Au cours de son histoire, la Finlande parvient à trouver un équilibre entre l’usage intensif et industriel des forêts et leur conservation. Dans le pays, la sylviculture ou art de la gestion forestière se développe grâce à des transferts réguliers d’expertise provenant de pays européens, d’Allemagne et de Suède notamment. Mais la Finlande devient à son tour une source de savoir-faire pour d’autres pays, surtout pour l’URSS à partir des années 1950. L’étude de l’histoire de la gestion des forêts en Finlande montre comment d’importants transferts de technologie et de savoirs pendant les deux derniers siècles ont pu transformer ce pays périphérique en un centre technique pour l’Europe, dans certains secteurs d’activité.
Jusqu’au xixe siècle, comme dans de nombreux pays européens, les forêts y sont énormément exploitées. Les utilisations principales du bois sont alors la production de goudron, de matériaux de construction, et de combustibles, employés non seulement en Finlande mais également exportés, entre autres vers la Suède. Par la suite, avec l’industrialisation progressive de la société, les besoins en bois ne cessent d’augmenter, pour les scieries et la production de pâte et de papier. À la fin du xixe siècle, l’essentiel des techniques employées pour l’exploitation et la transformation du bois provient de Norvège. Hans Gutzeit fait partie des Norvégiens qui se lancent dans des activités commerciales en Finlande. Dans les années 1870, il établit une scierie à Kokta qui donne naissance par la suite à la célèbre entreprise Enso Gutzeit.
Anton Blomqvist, considéré aujourd’hui comme le fondateur de la sylviculture finlandaise, est une autre figure emblématique du milieu du xixe siècle. Né à Helsinki, il obtient son diplôme à l’Académie royale saxonne de sylviculture, à Tharandt en Allemagne, lieu d’excellence pour les étudiants de tous les pays qui s’intéressent alors à cette discipline. Blomqvist rapporte d’Allemagne des méthodes de gestion forestière qu’il transfère en Finlande, ainsi que de nouvelles espèces. Grâce à son expérience acquise à l’étranger, il fonde le premier établissement professionnel en Finlande visant à former les cadres en charge des forêts, l’école forestière Evo College en 1862. Blomqvist exprime souvent son inquiétude quant à l’avenir des forêts, en particulier dans les régions densément peuplées.
Ses craintes se dissipent quelque peu en 1886 quand une loi encourage à la fois l’État et les propriétaires privés à régénérer les forêts. Auparavant, au milieu du xviiie siècle, des textes officiels limitant les activités d’abattage sont publiés, mais ils ne concernent que certains types de forêts, sans obligation pour leurs propriétaires de replanter chaque arbre abattu. En 1859, une administration chargée des forêts, l’Institut pour la gestion forestière est créée afin de mieux gérer les terres de l’État et de superviser les forêts possédées par des particuliers ; plus d’un siècle plus tard, dans les années 1980, l’Institut prendra en charge la conservation de la nature sous la direction du ministère de l’Environnement. Par ailleurs, la fondation en 1907 de l’Association finlandaise de sylviculture (Tapio) renforce le dispositif. Première organisation non gouvernementale, elle a pour objectif l’aide à la gestion forestière et à l’exploitation rationnelle de ses ressources. Durant cette période, de nombreux propriétaires privés, conscients du danger représenté par l’abattage intensif, réalisent que cette forme d’exploitation des forêts pourrait entraîner l’épuisement complet des ressources forestières et donc d’importants dégâts pour cette industrie. Dans les années suivantes, Tapio développe des activités pour améliorer la gestion forestière et accroître le nombre d’experts dans ce domaine.
Au xxe siècle, à l’ère d’une rapide industrialisation, la sylviculture finlandaise est confrontée aux demandes accrues en bois pour la production de pâte et de papier, mais aussi pour l’industrie militaire, alimentaire et textile. Avant la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses entreprises finlandaises commencent à diversifier leurs activités. Pendant la guerre, en raison de son emploi dans la production de biens de consommation, le bois acquiert un rôle décisif. En effet, suite à la pénurie de matériaux de base, le bois est non seulement utilisé pour produire du papier et du carton, mais aussi pour la confection d’habits et de rideaux. « L’arbre nous sortira de la crise », est une expression souvent employée pendant ces années de guerre.
Après-guerre, les transferts de technologie entre l’industrie forestière suédoise, canadienne, américaine et ouest-allemande au profit de la Finlande se multiplient. Mais cette période correspond également à une ère d’innovations internes dans l’exploitation industrielle des forêts et dans leur gestion. La Finlande devient à son tour productrice de savoirs. Ainsi, grâce à la technique, les pratiques de gestion forestière se modernisent. Les entreprises de bois d’œuvre introduisent des scies à moteur pour remplacer scies et haches manuelles et utilisent des tracteurs à la place des chevaux. L’augmentation du nombre d’autoroutes et de voies ferrées à travers les forêts, ainsi que le flottage accélèrent le transport du bois. Dans le même temps, la mécanisation a d’importantes conséquences sociales, provocant notamment l’augmentation du taux de chômage. Ces transformations sont certes déterminantes mais, dans certains lieux, les anciennes méthodes et techniques disparaissent plus lentement.
Les circulations se développent également vers l’Est. Pendant la guerre froide, les Finlandais exportent leur expérience en sylviculture et en techniques modernes vers l’URSS, endossant ainsi le rôle de médiateur entre l’Est et l’Ouest. Néanmoins, l’année 1944 est marquée par une perte importante de ressources pour la Finlande. En effet, l’URSS annexe un vaste territoire, parfois désigné comme la « Ruhr verte finlandaise », composé de l’isthme de Carélie et d’une large bande des rives finlandaises du lac Ladoga. Ce territoire comprend plus de 12 % de l’ensemble des forêts finlandaises et compte plus de 70 scieries, il représente également 20 % de la capacité de production de cellulose du pays. Au titre des réparations de guerre, la Finlande doit fournir à l’URSS matériaux et techniques liés à l’industrie forestière. En 1952, le paiement des réparations s’achève. Paradoxalement, ces réparations stimulent aussi la production industrielle et marquent le début des transferts de technologie de la Finlande vers l’URSS. En raison de leurs relations politiques pendant l’après-guerre, généralement décrites par les deux gouvernements comme des relations de « bon voisinage », la Finlande et l’URSS tissent différents réseaux d’échanges. En 1955, un accord de coopération scientifique et technique est signé, principalement orienté vers le transfert, au profit de l’URSS, de technologies issues de la recherche et de la production finlandaises. Dans le domaine forestier, qui est l’un des principaux champs de coopération, cela se concrétise par des visites de spécialistes, des projets communs et des échanges de documentation. L’ensemble de ces échanges implique la perméabilité du rideau de fer en Europe. Par ailleurs, un commerce intensif permet aux entreprises finlandaises de fournir à l’URSS matériaux bruts et techniques nécessaires à la modernisation soviétique.
Malgré des améliorations techniques, l’exploitation forestière a progressivement perdu de son intensité, en raison de plusieurs facteurs : d’une part, le pétrole importé d’URSS s’impose comme la principale source de combustible, d’autre part, les importations de bois d’œuvre et le recyclage des déchets de bois se développent. C’est à partir de ce moment que la Finlande peut envisager ses forêts sous un nouvel angle, culturel et récréatif, un domaine dans lequel elle développe, depuis les années 1990, de nombreux projets phares.
Traduit de l'anglais par Alia Corm