Dynamiser les échanges footballistiques européens (1954-1961)
C’est en juin 1954 qu’une vingtaine d’associations nationales se réunissent pour fixer les bases de l’Union des associations européennes de football (UEFA), officiellement créée en octobre. Elle a comme objectif de faciliter les coopérations entre ses membres (une association nationale par pays), de défendre les intérêts européens au sein de la FIFA et de promouvoir le développement du football en Europe. Par rapport à d’autres organisations européennes fondées à la même période, l’UEFA a la singularité d’être composée de membres situés des deux côtés du rideau de fer. Plusieurs facteurs expliquent cette spécificité : ancienneté des échanges footballistiques européens, insertion dans une dynamique plus large de réorganisation de la FIFA, stratégie des dirigeants du football visant à limiter depuis l’entre-deux-guerres la politisation du jeu, que les diplomaties des États concernés sont prêtes à suivre.
Malgré des débuts timides – la structure administrative est modeste et des ajustements sont nécessaires entre les partenaires –, l’organisation est capable de reprendre au bond un projet de compétition européenne présenté par un groupe de journalistes sportifs qui réunit quinze grands clubs européens. L’UEFA peut ainsi lancer, dès la saison 1955-1956, la Coupe des clubs champions européens (C1) qui s’affirmera comme la principale épreuve européenne de football masculin durant plus de trente ans. Elle crée ensuite la Coupe d’Europe des nations (connue actuellement sous le nom d’Euro de football) et envisage de s’occuper de différents pans du football européen (en particulier des thématiques relatives à l’arbitrage, à la formation des entraîneurs et aux rapports avec la télévision naissante). Au début des années 1960, l’organisation se stabilise : elle dispose d’un siège permanent à Berne et compte 33 pays membres.
L’affirmation d’une organisation européenne en football (1961-1991)
Outre la gestion de nouveaux tournois continentaux, telle la Coupe des vainqueurs de coupe européenne (C2) créée en 1961, qui vont, au fil des années, permettre de financer ses activités, l’Union met sur pied différentes activités : cours de formation pour les entraîneurs et pour les arbitres, symposiums destinés aux secrétaires généraux des associations membres.
Mais l’élargissement des compétences de l’UEFA se fait aussi par la prise en charge des relations avec d’autres organismes européens. Ainsi, les négociations autour des retransmissions (en direct ou en différé) des compétitions européennes nécessitent des réunions régulières avec l’Union européenne de radiotélévision (UER, pour l’Ouest) et l’Organisation internationale de radiotélévision (OIR, pour l’Est). À ce titre, l’UEFA a servi de plateforme pour le renforcement des liens entre les dirigeants de l’UER et de l’OIR. En outre, des discussions officieuses sont conduites dès la fin des années 1960 avec la Communauté économique européenne (CEE) pour adapter le football aux dispositions sur la libre circulation des travailleurs prévues par le traité de Rome (1957).
De nouvelles prérogatives émergent au début des années 1970, en particulier liées au football féminin et à la création d’une troisième compétition européenne pour les clubs, la Coupe UEFA (C3), ainsi qu’à la nouvelle formule de l’Euro de football dont la phase finale passe sous la forme d’un championnat en 1980.
Si l’UEFA a su se réserver, au fil des années, un monopole en matière de régulation du football européen, elle doit faire face à une série de nouveaux défis à partir du milieu des années 1980. Suite au drame du Heysel lors de la finale de la C1 à Bruxelles (1985) – qui verra l’Union être jugée civilement responsable par une cour de justice belge –, elle doit prendre des mesures pour renforcer la sécurité dans les stades. Elle est ensuite confrontée à la reconfiguration géopolitique de l’Europe, tout en subissant les pressions des grands clubs européens qui souhaitent intensifier la commercialisation du jeu.
Reconfiguration de la gouvernance du football continental (1992-2022)
Au début des années 1990, l’effondrement du « bloc » de l’Est et le démantèlement de la Yougoslavie offrent une vingtaine de nouveaux membres à l’Union, ce qui complexifie sa gouvernance et augmente le travail administratif. Mais en créant un Bureau d’assistance pour l’Europe de l’Est, c’est aussi et surtout la transition vers « l’économie de marché » d’un vaste espace footballistique jusqu’alors régi par d’autres lois qui est visé par l’élite dirigeante et l’administration de l’UEFA – dont le nombre d’employé.e.s passe la barre des 100 et dont une partie des cadres bénéficie désormais de formations en management, en marketing ou en droit.
En fait, le football entre dans une nouvelle phase de commercialisation dont la transformation de la Coupe des champions en Ligue des champions est un marqueur (saison 1991-1992). Augmentation du nombre de rencontres et envol des droits de retransmission, vendus à des grandes firmes privées de télévision désormais en concurrence : le nouveau format maximise les rentrées financières et répond ainsi aux doléances des grands clubs.
Parallèlement, les dirigeants de l’UEFA et de l’Union européenne (UE) trouvent un compromis afin que le monde du football se mette progressivement en conformité avec les dispositions communautaires en matière de libre circulation des travailleur.euse.s. Il faudra néanmoins une décision de la Cour de justice des communautés européennes pour rendre effectif cet accord (« arrêt Bosman » de 1995). Dès lors, les liens entre l’UEFA et l’UE se renforcent, Bruxelles prêtant de plus en plus attention au domaine du sport.
Forte d’une administration dépassant les 300 employé.e.s, l’UEFA continue au xxie siècle d’être la garante du football dans cette région du monde. Cependant, au cours des deux dernières décennies, de nouvelles organisations ont émergé dans le football européen (associations européennes des clubs, ligues européennes) et la pression des plus grands clubs du continent en vue d’assurer leur position dominante dans le système des compétitions européennes peut, à terme, remettre en question son pouvoir. La question se pose d’autant que ses dirigeants actuels ne reprennent pas à leur compte la volonté de leurs prédécesseurs des années 1950-1970 de privilégier la cohésion et l’unité du football en Europe. Une telle position est à comprendre au regard du contexte des relations internationales, de profils sociologiques différents, mais aussi sans doute de l’absence d’une véritable politique européenne de ce sport.