Conteneurs : une invention européenne redécouverte

Le conteneur n’est pas entièrement une innovation américaine qui a métamorphosé le monde du transport maritime depuis l’après-guerre. Son origine est même plus probablement européenne et la mise au point des premiers « cadres » a accompagné la révolution des transports de voyageurs dès le xixe siècle. Le trafic transmanche entre la France et l’Angleterre a été un théâtre d’expérimentations majeur. Les principes techniques du container se sont précisés au cours de l’entre-deux-guerres, grâce en particulier aux compagnies ferroviaires britanniques et au travail de la Chambre de commerce internationale. Après la Seconde Guerre mondiale, la dynamique d’innovation est passée, là comme pour le reste, du côté des entreprises étatsuniennes qui ont fixé les standards techniques du conteneur.

Conteneurs sur le port de Marseille, plaque de verre pour projection, début du XXe siècle
Conteneurs sur le port de Marseille, plaque de verre pour projection, début du XXe siècle. Source : Fonds Colbert.
Sommaire

Le récit quasi officiel de l’histoire du conteneur retient deux dates : 1956 pour l’invention de la « boîte » par Malcolm McLean et 1966 pour son avènement en Europe. En réalité, cette histoire est plus ancienne puisque ses origines remontent au xixe siècle et… se trouvent en Europe. Réinsérer cet objet emblématique de la mondialisation contemporaine dans une trajectoire de longue durée conduit donc à déplacer la perspective. Il s’agit moins de comprendre comment cette innovation est parvenue en Europe dans les années 1960 que de s’interroger sur ses origines et son retour, dans un format optimisé, sur le vieux continent.

Aux origines était le cadre

Dans les années 1920 et 1930, le transport et le transbordement des marchandises diverses accusaient un retard technique par rapport à ceux des pondéreux. Le chargement, le déchargement et le positionnement dans les navires de biens manufacturés conditionnés de multiples manières (caisses, sacs, ballots, tonneaux, etc.) prenaient beaucoup de temps.

Pour autant, des techniques d’optimisation de ce type de marchandises sont expérimentées depuis longtemps. L’invention des premières formes de contenants normalisés est probablement liée au transport des voyageurs qui traversent la Manche ou l’océan Atlantique. Dans les années 1890, on conçoit un « cadre de chargement » qui permet de réunir plusieurs bagages de passagers. Il s’agit d’une caisse solide, conçue pour le transbordement entre le wagon et la cale du navire. Des grues hissent les cadres depuis le wagon porteur à l’aide d’une élingue.

Le système d’arrimage est lui aussi innovant. Côté terre, quatre caisses à bagages aux dimensions standardisées sont transportées sur des wagons plats découverts de 8,50 mètres de long ; côté mer, ces caisses sont placées sur deux hauteurs dans les cales des paquebots, équipées d’un dispositif d’auto-arrimage : des galets de roulement s’enclenchent dans des glissières longitudinales. Le système est appliqué en 1897-1898 par la Compagnie des chemins de fer du Nord puis par la South Eastern Railway à la veille de la Première Guerre mondiale.

La mise en place du container system dans l’entre-deux-guerres

Après la Première Guerre mondiale, la réintégration de l’Alsace-Lorraine offre au port de Dunkerque une opportunité d’élargissement de son arrière-pays. Les dirigeants de la Compagnie des chemins de fer du Nord constituent une filiale, l’Alsace-Lorraine-Angleterre (ALA) en 1925, qui a pour objet d’exploiter les navires de la nouvelle ligne établie entre Dunkerque et Tilbury, l’avant-port de Londres. Dès le début, l’ALA prévoit d’utiliser les cadres de classement de porte à porte, puisqu’ils doivent être « remplis chez l’expéditeur et livrés sur camions chez les destinataires ». Du côté britannique, c’est la London Midland and Scottish Railway (LMS) qui constitue le fer de lance en ce domaine. L’accord passé entre le réseau du Nord et la LMS permet d’acheminer des cadres entre Bâle et Londres. L’usage du cadre se répand dans les compagnies ferroviaires britannique, où il est appelé « container », au cours de la deuxième moitié des années 1920. À titre d’exemple, la Compagnie du Nord possède un parc de 50 cadres, tandis que la seule LMS en possède déjà 1 500. La dynamique en matière de containers est bien passée du côté britannique. Du reste, les ingénieurs de la Compagnie du Nord considèrent que l’adoption du modèle anglais s’impose.

Les réactions des dirigeants des ports et des armateurs mettent en lumière les promesses mais aussi les problèmes que suscite la diffusion du cadre. En 1930, l’enquête menée par l’Association des grands ports français (AGPF) auprès de ses membres révèle que trois obstacles majeurs empêchent le développement des cadres : leur coût de construction trop élevé, ainsi que l’encombrement trop grand et les difficultés de manutention par manque de moyens mécaniques. De son côté, le Comité central des armateurs de France (CCAF) recommande que, pour être embarqués, les containers adoptent un standard unique. 

La standardisation est également la solution pour la Chambre de commerce internationale qui cherche à favoriser la diffusion du « cadre de groupage » dans une logique de coordination des transports. C’est en partie dans ce but qu’elle fonde en 1933 le Bureau international des containers et du transport intermodal (BIC). Celui-ci donne du container la définition suivante : « Un récipient conçu pour contenir des marchandises en vrac ou légèrement emballées, spécialement en vue de leur transport sans manipulations intermédiaires et rupture de charge, par un moyen de locomotion quelconque ou la combinaison de plusieurs d’entre eux. Un container doit être suffisamment résistant pour pouvoir faire un certain nombre de voyages sans être remis en état ; sa forme et sa capacité doivent être étudiées de manière à permettre une manutention facile et rapide, et à protéger efficacement son contenu contre les avaries ; son dessin doit permettre un chargement rapide des marchandises qu’il doit contenir ; le mode de fermeture des containers, autres que les containers ouverts, ne doit comporter ni clous, ni vis, ni cerclage et doit protéger efficacement le contenu contre les risques de spoliation. Un container, pour être considéré comme tel, doit avoir un volume intérieur d’au moins un mètre cube. » Toutes les caractéristiques contemporaines du conteneur sont déjà inscrites dans cette définition.

Le retour du conteneur en Europe

Il convient, par conséquent, de relativiser l’invention de Malcolm McLean (1913-2001). La mise au point de la « boîte » qui a révolutionné le transport de marchandises diverses est plus profondément le résultat d’un ensemble de réflexions et d’expérimentations anciennes, qui se sont cristallisées au cours de l’entre-deux-guerres. Il est néanmoins vrai que cet entrepreneur de transport associé à l’ingénieur Keith Tantlinger (1919-2011) a réussi la synthèse des systèmes préexistants et fait ainsi passer le conteneur des marges au cœur du système des transports maritimes. La taille standard de référence est de 20 pieds de long (6,10 m), sur 8 pieds de large (2,4 m) et 8,5 pieds de haut (2,5 m). Non seulement les dimensions sont normalisées, mais les points d’arrimage également.

Cantonné pendant une décennie au cabotage le long de la côte orientale de l’Amérique du Nord, le transport par conteneur arrive en Europe en 1966, avec la première liaison transatlantique d’un navire porte-conteneurs reliant New York à Anvers. Dans les milieux du transport maritime européen, il s’agit donc moins d’une découverte que d’une redécouverte, aussi est-il aisé de comprendre que les autorités des grands ports européens manifestent un intérêt certain à l’égard de la « boîte ». Ainsi, dès 1966, le port de Marseille, qui est le plus important des établissements français, organise un groupe de travail qui, à la fin de l’année, propose de recevoir des porte-conteneurs au terminal de Mourepiane, où deux grues de 18 tonnes sont associées à de vastes terre-pleins. La filiale marseillaise de la Compagnie maritime des chargeurs réunis se lance dans le trafic des conteneurs en 1968. Les ports français perdent néanmoins rapidement du terrain par rapport à leurs principaux concurrents européens, comme Anvers et Rotterdam, en raison d’une spécialisation prononcée dans la réception et le raffinage du pétrole brut.

Citer cet article

Bruno Marnot , « Conteneurs : une invention européenne redécouverte », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 22/12/21 , consulté le 23/04/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/21702

Bibliographie

Anonyme, « Le transport de marchandises avec séparation des éléments de roulement et de chargement », Le génie civil, 1933, n° 16, p. 375-377.

Borde, Christian, « La genèse du système des containers, entre route, rail et navigation maritime (1896-1956) », dans Jean-François Eck, Pierre Tilly, Béatrice Touchelay (dir.), Espaces portuaires. L’Europe du Nord à l’interface des économies et des cultures, xixe-xxe siècle, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2015, p. 147-158.

Frémont, Antoine, Conteneurisation et mondialisation. Les logiques des armements de lignes régulières, mémoire de recherche inédit HDR en géographie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2005.

/sites/default/files/styles/opengraph/public/Conteneurs.jpg?itok=qhMSAcmg