Les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) sont organisées tous les deux ou trois ans sous la forme d’une rencontre internationale de jeunes qui se tient à chaque fois dans une ville différente. Elles ont donné lieu à huit grands rassemblements sous le pontificat de Jean-Paul II : Buenos Aires (1987), Saint-Jacques de Compostelle (1989), Czestochowa (1991), Denver (1993), Manille (1995), Paris (1997), Rome (2000) et Toronto (2002). Le pontificat de Benoît XVI, qui a repris à son compte le dispositif, a été marqué par les JMJ de Cologne (2005), de Sidney (2008) et de Madrid (2011), et celui de François, qui a également poursuivi la tradition, par celles de Rio de Janeiro (2013), Cracovie (2016), Panama (2019) et Lisbonne (2023).
La création d’un dispositif
Les JMJ ont été institutionnalisées en décembre 1985 à l’issue de deux rassemblements internationaux expérimentaux organisés à Rome en avril 1984 puis en mars 1985. Dans les discours de Jean-Paul II, elles sont associées à deux grandes finalités.
La première relève de l’éducation religieuse. L’expérience du grand rassemblement doit permettre aux participants de vivre une expérience spirituelle forte à même de les ancrer dans le catholicisme, alors que leur environnement familial et social (en Occident tout du moins) est de plus en plus déchristianisé et que les organisations de jeunesse issues de l’Action catholique, semblent avoir abandonné toute perspective surnaturelle, pour se consacrer à des objectifs exclusivement temporels.
La seconde finalité des JMJ est géopolitique. Lorsque Jean-Paul II prononce pour la première fois l’expression « Journée mondiale de la jeunesse » en avril 1985, il l’associe à des objectifs de transformation, par les nouvelles générations, du système des relations internationales, alors marqué par la Guerre froide. Après l’éclatement du bloc communiste, les JMJ seront orientées vers « l’humanisation de la mondialisation », avec le souci de faire bénéficier les jeunes des pays du Sud et de l’Est de l’ouverture des frontières, et de contrebalancer l’hégémonie culturelle nord-américaine.
Ordonnées à une conversion individuelle, dont doit découler un engagement pour un monde plus juste, les JMJ participent de la « nouvelle évangélisation » promue par Jean-Paul II. À rebours de l’expérience d’« enfouissement » vécue par exemple par les prêtres ouvriers, qui s’immergent dans un cadre de travail sans proclamer leur foi, celle-ci prône une annonce explicite et visible du message évangélique. Pendant cinq jours, les JMJ articulent les scènes d’effervescence et les moments de recueillement, l’expérience de la foule (notamment lors de la veillée et de la messe présidée par le pape) avec celle de l’échange au sein de petits groupes. Les JMJ combinent également la remise en avant de pratiques catholiques traditionnelles – comme la messe, la confession, le pèlerinage ou les catéchèses (Ill.1) – avec des éléments plus novateurs, inspirés pour partie par le mouvement pentecôtiste. On peut par exemple relever l’importance de l’émotion et de la fête, la mise en jeu du corps ou l’intégration des codes de la culture jeune d’un point de vue musical.
Des succès immédiats spectaculaires
Sur le moment, les JMJ apparaissent comme une modalité très efficace de communication. Les chiffres spectaculaires de participation (jusqu’à 4 millions de personnes rassemblées à Manille en 1995) sont bien supérieurs à la moyenne des grandes manifestations culturelles, politiques et sportives organisées dans l’espace public (Ill.2). L’engouement populaire est d’autant plus remarquable si l’on tient compte des téléspectateurs qui assistent indirectement à l’événement par l’intermédiaire de leur petit écran.
Ces chiffres peuvent s’expliquer par une dynamique d’agrégation qui part des jeunes catholiques les plus fervents. Le rassemblement dans le même lieu de ces individus ordinairement dispersés, divers de par leurs cultures et leurs ethnies, mais se reconnaissant mutuellement comme appartenant à une même Église, provoque une forme d’exaltation que l’arrivée du pape, figure totémique, ne fait que renforcer. La condensation spatiale de ces « rescapés » de la transmission religieuse, remplis d’énergie par leur rencontre, a un effet de ralliement à l’événement par ondes concentriques, d’abord auprès des catholiques non pratiquants qui restent éthiquement et culturellement attachés au christianisme, ensuite auprès d’individus non socialisés dans le catholicisme, mais qui sont marqués par le caractère positif de cette rencontre qui transforme momentanément leur ville et répond à certaines des angoisses de la modernité. Les médias d’information, nombreux à couvrir l’événement, contribuent à la contagion émotionnelle, en donnant à voir une foule pacifique de jeunes fraternellement rassemblée autour d’un pape dont le charisme est magnifié.
Des effets difficiles à mesurer sur le long terme
Le « rassemblement monstre », pour spectaculaire qu’il soit, permet-il pour autant l’atteinte des objectifs assignés au dispositif ?
Concernant la transmission du catholicisme, la réponse semble devoir être nuancée. Dans les pays ayant accueilli une JMJ, les statistiques montrent que le rassemblement a un impact à court terme sur les pratiques cultuelles, les croyances et le sentiment d’appartenance des 15-35 ans. Sur le moyen terme, ces indicateurs continuent cependant à baisser au profit de croyances spirituelles non régulées, ce qui semble réfuter l’hypothèse selon laquelle les “jmjistes” constitueraient l’avant-garde d’un mouvement plus large de retour à la foi chrétienne. L’histoire des JMJ s’inscrit dans une dynamique de polarisation entre une petite minorité de « virtuoses religieux » d’un côté, et une grosse majorité d’indifférents de l’autre. Le grand rassemblement permet la participation ponctuelle d’une partie de ceux qui se sont éloignés, mais n’arrive pas à « capitaliser » durablement les émotions pour les transformer en affiliations.
Du point de vue géopolitique, les JMJ, notamment celle de Compostelle en 1989 et celle de Czestochowa en 1991, ont accompagné la réunification du continent européen, en permettant à des jeunes de l’Est et de l’Ouest de se rencontrer à une échelle inédite. Plus généralement, les JMJ ont ouvert les jeunes catholiques à la pluralité ethnique, culturelle et religieuse que fabrique la mondialisation, participant en cela des pédagogies de la diversité, qui se développent au début des années 2000 sous l’impulsion des organisations internationales, et visent à construire non seulement des représentations positives des différences, mais aussi des compétences pour vivre dans des environnements hétérogènes.