X25, une norme pour le transport de données

L’avis X25, adopté en 1976 par le Comité consultatif international téléphonique et télégraphique (CCITT) dans le domaine des réseaux de données permet d’explorer des enjeux nationaux et internationaux de normalisation. Son histoire témoigne de la convergence entre télécommunications et informatique dans les années 1970, des débats liés au développement des réseaux de données, en particulier autour de la commutation de paquets, mais aussi de choix techniques, industriels et politiques complexes, et ce à plusieurs échelles. En revenant sur le passage du projet de norme à l’avis X25, à valeur non contraignante, son implémentation et développement dans des réseaux, puis sa postérité, cette étude permet d’explorer les acteurs, motivations et choix effectués à plusieurs moments charnières de l’histoire des réseaux de données.

Minitel.
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Sommaire

Dans le domaine des télécommunications, comme dans bien d’autres secteurs technologiques, la normalisation est un enjeu fondamental pour l’avenir des systèmes sociotechniques. Une norme commune assure la compatibilité et l’interconnexion des matériels et des infrastructures.

Pour les réseaux de données, c’est la garantie de la bonne circulation de l’information entre matériels informatiques, mais aussi au-delà des frontières, et un gage d’exportations si une norme est agréée par un organisme international.

Les télécommunicants ont l’ambition dans les années 1970 de définir une norme commune pour les réseaux de données au sein du CCITT, le Comité consultatif international téléphonique et télégraphique qui, à l’échelle internationale, émet des avis. Ceux-ci n’ont rien de contraignant, mais un poids certain sur la scène internationale. Encore faut-il que les experts s’entendent sur la norme à adopter dans des arènes de négociations qui n’évitent ni les enjeux politiques, ni la concurrence industrielle ou les controverses techniques. L’avis X25 est un bon exemple de ces enjeux et stratégies complexes.

X25, du projet à l’avis   

Dans les années 1970, alors que se développe par exemple le réseau Arpanet, dont les premiers nœuds fonctionnent en 1969 aux États-Unis et qui devient un ancêtre direct d’Internet, les ingénieurs des télécommunications et de l’informatique s’intéressent de près aux réseaux de données. En effet, les transmissions de données sont à la convergence de ces deux mondes, en permettant à des données informatiques de circuler dans des réseaux au moyen d’infrastructures de télécommunications. Dans beaucoup de pays, les administrations des télécommunications sont alors en position de monopole sur les lignes de télécommunications. Ainsi, dans les discussions pour décider de la norme à adopter pour les réseaux de données, la Direction générale des télécommunications (DGT) française ou le British Post Office (BPO) sont très impliqués. Les débats sont menés au sein de la CEPT (Conférence européenne des administrations des postes et télécommunications) pour l’échelle européenne et – les deux actions sont complémentaires – au niveau international au sein du CCITT. Ce type de discussions n’est pas nouveau et remonte à la seconde moitié du xixe siècle avec les liaisons télégraphiques.

Le monde des télécommunications souhaite normaliser le transport des données dans les réseaux. Il s’agit alors de s’entendre sur une technique commune, qui consiste à découper les messages en paquets d’information (la commutation de paquets) pour mieux les faire circuler dans les réseaux, mais aussi sur la manière de faire circuler les paquets au sein des réseaux. Les circuits virtuels, préconisés notamment par les télécommunications françaises, sont une approche, mais d’autres voies sont possibles comme les datagrammes : cette seconde solution est préférée par des chercheurs qui développent, dans l’équipe de Louis Pouzin au début des années 1970, le réseau expérimental Cyclades à l’Iria (devenu Inria pour Institut national de recherche en informatique et automatique). Ils souhaitent laisser les paquets circuler dans le réseau sans que celui-ci ait à connaître les communications et proposent un système plus simple mais best effort (une approche qui sera choisie dans Internet).

Le travail du CCITT est organisé en périodes d’études de quatre ans avant qu’une assemblée plénière ratifie les travaux. Pour la période 1972-1976, le CCITT engage une étude sur la commutation de paquets. La DGT et le CNET (Centre national d’étude des télécommunications), où travaille l’informaticien Rémi Després, vont soutenir la voie des circuits virtuels. Cela ne signifie pas que le consensus des votants soit aisé à obtenir au CCITT. C’est le résultat d’une politique à laquelle Rémi Després et l’administration des télécommunications françaises, avec notamment Philippe Picard, prennent activement part et pour laquelle il faut trouver des alliés ayant droit de vote au CCITT. La compagnie privée américaine de Larry Roberts, pionnier d’Arpanet, soutient les circuits virtuels, mais n’a pas droit de vote au CCITT, tout comme les Canadiens de Datapac (Bell Canada). Le rapporteur sur la commutation par paquets au CCITT, Halvor Bothner, membre de l’Administration norvégienne, est d’abord plutôt favorable aux datagrammes (dont il a d’ailleurs inventé le nom). Le ralliement et le soutien anglais du British Post Office s’avèrent déterminants pour faire accepter en mars 1976 l’avis X25, confirmé à l’automne par une réunion plénière.

Entre concurrence et négociations

L’adoption internationale d’un avis qui n’a pas de valeur contraignante est un atout, mais son succès repose ensuite sur son adoption par les différents pays et constructeurs. La norme X25 va être largement adoptée dans le monde des télécommunications, au prix d’adaptation de la part des constructeurs. En Espagne et aux Pays-Bas se développent ainsi des réseaux reposant sur X25. Un projet de réseau européen, Euronet mené par les administrations des télécommunications européennes s’appuie également sur X25 dans les années 1980. Outre-Atlantique, Bell Canada offre X25 dans son réseau Datapac. En France, X25 est intégré dans le réseau Transpac, qui supporte le trafic Minitel des années 1980 jusqu’en 2012. Un industriel comme IBM s’y adapte aussi à partir de 1975.

Toutefois, les constructeurs vont dans le même temps devoir prendre en compte un processus de standardisation, qui se met en place cette fois à l’ISO, l’International Organization for Standardization : c’est l’Open Systems Interconnection, destiné à normaliser une architecture de systèmes ouverts. L’OSI doit couvrir l’ensemble des normes de communication pour l’interconnexion de systèmes hétérogènes. La démarche est ainsi plus ambitieuse et ne concerne pas seulement le niveau transport de données dans les réseaux, mais l’OSI inclut X25 et une variante datagrammes dans les années 1980.

Une longévité inégale

Stabilisé à l’ISO dès 1982, le modèle de base de l’OSI est publié en 1984, mais ce programme est abandonné au cours des années 1990. Une prolifération de normes de fait, en particulier TCP/IP, protocole clé d’Internet, la tentation de normes transitoires (au Royaume-Uni avec les coloured books ou MAP aux États-Unis), et la lenteur et la complexité du processus de normalisation ont raison des efforts déployés. 

X25 résiste plus longtemps. Il est notamment apprécié pour sa fiabilité et sécurité, par exemple dans le secteur bancaire, avant d’être supplanté par la croissance des réseaux Internet. Toutefois il a connu une longévité remarquable, au Costa Rica par exemple jusqu’en 1999 et en France avec Transpac jusqu’en 2012. X25 a assuré le succès de Transpac et permis des exportations à une entreprise française comme la SESA, son maître d’œuvre. X25 est dans l’histoire des télécommunications un exemple de consensus, là où d’autres projets comme une norme commune pour la télématique n’ont pas abouti. C’est aussi un choix controversé au regard de ceux effectués dans Internet, mais qui témoigne de ce que plusieurs voies techniques peuvent être adoptées pour répondre à un même enjeu technologique.

Citer cet article

Valérie Schafer , « X25, une norme pour le transport de données », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 12/05/21 , consulté le 11/12/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/21557

Bibliographie

Després, Rémi, « X.25 Virtual Circuits – TRANSPAC in France – Pre-Internet Data Networking [History of communications] », IEEE Communications Magazine, vol. 48, no 11, novembre 2010, p. 40-46.

Schafer, Valérie, La France en réseaux, Paris, Nuvis, 2012.

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Signature des accords CII, Philips, Siemens, le 4 juillet 1973. De gauche à droite, assis à la table de conférence : Dr Bernhard Plettner (président du directoire de Siemens A.G.), Dr P.H. Le Clercq (vp de Philips) , H.A.C. Van Riemsdijk (président de N.V. Philips Gloeilampenfabrieken), Dr. Ir. A.E. Pannenborg (Philips), Jean Gaudfernau (DGA de la CII), Michel Barré (PDG de la CII), Robert Gest( DG de la CII), Paul Richard,(PDG de Thomson).
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