Dans les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, la quête de la croissance économique et des gains de productivité donne naissance à de nouvelles formes de production : l’automation puis la robotisation. Conçues pour remplacer l’intervention humaine, elles transforment le travail, non sans susciter débats et inquiétudes.
L’automation
L’automation – mot probablement inventé à la Harvard Business School de Boston par John Diebold (Automation: The Advent of Automatic Factory, 1952) – désigne les techniques qui permettent à une machine ou un ensemble de machines (sur une chaîne de production par exemple) de fonctionner sans intervention humaine. Elle a donc un sens plus spécifique qu’automatisation. Elle qualifie une automatisation des machines, voire d’une usine entière. Elle se développe grâce aux progrès de l’électronique réalisés après la guerre et concerne différentes activités. L’« informatique » apparaît ainsi au début des années 1960 pour nommer ce qui relève du traitement automatisé des informations.
La robotisation est une forme particulière de l’automation qui a suscité le développement de la robotique industrielle. Un robot est un système programmable, articulé et à commande automatique, capable de reproduire le geste d’un humain. Le mot est né sous la plume de l’auteur tchécoslovaque Karel Čapek en 1920. Le premier robot industriel est le Unimate conçu par l’entreprise étasunienne Animation en 1961 et testé par le constructeur automobile General Motors. Toutefois, la robotisation n’a réellement pris son essor dans l’industrie que dans les années 1980 après que des constructeurs allemands et japonais ont proposé de nouveaux systèmes. Le nombre de robots industriels produits dans le monde a triplé depuis les années 1990.
Automates et robots peuvent exécuter des tâches en continu, plus rapidement et plus précisément qu’un ouvrier, avec une qualité régulière. Ils ne se syndiquent pas et ne se mettent pas en grève. Ils réactualisent le vieux rêve patronal de surveillance et de contrôle du travail qui avait accompagné la naissance de l’usine à l’aube de l’industrialisation.
Enfin, l’automatisation a gagné l’agriculture (robot de traite) et les services, par exemple les transports (ligne de métro automatisée) ou le commerce (caisse automatique). Dans ce dernier cas, l’automate reporte sur le client lui-même les tâches qui étaient auparavant exécutées par un salarié. La robotisation et l’automation ont donc nécessairement un impact sur le travail.
Remplacer le travail par des robots : une évolution qui fait débat
Cette extension du domaine de la robotisation a suscité débats et inquiétudes. Dès 1961, le sociologue français Pierre Naville, dans L’automation et le travail humain, y voit « un progrès inéluctable et salutaire, à bien des égards, et la source de difficultés et de problèmes que l’optimisme économique et social apparemment le mieux fondé ne suffira pas à résoudre lui-même ». Le débat sur les conséquences du progrès technique sur le travail n’est pas nouveau. Aux visions enchantées de la « révolution industrielle » se sont opposés, dès le xixe siècle, des discours plus critiques, en particulier parmi les travailleurs inquiets des effets des « mécaniques » sur leurs emplois. La question du chômage technologique été soulevée en 1930 par l’économiste britannique John Maynard Keynes. Depuis les années 1970, des organisations comme l’International Federation of Robotics s’emploient inversement à construire le récit de la robotique en avenir souhaitable. Des foires et des salons dédiés entretiennent ce régime de la promesse. Pour les uns, l’automation et la robotisation vont libérer le travailleur de tâches dangereuses et pénibles alors que pour d’autres elles menacent le travail lui-même.
Plus récemment, dans un contexte de fort chômage, de progrès du numérique et de l’intelligence artificielle, la question de l’emploi est posée à nouveaux frais par ceux qui prophétisent des destructions massives dans les années à venir. L’automation détruit-elle des emplois ? Les comparaisons internationales montrent que les pays dont la production industrielle est la moins robotisée sont aussi ceux où la part de l’industrie dans la population active et le PIB a le plus diminué. En Europe, c’est le cas de la France contrairement à l’Allemagne par exemple. Entre 1994 et 2015, les entreprises qui ont créé le plus d’emplois en France sont également celles qui s’étaient le plus automatisées. Le résultat paraît contre-intuitif mais si l’automation « économise » de la main-d’œuvre, les gains de productivité qu’elle permet font baisser les prix avec des effets induits bénéfiques sur la demande et au final sur l’emploi dans l’entreprise. La construction automobile est l’exemple le plus fréquemment cité. Selon la théorie du déversement de l’économiste et démographe français Alfred Sauvy, les baisses de prix permises par les gains de productivité dans un secteur libèrent du pouvoir d’achat qui se reporte vers d’autres biens ou services dans lesquels l’emploi augmente.
Toutefois, ces études inspirées par la théorie de la « destruction créatrice » de l’économiste autrichien Aloïs Schumpeter sont accusées de surestimer les effets positifs et de négliger d’autres impacts. Une première limite est que, en l’absence d’expansion globale du marché, ce qu’une entreprise peut ainsi gagner en parts de marché, elle le prend à ses concurrents qui de leur côté vont avoir tendance à détruire des emplois. Par ailleurs, les effets varient selon la nature des emplois en accentuant les inégalités. Depuis la fin du xxe siècle, l’automation en Europe a plutôt eu des répercutions favorables aux emplois qualifiés et stables alors que les salariés moins qualifiés et les plus précaires ont vu au contraire leurs postes disparaître ou leurs conditions de travail se dégrader. Les ouvriers et les employés sont davantage affectés. L’automation modifie la structure et la qualité des emplois. De plus, elle n’est pas seule en cause dans la dynamique de l’emploi. Il faut aussi considérer les choix économiques des firmes et des États dans la distribution spatiale des chaînes de valeurs dans le cadre de la mondialisation. Enfin, les voix critiques s’alarment de son impact environnemental, en raison notamment de sa forte consommation d’énergie ou des terres rares nécessaires à la fabrication des semi-conducteurs ou encore des déchets robotiques.
En conclusion, la robotisation, pas plus que la mécanisation avant elle, n’a fait disparaître le travail. En revanche, elle a induit une restructuration globale avec des effets variés et hétérogènes selon les secteurs et les emplois occupés. Elle interroge aussi la capacité des travailleurs à négocier ces évolutions ainsi que le rôle des gouvernements confrontés aux conséquences sociales et politiques de ces transformations techniques et économiques.