conseiller et guider les adolescents dans le choix d’un métier. Née dans le sillage d’associations professionnelles soucieuses de la formation professionnelle des apprentis, d’associations philanthropiques et de milieux pédagogiques, elle reçoit l’appui de la psychologie. Après la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte de croissance économique, les services d’OP se développent dans des formes variables selon les pays. À partir des années 1980, en même temps qu’elle est élargie aux adultes, elle devient un instrument des politiques européennes de l’emploi sous le nom d’Orientation tout au long de la vie (OTLV). Cependant, ce processus d’européanisation ne fait pas disparaître les spécificités nationales.

Couverture d’une brochure de la Direction générale de l’organisation et des programmes scolaires, vers 1960. Réseau Canopé. © Musée national de l’Éducation.
Couverture d’une brochure de la Direction générale de l’organisation et des programmes scolaires, vers 1960. Réseau Canopé. © Musée national de l’Éducation.
Jean Suquet, Centre d’orientation professionnelle du XIIIe arrondissement, Test des mouvements conjugués, IPN, 1955. Réseau Canopé. © Musée national de l’Éducation.
Jean Suquet, Centre d’orientation professionnelle du XIIIe arrondissement, Test des mouvements conjugués, IPN, 1955. Réseau Canopé. © Musée national de l’Éducation.
Sommaire

Au tournant du xxe siècle, en Europe, mais aussi aux États-Unis, les premiers services d’orientation professionnelle (OP) apparaissent. Ils se proposent de conseiller et de guider les adolescents dans le choix d’un métier et l’accès à l’emploi. Née de l’industrialisation, de la formation des marchés du travail, mais également de l’action de mouvements éducatifs et de nouvelles sciences humaines comme la psychologie, l’OP prend des formes différenciées en fonction des contextes nationaux.

Entre placement, formation professionnelle et psychologie (1890-1940)

Les premiers services d’orientation, apparaissant autour de 1900, résultent d’initiatives de la société civile, l’État restant la plupart du temps en retrait.

La Grande-Bretagne fait figure de pionnière ; elle met en place un dispositif mixte associant les bureaux de placement (1909) et les autorités scolaires locales (1910). En Belgique, c'est sous l’impulsion du pédagogue A.-G. Christiaens que le premier service est ouvert (1912). En Suisse, les premières initiatives relèvent de l’artisanat et des associations de protection des apprentis (1916). En France, un comité d’orientation est créé avec la collaboration du psychologue Alfred Binet (1912).

À partir de 1918, les besoins en main-d’œuvre favorisent l’OP. En France, elle est placée sous la tutelle de l’Enseignement technique (1922). Le dispositif est complété par la création de l’Institut national d’orientation professionnelle (1928) qui forme des conseillers sous la direction du psychologue Henri Piéron. En Belgique, le premier office est transformé en Office intercommunal pour l’orientation professionnelle des jeunes gens de l’agglomération (1919). L’Allemagne met en place un système centralisé dépendant du ministère du Travail (1927) qui utilise largement les tests psychotechniques.

Dans les années 1920, la psychologie, en proposant une orientation « scientifique » fondée sur les tests psychotechniques, renforce son assise. L’institut Jean-Jacques Rousseau de Genève (1912) est un foyer international de la psychologie appliquée. La France, la Pologne, l’Italie ou l’Allemagne disposent de laboratoires de psychotechnique. Dans les années 1930, l’OP est mise au service de la lutte contre le chômage. En Suède, la loi de 1934 sur les bureaux de placement organise des services spécialisés d’OP et de placement des adolescents. En Belgique, un Centre national de l’orientation professionnelle est créé en 1936, à côté d’organismes confessionnels rattachés au mouvement ouvrier chrétien. En France, un décret de 1938 rend obligatoire un certificat d’OP pour les élèves en fin d’études primaires et prévoit la généralisation des offices d’OP, la guerre reportant néanmoins l’application de ces mesures.

Essor dans un contexte de croissance économique et de scolarisation (1950-1980)

À partir des années 1950, l’OP se transforme. Dans un contexte de croissance économique, les États se dotent de services d’OP ou les renforcent.

La plupart des États européens organisent des services publics d’orientation afin de répondre aux besoins de main-d’œuvre et favoriser la formation professionnelle. La Suède nationalise les services de l’emploi (1949). La Belgique met en place les centres psycho-médicosociaux et, en 1957, une « tutelle professionnelle de la jeunesse ». Le Grand-Duché du Luxembourg institue un Office d’orientation au sein de l’Office national du travail et généralise la pré-orientation professionnelle. En France, dans les années 1950, les anciens offices d’OP deviennent des services de l’Éducation nationale. En Italie, l’Organisme national de prévention des accidents mis en place généralise l’OP des jeunes et des adultes.

Avec l’allongement croissant des scolarités, l’OP est de plus en plus articulée aux systèmes scolaires notamment au niveau de l’école moyenne (collège) mais selon des formes différenciées. En France, la réforme Berthoin (1959) fait entrer l’orientation scolaire dans le premier cycle du secondaire. La création de l’Office national des enseignements et des professions (1970) fournit aux usagers une information sur les filières d’études.  En Italie, la nouvelle école moyenne (1962) se voit assigner la mission d’orientation des élèves, tandis qu’en Tchécoslovaquie, l’orientation pédagogique et professionnelle est intégrée au système d’enseignement général polytechnique (1962).

Entre européanisation et spécificités nationales (1980-2000)

À partir de la fin des années 1970, la montée du chômage, notamment des jeunes, inaugure une réorganisation des dispositifs, encouragée par la Communauté européenne. Le contexte politique influence les formes d’organisation des services d’orientation. En France, les gouvernements de gauche élargissent les publics : les missions locales (1982) et les permanences d’accueil d’information et d’orientation (PAIO) prennent en charge une partie de la jeunesse, et le réseau des Cap emploi (1987) les travailleurs handicapés. En Grande-Bretagne, les gouvernements conservateurs démantèlent le service public (1981) au profit d’organismes privés. Leur action est prolongée dans les années 1990 par le New Labor, qui cherche à créer un marché de l’orientation.

Sous l’impulsion conjointe de l’Union européenne et de l’OCDE, on assiste à une européanisation de la question. Les premiers programmes d’action sont lancés par l’UE à la fin des années 1980 et, à partir des années 1990, mettent l’accent sur l’employabilité. En 1997, les États membres, réunis en Conseil sur l’emploi à Luxembourg, définissent un programme d’actions. En 2004, la résolution du Conseil de l’Union européenne sur l’orientation tout au long de la vie (OTLV) préconise une intensification de l’offre en matière d’orientation dans le cadre d’un service public unique.

Cependant, les réformes de structure n’effacent pas les spécificités nationales. L’articulation entre orientation professionnelle, orientation scolaire et placement reste profondément différente selon les pays. Dans certains (Danemark, Grèce, Irlande, Portugal), les services d’orientation se situent principalement dans les établissements scolaires ; dans d’autres (Belgique, France, Italie, Luxembourg, Espagne), ils sont autonomes et reçoivent également des adultes et les jeunes sortis du système scolaire. Enfin, en Allemagne, les services d’OP sont étroitement liés au système de formation professionnelle et des services de l’emploi. Les pratiques d’orientation sont également différentes d’un pays à l’autre. En Belgique, les différentes fonctions sont assumées par un seul centre (Centre psycho-médicosocial). En Irlande, dans les écoles, le conseiller d’orientation prend en charge la totalité de l’orientation. Au Danemark, en Allemagne, en Grèce, au Portugal et au Royaume-Uni, l’éducation des choix a été intégrée aux programmes scolaires. Dans certains pays, les services d’information sont très développés (Allemagne), alors que dans d’autres c’est l’entretien individuel sur la base d’un diagnostic qui est le plus utilisé (Belgique, France, Luxembourg).

Selon la structure administrative du système scolaire en vigueur, la place de l’État et des niveaux locaux diffère : aux pays à tradition centralisatrice (France, Grèce, Irlande, Luxembourg), s’opposent ceux qui confient l’orientation aux autorités régionales (Belgique, Allemagne, Italie, Portugal, Espagne) ou aux autorités locales (Danemark, Royaume-Uni).

Après un siècle d’histoire, l’OP cherche son équilibre entre formation professionnelle, emploi et promotion individuelle. Devenue un outil central des politiques publiques de l’emploi et de la formation professionnelle, elle reste marquée par les spécificités nationales des sociétés européennes.

Citer cet article

Jérôme Martin , « L’orientation professionnelle : encadrer la transition entre l’école et le travail au xxe siècle », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 25/04/22 , consulté le 12/10/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/21827

Bibliographie

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Eckert, Henri, L’orientation professionnelle en Allemagne et en France, Paris, L’Harmattan, 1993.

Martin, Jérôme, « L’orientation professionnelle, un instrument de la rationalisation ? », Histoire & Sociétés. Revue européenne d’histoire sociale, n° 2, 2e trimestre 2002, p. 93-106.

Verdier, Éric, « Les dispositifs d’orientation en Europe : comment concilier vocation, autonomie et protection des individus ? », Les Sciences de l’éducation – Pour l’ère nouvelle, vol. 43, n° 2, 2010, p. 109-132.

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