Issu d’un processus de sécularisation d’une pédagogie d’abord destinée à inculquer aux catéchumènes les principes de la religion chrétienne, le catéchisme se voit mobilisé à partir des années 1770 pour la diffusion de savoirs profanes. Participant d’un vaste mouvement d’élémentation (c’est-à-dire la recherche des éléments fondamentaux d’une science pour en permettre ensuite la large diffusion), le mot même de catéchisme acquiert un nouveau sens profane qui recouvre une littérature d’inculcation chrétienne mais aussi une littérature d’éducation politique et citoyenne. Cette pédagogie est fondée sur l’apprentissage par cœur qui doit être facilité par le jeu des questions et des réponses d’une part, mais aussi sur une division en sous-parties permettant de se repérer facilement dans ces ouvrages en général courts et bon marché, ce qui renforce le caractère populaire de cette littérature. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, cette littérature populaire se trouve alors investie de contenus scientifiques (agronomie, obstétrique) mais aussi philosophiques avant d’être politisée à la faveur de la Révolution française. Les catéchismes politiques se répandent dans de nombreux pays d’Europe sans que leur usage soit uniforme, des manuels scolaires aux guides pour les nouveaux citoyens. Cette diversité permet de faire de cet objet un observatoire des formes de politisation populaire dans la première moitié du xixe siècle tout en éclairant l’apparente contradiction entre un apprentissage doctrinal et une volonté d’émancipation des citoyen·ne·s.
Des caractères partagés malgré des spécificités nationales
À l’échelle européenne, la diffusion massive du catéchisme politique s’étale principalement dans la première moitié du siècle. Cette période d’écriture et de diffusion est marquée par la rupture que représentent la Révolution française et ses conséquences sur le continent européen, notamment dans les Républiques sœurs. La césure de 1848 stimule encore une fois la publication d’une telle littérature, à l’image des très nombreux catéchismes électoraux édités en France pour accompagner l’instauration du suffrage universel masculin.
Étroitement lié au contexte, le catéchisme politique partage des caractéristiques communes dans de nombreux pays européens mais il existe des spécificités liées à la chronologie et aux aires géographiques concernées. Ainsi, dans le cas de la France, les années 1770 se caractérisent par un premier mouvement de sécularisation de la pédagogie catéchistique avec la publication de manuels d’agriculture ou d’accouchement. En Espagne, des catéchismes incorporent dans les années 1780 des contenus politiques à leur discours théologique, phénomène d’intersection des sphères religieuse et politique qui évoque la politisation postérieure de la catéchèse catholique par l’empereur Napoléon avec l’imposition du catéchisme impérial en France. En 1806 est paru le Catéchisme à l’usage des églises de l’Empire français dont l’usage est imposé dans toutes les écoles par le décret du 17 mars 1808. À la fin de notre période chronologique, les catéchismes politiques allemands publiés lors de la Révolution de 1848 sont le reflet d’un transfert de sacralité observé aussi en France avec la parution de certains catéchismes républicains ou socialistes reprenant des thèmes du christianisme primitif. Ce genre est alors très répandu en Allemagne avec environ 200 catéchismes publiés de 1780 à 1848, y compris en Autriche germanophone.
Des particularités subsistent liées notamment au fait que les autorités révolutionnaires françaises en charge de l’instruction morale et politique ont validé cette pédagogie politique à l’issue du concours lancé en 1794 (an II) pour la rédaction de manuels républicains. Cette forme d’institutionnalisation explique le fait que de tous les corpus européens analysés, celui des catéchismes français est le plus important (plus de 150 titres différents publiés pendant la décennie révolutionnaire). Une des conséquences est par exemple le développement de cette littérature dans l’Italie du Triennio sous la domination française (avec notamment des traductions), et son rapide abandon ensuite.
Le catéchisme politique : une voie d’étude de la politisation populaire
L’étude de ces petits manuels de vulgarisation politique permet de réfléchir aux circulations entre divers contextes politiques contemporains. Ainsi, à l’issue d’un concours qui a duré du 28 janvier 1794 au 1er avril 1796, les autorités du Directoire ont récompensé le catéchisme de Poisson de La Chabeaussière et l’ont destiné à devenir le manuel officiel pour l’enseignement des élémens (sic) de morale républicaine. Preuve de l’impact de cette décision, l’ouvrage connut 36 rééditions jusqu’en 1800 dont une édition bordelaise de 1797 que l’auteur suisse Jean-Jacques Cart a eu entre les mains, comme il l’explique dans la préface de son Catéchisme vaudois, ou Principes de philosophie, de morale et de politique républicaine paru à Lausanne (1804). Il s’agit d’une réédition de cet ouvrage dans le contexte de la République helvétique (1798-1803). Cet exemple de réécriture d’un catéchisme français pour qu’il s’adapte à un autre contexte politique est intéressant dans la mesure où il s’inscrit dans une campagne de vulgarisation politique menée à l’aide de catéchismes constitutionnels analysés comme formant un véritable « bricolage intellectuel » (Danièle Tosato-Rigo). Cela traduit une vision péjorative de ce genre hybride qui se situe entre politique et religion.
Preuve de l’actualité des recherches sur le catéchisme politique, Anja Kirsch a récemment consacré un long article aux catéchismes socialistes sous l’angle de l’étude des religions ce qui lui permet d’insister sur la filiation européenne entre catéchèse chrétienne et mobilisation de cette pédagogie pour politiser le peuple. Pour la chercheuse, deux interprétations concurrentes de cette littérature sont le reflet de deux visions de l’identité européenne : l’une fondée sur l’héritage religieux et culturel européen et l’autre qui s’enracine dans un long processus de sécularisation.
Des livres élémentaires aux usages pédagogiques multiples
Afin de privilégier l’angle de la pédagogie politique il est fructueux de s’inspirer des travaux didactiques qui démontrent une redécouverte du processus d’élémentation des savoirs depuis le xviiie siècle (notamment ceux de Jean-Pierre Astolfi ou d’Yves Chevallard). Il faut se garder d’une vision téléologique ou anachronique de ce processus d’élémentation politique qui gommerait rétrospectivement une diversité de textes, de publics visés et d’objectifs politiques recherchés. Cependant l’approche historique qui privilégie le processus didactique à l’œuvre lorsqu’une théorie politique est transmise permet de comprendre des similitudes qui transcendent les frontières temporelles et spatiales et écarte l’acception péjorative formée à posteriori. Ce mode de transmission d’un savoir politique repose sur le postulat de la large diffusion de la morale et la politique considérées comme des sciences qu’il est donc possible de vulgariser.
Les usages sont multiples et varient selon les périodes : on peut distinguer un usage proprement scolaire de cette littérature, notamment en France de la Révolution française à la Seconde République principalement. En 1848 est ainsi publié un catéchisme officiel, le Manuel du républicain de Charles Renouvier, alors qu’en parallèle se développent des catéchismes électoraux qui doivent guider le choix des nouveaux électeurs.
Il existe enfin une constante qui consiste à mettre en questions/réponses des textes réglementaires tels qu’une déclaration des droits ou bien une constitution, pour ensuite les catéchiser comme cet ouvrage autrichien : Des constitutionellen Osterreichers politischer katechismus publié à Vienne en 1848 également.
Passé 1848 et les tentatives de fusion des sphères religieuse et politique, l’usage de cette pédagogie tombe en désuétude même si des auteurs socialistes, comme Jules Guesde en France, publient des catéchismes jusqu’à la Première Guerre mondiale. Il existe quelques survivances au xxe siècle comme le Catecismo patriótico español de Menéndez-Reigada (1938), catéchisme franquiste qui mélange religion et politique. Postulons que la sécularisation des sociétés européennes explique l’abandon de cette littérature trop empreinte de religion.