La laïcité, une idée des Lumières qui refait surface en 1848
C’est avec le phénomène européen des Lumières que s’affirme l’idée de tolérance religieuse, et partant, les premières velléités de séparation des Églises et de l’école. En France, des décrets pris en 1789 transfèrent aux pouvoirs civils la surveillance des écoles et dissolvent les congrégations enseignantes. En 1792, Condorcet présente un ambitieux projet de réforme où il pense l’instruction morale en dehors de toute référence religieuse. Cependant, les tentatives de création d’un nouveau système scolaire sous la Révolution ont peu d’effets à moyen terme en France.
En Italie, l’application de la législation napoléonienne entraîne à la fin des années 1790 un premier « seuil de laïcisation » de l’enseignement secondaire et supérieur. Il en va de même en Prusse après la défaite d’Iéna face à la France, en 1806, engageant une laïcisation et une modernisation du secondaire et du supérieur. Quant au tout jeune royaume de Hollande, né dans les marges de l’empire napoléonien, il prend en 1806 une décision pérenne en excluant de ses programmes l’enseignement religieux : ce dernier est désormais donné par les représentants des diverses confessions hors des locaux scolaires et des heures de classe.
Le « printemps des peuples » de 1848 relance les débats sur l’école. Ainsi le royaume de Sardaigne, leader de l’unité italienne, vote-t-il la loi Boncompagni qui place les écoles sous la responsabilité d’un ministère de l’Instruction publique et retire aux religieux le droit d’enseigner s’ils ne disposent pas de diplômes d’État. Cette législation s’étend ensuite à toute l’Italie en cours d’unification. À Berlin, Leipzig et Hambourg, un mouvement allemand d’auto-organisation des enseignants se déclare en faveur d’une séparation entre ministère de l’Instruction et ministère des Cultes, et réclame une déconfessionnalisation de l’école primaire. Les circulaires Stiehl-von Raumer coupent toutefois court au mouvement en 1854.
En France, l’éphémère ministre Hippolyte Carnot propose quant à lui de rendre facultatifs les cours d’instruction religieuse à l’école publique et de laïciser son personnel, les congréganistes y occupant une grande place. La réaction conservatrice aux journées de juin 1848 entraîne cependant un retour en force de l’Église. Elle apparaît aux conservateurs comme une alliée à qui il faut confier la moralisation des masses. C’est dans ce contexte qu’est votée en 1850 la loi Falloux qui permet aux catholiques d’ouvrir de nombreux établissements secondaires, à côté des lycées napoléoniens, et qui leur attribue également l’inspection des écoles publiques. Les évêques, invités à siéger dans le Conseil supérieur de l’Instruction publique, pèsent sur la politique scolaire nationale. Cette loi réaffirme en outre le privilège de la lettre d’obédience qui dispense les religieuses du brevet de capacité pour enseigner, et ce, jusqu’en 1881.
Une aspiration à la sécularisation de l’instruction dans les années 1860
Dans les années 1860, se développe en Europe la défense d’un enseignement neutre du point de vue religieux. Ainsi se fonde en 1864 la Ligue de l’enseignement en Belgique, suivie deux ans plus tard par la France, tandis que plusieurs associations du même type apparaissent en Italie et en Grande-Bretagne (National Educational League). De même, en 1869, une association naît dans l’Empire austro-hongrois réclamant la sécularisation de l’enseignement selon le principe du libre examen, contre le Syllabus de Pie IX. Ces associations, que Jean Macé espérait réunir en une ligue européenne, défendent un enseignement gratuit, obligatoire et sécularisé, à l’instar de la pétition lancée par la Ligue de l’éducation française qui recueille en 1872 plus d’un million de signatures. En 1869, le programme de Belleville présenté par Gambetta revendiquait déjà un enseignement laïque.
En Grande-Bretagne, la loi Forster promulguée en 1870 entérine le principe d’un enseignement religieux à l’école qui doit cependant être unsectarian, c’est-à-dire d’inspiration chrétienne, mais hostile à aucun culte. Cette législation assure une clause de conscience pour les enseignants – qui peuvent refuser de délivrer ce cours – et pour les parents qui peuvent en exempter leurs enfants.
En Allemagne, Bismarck lance une politique de laïcisation connue sous le nom de Kulturkampf à la suite de la proclamation de l’Empire. Elle vise particulièrement le catholicisme, accusé de porter atteinte à l’unité du pays. En 1872, une loi permet à l’État de se substituer aux ecclésiastiques pour inspecter les écoles, tandis qu’en 1876, l’instruction religieuse catholique est placée sous la surveillance de l’État. À la même période, plusieurs congrégations enseignantes sont dissoutes. Cependant, le principe de la différenciation confessionnelle entre écoles catholiques et protestantes est maintenu : il n’existe pas d’école publique religieusement neutre.
Des lois scolaires de séparation des Églises et de l’école à la fin des années 1870
C’est à la fin des années 1870 que les lois scolaires de séparation des Églises et de l’école sont mises en place, certaines inspirant l’œuvre scolaire française lorsque les républicains deviennent majoritaires à la Chambre des députés et au Sénat en 1879.
L’Italie, qui a bâti son unité nationale contre le Pape mais reste profondément catholique, promulgue en 1877 la loi Coppino qui abolit totalement l’enseignement religieux dans le secondaire, mais laisse cette décision à la discrétion des 8 000 communes qui émaillent le pays pour le primaire. L’enquête nationale de 1897 montre qu’histoire sainte et catéchisme y restent largement enseignés à l’exception des écoles de certaines villes comme Bologne, Florence et Naples.
C’est la Belgique, en 1879, qui tente la laïcisation la plus complète de son école publique, mais le retour du parti catholique au pouvoir en 1884 entraîne la réintroduction d’un cours de religion au programme, dont il est cependant possible de se faire dispenser.
À l’instar des libéraux belges, les républicains français conçoivent la laïcité comme une neutralité complète de l’école publique, cette neutralité s’étendant aux programmes, aux locaux et au personnel. Si le bref épisode de la Commune voit la mise en place d’une laïcité de ce type en 1871, celle-ci ne triomphe à l’échelle nationale qu’à partir de 1879, lorsque la loi Bert rend obligatoire l’existence d’une école normale laïque de garçons et de filles dans chaque département et entraîne la création de plus de 60 institutions féminines qui remplacent les cours normaux, jusqu’alors gérés par des religieuses. En 1880, la loi Camille Sée met sur pied des lycées publics laïques de jeunes filles, presque 80 ans après les lycées de garçons. Il s’agit moins d’une mesure féministe – l’objectif est de former de bonnes épouses et mères – que d’une initiative anticléricale visant à retirer les filles de la bourgeoisie des couvents.
La loi Ferry de 1882 substitue quant à elle, dans les écoles primaires publiques, l’instruction morale et civique à l’enseignement religieux. Les écoliers bénéficient d’un jour vaqué, le jeudi, pour recevoir un enseignement religieux hors des locaux scolaires.
La loi Goblet de 1886 couronne ces mesures par la laïcisation du personnel : désormais, les religieux et religieuses n’ont plus le droit d’enseigner dans les écoles publiques, mais la mesure met du temps à s’appliquer dans les écoles primaires de filles où il resterait encore 5 000 congréganistes vers 1900.
En 1904, l’anticlérical Combes fait voter une loi radicale qui retire aux congréganistes le droit d’enseigner, y compris dans les écoles privées. À l’image de l’Union sacrée des forces laïques et religieuses qui se manifeste dans tous les pays européens pendant la Grande Guerre, cette loi est suspendue en France et ne sera plus appliquée après 1914 : la grande période du combat laïque est dépassée. Ainsi, en 1924, Herriot ne réussit pas à faire appliquer les « lois laïques » à l’Alsace-Moselle dont le réseau primaire fonctionne sur le modèle confessionnel allemand, et qui évolue aujourd’hui encore en dehors du régime mis en place en France au tournant du xixe et du xxe siècle.