L’Europe, terre d’adoptions transnationales
L’après-guerre est propice aux mouvements intra-européens d’enfants déplacés, réfugiés, perdus, rescapés. Ces déplacements constituent de fait des mouvements de personnes dont les adoptions internationales sont les formes juridiques les plus abouties. L’histoire de ces « adoptions entre pays », comme on les appelle à l’époque, montre qu’une dynamique interne à l’Europe s’est doublée dans les années 1940 et 1950 d’un flux de l’Europe vers les États-Unis. Puis, à partir des années 1960, un flux intercontinental, de l’Asie vers l’Europe, se développe, puis un autre de l’Amérique latine vers l’Europe (très important dans les années 1980) et, enfin, dans les années 1990 un mouvement important lie l’Afrique et l’Europe et aussi de nouveaux flux intra-européens de l’Est (Roumanie et Russie notamment) vers l’Ouest. L’adoption internationale peut être considérée comme une forme particulière de migration, qu’elle soit vue comme une version moderne des circulations traditionnelles d’enfants ou comme une solution à des problèmes démographiques, économiques et sociaux. Les « adoptions entre pays » constituent un phénomène social transnational nécessitant une régulation au niveau international. L’Europe se trouvant au centre des premiers mouvements, le Conseil de l’Europe, institution créée en 1949, s’empare de cette question et tente d’apporter sa contribution à la régulation du phénomène.
Un phénomène social transnational à réguler
Face à la situation de grande détresse de nombreux enfants, un élan de générosité international se manifeste pour adopter des enfants qui n’ont guère de chance d’être adoptés dans leur propre pays. Les Suédois sont particulièrement sensibilisés à cette question. Des enfants finlandais sont adoptés en Suède puis, dans les années 1950, des Suédois partis travailler dans d’autres pays européens adoptent sur place des enfants grecs, yougoslaves, etc. Mais les adoptions internationales se font surtout dans les années 1950 des pays d’Europe vers les États-Unis. Après la guerre de Corée (1950-1953), le pasteur américain Harry Holt lance l’adoption d’enfants métis amérasiens aux États-Unis puis en Europe. En France la « tribu arc-en-ciel » qui regroupe les douze enfants adoptés par Joséphine Baker popularise l’adoption internationale.
Au début des années 1960, dans un mouvement de transnationalisation de la question sociale, le Service social international (SSI) est la première organisation à réfléchir sur l’« adoption entre pays » comme mesure de protection de l’enfance. Au même moment, apparaissent des associations (Terre des hommes notamment) dont l’objectif prioritaire est de sauver des enfants victimes du sous-développement. L’adoption apparaît comme un moyen humanitaire efficace de répondre à cette injonction morale. Venus du Liban, d’Inde, de Corée du Sud, du Vietnam, des centaines d’enfants arrivent chaque année en Europe pour être adoptés en France, en Belgique, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Norvège… très peu au Royaume-Uni où l’adoption internationale est alors marginale et l’est restée. Progressivement, les pays de départ sont de plus en plus nombreux alors que les pays d’Europe de l’Ouest deviennent tous peu ou prou des pays d’accueil ; par exemple, l’Italie qui était un pays de départ dans l’après-guerre devient un pays d’accueil. Cette évolution des mouvements migratoires de l’adoption internationale pousse le Conseil de l’Europe à proposer une convention.
Le Conseil de l’Europe à l’œuvre
Regroupant les principaux pays d’accueil de l’adoption internationale dans les années 1950 et 1960 (Belgique, Danemark, France, Norvège, Pays-Bas, Suède, etc.), le Conseil de l’Europe se penche sur ces « adoptions entre pays ». En effet, il n’existe à cette époque aucun cadre réglementaire, aucun texte international organisant et contrôlant cette migration singulière de milliers d’enfants européens, migration intra-européenne qui se double d’une migration intercontinentale. Après de longues années de réflexion et de tractations, car les conflits des lois engendrés par l’adoption transnationale sont très nombreux, la Convention européenne en matière d’adoption des enfants est ouverte à la signature des membres du Conseil de l’Europe le 24 avril 1967.
Elle traite notamment des autorités compétentes pour prononcer l’adoption (art. 3), des conditions de l’enquête sociale (art. 6 et 7), des questions de nationalité (art. 10) ou des interdictions d’adopter, par exemple les conditions d’âge entre adoptant et adopté (art. 13). Elle est alors le texte le plus abouti sur l’adoption. Elle a pour effet d’assurer que les dispositions de protection des enfants s’appliquent également aux adoptions d’enfants étrangers, européens ou d’autres pays d’origine. Les trois grands principes affirmés sont les suivants : l’adoption doit être prononcée par une autorité judiciaire ou administrative ; la décision d’autoriser l’adoption d’un enfant doit être librement acceptée par les parents ; l’adoption doit assurer le bien-être de l’enfant. Signée par onze pays et ratifiée par six d’entre eux, elle entre en vigueur le 26 avril 1968 ; au total, aujourd’hui ? 18 États ont ratifié cette convention et 3 l’ont signée.
De l’échelle européenne à l’échelle internationale
De leur côté, les pays du tiers monde, pays de départ de l’adoption internationale, estiment que la convention du Conseil de l’Europe a été écrite au bénéfice des pays d’accueil qui l’ont rédigée. Comme en réaction, les pays latino-américains élaborent à La Paz en 1984 une convention sur les conflits de lois en matière d’adoption. L’adoption massive d’enfants roumains après la chute de Ceausescu (entre janvier 1990 et juillet 1991, on estime à 7 000 le nombre d’enfants roumains partis pour l’étranger dans des conditions souvent douteuses) rend plus que jamais nécessaire un texte normatif à l’échelle internationale. Il est travaillé dans le cadre de la conférence de La Haye de droit international privé. Ce travail conduit en mai 1993 à la convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale. Celle-ci régit globalement depuis son entrée en vigueur (le 1er mai 1995) l’adoption internationale dans le monde. Elle consacre le souci de protéger l’enfant et le principe de subsidiarité, déjà énoncés dans la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989. Cette plus grande régulation, conjuguée à d’autres facteurs – comme par exemple le développement de l’adoption nationale dans les pays de départ, les scandales récurrents, etc. –, a provoqué la chute de l’adoption transnationale dans tous les pays européens, y compris ceux qui adoptaient traditionnellement le plus à l’étranger : Italie, Espagne, France. Aujourd’hui, des collectifs de personnes adoptées à l’international aux Pays-Bas, en Suisse, en Belgique, en France, etc., demandent que toute la lumière soit faite sur les conditions de leur adoption. Une nouvelle fois, c’est à l’échelle européenne qu’une question essentielle de l’adoption internationale est posée et devra trouver une réponse.