La confession est la forme ordinaire de la pénitence chrétienne depuis le Moyen Âge, évoluant peu à peu en un acte de discipline intérieure. Mais l’examen de conscience ne devient une pratique de masse qu’à l’époque moderne. L’apparition d’un meuble d’église pour la confession, dans les années 1540-1570, manifeste cette mutation. Le confessionnal transforme ainsi en profondeur les pratiques de la confession dans l’Europe catholique moderne, entre discipline, secret et proximité périlleuse des corps.
Le principe : corps disciplinés, âmes pénitentes
L’introduction du confessionnal se situe dans le mouvement de réforme de la vie religieuse catholique qui démarre avec le concile de Trente (1545-1563) et s’étend à tous les territoires restés fidèles à l’Église de Rome ou récemment convertis. À Trente, les pères conciliaires rappellent l’obligation énoncée au quatrième concile du Latran (1215) de la confession générale des péchés au moins une fois l’an, pendant le Carême, peu avant Pâques. Toutefois, le concile n’a pas inventé le confessionnal. Les premiers essais ont lieu dans le diocèse de Vérone en 1541-1542. Son évêque Gian Matteo Giberti semble avoir inventé le mot de confessorium, qui désigne au départ un simple siège avec une séparation. L’idée est perfectionnée à Milan, à l’initiative de l’archevêque Charles Borromée, modèle d’évêque tridentin. La première description complète du meuble y est publiée en 1577, dans les Instructions de la construction et de l’ameublement ecclésiastiques. L’instruction relative au confessionnal est très minutieuse, pour que chaque paroisse en passe commande. Reposant sur un socle bas, le meuble est formé d’une structure en bois qui, quand on est face au confessionnal, est ouverte à l’avant et fermée à l’arrière, sur les deux côtés et au-dessus. De part et d’autre d’une cloison centrale sont placés un siège pour le confesseur et un prie-Dieu (ou agenouilloir) pour le pénitent. Une ouverture dans la cloison facilite l’écoute de la confession sans laisser passer les regards. Elle est occultée par une plaque de fer trouée et recouverte d’une toile du côté du confesseur.
Le meuble impose le lieu de la confession et le placement des corps. Ce sont deux grandes nouveautés. D’abord, la confession doit se dérouler en un lieu déterminé de l’église, au vu et au su du reste des fidèles, et non plus au choix du confesseur, dans une habitation privée ou une cellule. En outre, la séparation des corps est un garde-fou contre la luxure qui, après Trente, prend la première place dans la hiérarchie des péchés, pour les laïcs comme pour les clercs. Il est souvent question de pratiques sexuelles durant la confession, en particulier dans les confessions féminines. Enfin, le meuble fait du confesseur un juge, qui siège et surplombe pénitents et pénitentes à genoux, mains jointes sur le prie-Dieu et tête humblement baissée. Le visage du confesseur est caché car c’est la justice divine qui est rendue en ce tribunal. Des images exemplaires, gravées et peintes, enseignent aux fidèles les gestes du sacrement (ill. 1).
De l’Italie à l’Europe tridentine : un objet discuté, ajusté, enrichi d’ornements
Loin de se limiter au prototype milanais, le confessionnal s’invente au cours de sa diffusion européenne. Les archevêques réformateurs préconisent son usage pendant les réunions des clercs en concile provincial, dans la péninsule italienne, puis au-delà. Parmi les diocèses pionniers figurent Aix (1585), Toulouse (1590), Malines (1607) et Narbonne (1609). Après son intégration dans le livre liturgique du Rituel romain (1614), le meuble devient la norme catholique. La diffusion européenne génère des ajustements. D’abord, un deuxième prie-Dieu est souvent ajouté à la structure de base, ce qui permet d’entendre successivement deux confessions et de gagner du temps pendant les principales fêtes et les jubilés. Pour l’ouverture dans la cloison, un treillis en bois ou une grille en fer sont souvent préférés à la plaque trouée. La question de la séparation est soumise à la congrégation des évêques et des réguliers en 1645 : même le petit doigt ne doit pas pouvoir passer à travers les mailles. Enfin, l’ouverture du meuble à l’avant est débattue car la confession risque d’être entendue. Des solutions variables sont trouvées. Dans la province jésuite d’Aragon, en 1584, les pères se plaignent des pénitentes qui écoutent en attendant leur tour : une barrière en bois doit les tenir à distance. À Bruxelles, en 1600, une inspection prescrit l’ajout d’une cloison à l’avant, « entre le pénitent et celui qui attend et suit ».
Dans les terres des missions, qui dépendent de la congrégation romaine de la Propagande (De Propaganda Fide, « De la foi devant être propagée »), érigée en 1622, les accommodements sont encore plus importants. L’urgence est de mener les foules à la confession, afin de convertir ou de vérifier une foi catholique douteuse. Pour ce faire, les pères obtiennent la possibilité, par autorisation spéciale, d’employer un mobilier portatif, à l’exemple des missionnaires lazaristes du Vivarais et du Dauphiné, qui portent sur leur dos des tables ou des grilles en fer-blanc, un fer en lame mince recouvert d’étain. Dans le même esprit, en 1660, la Propagande prescrit à Petar Bogdan, archevêque de Sofia, d’installer des confessionnaux dans des églises assez vastes et, ailleurs, une table transportable avec une grille. La dispense du confessionnal dont bénéficient les terres de mission est temporaire, jusqu’à l’ameublement conforme des églises.
À partir du xviie siècle, le confessionnal est une commande de choix pour les menuisiers et les sculpteurs virtuoses. Des chefs-d’œuvre sont fabriqués pour les principales églises urbaines en Europe. Tantôt la structure en menuiserie est habillée de reliefs. Dans l’église Saint-Loup à Namur, dix confessionnaux fabriqués entre le milieu du xviie et la première moitié du xviiie siècle présentent une ornementation profuse d’angelots et de motifs naturalistes, qui évoquent les fruits de la grâce (ill. 2). La sculpture se détache parfois en ronde-bosse, par exemple pour les confessionnaux de Saint-Gilles à Prague, qui présentent les fins dernières (mort, Jugement, Enfer et Ciel) et portent l’âme angoissée à la contrition (ill. 3).
Violences sexuelles autour du confessionnal
Les évêques et leurs envoyés ne tardent pas à relever des manquements dans les églises, à l’occasion de leurs visites pastorales : la confession est entendue sur les bancs, la grille absente, les mailles trop lâches... Mais des abus bien plus graves ont lieu dans des meubles pourtant aux normes. Le confessionnal donne en effet l’occasion d’une intimité périlleuse entre les clercs et les pénitents, et surtout les pénitentes. Ce sont des mots doux ou menaçants, des attouchements, suivis parfois de relations sexuelles consommées. Rome en prend conscience dès le milieu du xvie siècle : un nouveau crime, la « sollicitation aux choses honteuses » (sollicitatio ad turpia), qualifie la subornation d’une pénitente ou d’un pénitent en confession. Le crime relève de la justice inquisitoriale, d’abord en Espagne (1559 et 1561), puis au Portugal (1608), enfin dans l’ensemble du monde catholique (1622). Tandis que le juge est chargé d’enquêter sur des « abus » du sacrement et du meuble, les témoignages rapportent aussi des violences sexuelles perpétrées autour de la confession. Dans ces procès, le confessionnal n’est pas l’alcôve imaginée par des estampes, à partir du xviiie siècle (ill. 4), mais un espace d’intimité, qui rend possibles des abus d’autorité et des violences commises hors du meuble.
Le confessionnal est un objet efficace pour les évêques italiens qui l’ont conçu : il sépare le confesseur du pénitent, porte les âmes à la contrition et accueille un grand nombre de fidèles en confession. De là découle son succès rapide, sous des formes adaptées, sobres ou ornées, à l’échelle de l’Europe catholique, en expansion missionnaire et impériale. Ce meuble d’église est bien plus qu’un garde-fou contre la luxure : il matérialise le secret de la confession et l’obéissance due au confesseur. C’est cette soumission, inculquée dès l’enfance, qui rend possible la perpétration d’agressions sexuelles, dans l’ombre du confessionnal.