Du Loto à l’EuroMillion (2004) : le pari gagnant des loteries nationales européennes

Depuis 2004, l’EuroMillion permet aux joueurs de 12 pays européens (Andorre, Autriche, Belgique, Grande-Bretagne, Espagne, France, Irlande, Lichtenstein, Luxembourg, Monaco, Portugal, Suisse) d’espérer des gains inédits pour le continent, de l’ordre de 250 millions pour le jackpot. Sans véritable lien avec la monnaie commune ou l’Union européenne, l’EuroMillion est une initiative commerciale d’opérateurs de jeux d’argent récemment privatisés, notamment la Française des Jeux et la National Lottery britannique, qui ont une longue expérience en la matière. 

Ill. : tickets et site britanniques d’Euromillion (Photo Magnus D
Ill. : tickets et site britanniques d’Euromillion (Photo Magnus D CC BY 2.0)
Sommaire

Traditions et régulations européennes des loteries nationales 

Le loto, jeu d’argent consistant à distribuer au hasard d’un tirage des lots parmi des joueurs ayant acquitté une mise de départ, a une histoire ancienne bien que difficilement datée par l’historiographie. En Europe, la période moderne pose les jalons d’un double encadrement politique et moral des loteries. Elles sont progressivement placées sous le contrôle d’États soucieux de lutter contre les loteries étrangères et clandestines, et de capter l’épargne populaire. Sous l’influence des autorités religieuses, les loterie devenues monopole de l’État servent le plus souvent à financer des œuvres caritatives. C’est le cas en Angleterre avec la National Lottery qui existe depuis 1698, ou en France avec les loteries royales qui fonctionnent sur le même principe depuis 1776. En Espagne, la loterie de Noël, qui a distribué 2,7 milliards d’euros en 2023, existe depuis 1812. Au xixe siècle, le contrôle sur les loteries et les jeux d’argent est maintenu, et l’interdit religieux se double peu à peu d’une réprobation du monde économique, notamment des libéraux soucieux d’associer l’argent au travail. En France, un décret napoléonien de 1806, confirmé par la loi du 15 juin 1907, n’autorise les jeux d’argent que dans certains lieux touristiques (villes d’eau et stations balnéaires) où seule une poignée de privilégiés peut donc s’y adonner légalement hors du temps consacré au travail. 

Dans l’entre-deux-guerres, la vocation caritative est réaffirmée. En France, la première Loterie nationale, héritière des loteries royales, est instituée par une loi de finances du 22 juillet 1933 dans le but de venir en aide aux invalides de guerre, aux anciens combattants et aux victimes de calamités agricoles. L’Union des blessés de la face et de la tête (UBFT), ou Gueules cassées, en est le principal actionnaire. En Espagne, la ONCE, ou Organisation nationale des aveugles espagnols, est connue pour ses kiosques, omniprésents dans les villes du pays, qui permettent de participer à la loterie organisée par l’association. Quant à la National Lottery, elle a l’obligation de financer des causes d’intérêt national. 

Ce modèle connaît de profonds changements à la fin du xxe siècle en raison de l’informatisation des loteries, d’un abaissement des barrières morales entourant la pratique des jeux d’argent en général, et d’une augmentation des gains liée à l’accroissement du nombre de joueurs. En 1976, la Loterie nationale devient établissement public avec la création de la Française des jeux. Elle implante à Moussy-le-Vieux, en Seine-et-Marne, un vaste central informatique permettant de centraliser les mises. L’intérêt des joueurs était alors principalement tourné vers le Paris mutuel urbain (PMU), dont le réseau permettait depuis 1933 de mutualiser les paris entre les différents hippodromes et les points de vente en ville. Avec l’informatisation du loto qui promet des gains bien plus importants et des tirages plus nombreux, à mesure de l’augmentation du nombre de joueurs, la loterie acquiert la faveur des Français. Elle est en cela aidée par la publicité et la télévision qui retransmet les tirages deux fois par semaine à une heure de grande écoute. 

La création de l’EuroMillion (2004), réponse à une concurrence multiforme

Cependant, à partir des années 1980, le développement massif d’autres jeux d’argent concurrence le loto. En France, le premier jeu de grattage (Tac-O-Tac) apparaît en 1984. Depuis 2011, le chiffre d’affaires de ces jeux, qui promettent au joueur un gain instantané si le ticket est gagnant, dépassent ceux de la loterie. Concurrencées aussi par les paris sportifs qui connaissent une croissance exponentielle depuis le début du xxie siècle et les nouveaux jeux en ligne (plus de 17% des parts de marchés en 2023), les loteries sont amenées à proposer des gains toujours plus élevés pour rester attractives. 

Une première initiative vient du Nord de l’Europe. En 1993, les loteries d’Islande, de Norvège, du Danemark, de Suède, de Finlande et d’Estonie se rapprochent pour créer le Viking Lotto. Ce jeu propose des gains supérieurs à ceux proposés par les loteries de pays tels que la France ou la Grande-Bretagne (35 millions de gains potentiel contre 30 millions pour la loterie française). Or, avec l’informatisation des paris, un joueur extérieur à ces pays peut participer au jeu. En outre, une ouverture à la concurrence des monopoles nationaux se dessine dans le contexte du Marché unique. Tout ceci décide la National Lottery (privatisée en 1993) et la Française des Jeux (qui sera privatisée en 2019), rejointes par leurs consœurs ibériques, à réagir en mutualisant à leur tour les mises et les gains. 

Lancé en 2004, l’EuroMillion – qui devait initialement s’appeler Europa Loto ou Mega Millions – fait donc figure de super-loterie (ill.). Rassemblant une population supérieure à 200 millions d’habitants et où chaque joueur a la possibilité de miser dans sa devise (Euro, Franc Suisse, Livre Sterling), l’EuroMillion offre des gains qui vont croissant depuis sa création. Avec un jackpot de 250 millions d’euros, sa rivale du Nord est surclassée, malgré le ralliement depuis 2017 des loteries de Lettonie, Lituanie, Belgique et Slovénie. Toutefois, l’EuroMillion doit faire face depuis 2012 à une initiative concurrente d’une toute autre ampleur avec l’apparition de l’Eurojackpot, loterie qui regroupe des opérateurs de 19 pays européens (Allemagne, Italie, Espagne, Pays-Bas, Estonie, Lettonie, Lituanie, Suède, Danemark, Norvège, Finlande, Croatie, Islande, République Tchèque, Pologne, Hongrie, Slovaquie et Slovénie). Avec un lot minimum de 10 millions d’euros à chaque tirage et un jackpot de 120 millions empoché en 2022, elle bénéficie d’une large attractivité. Ailleurs dans le monde comme en Europe, les prohibitions et les interdits moraux entourant la pratique des jeux d’argent s’affaissent. Les sommes qui sont mises en circulation (plus de 450 milliards de dollars) et la baisse des revenus du travail dans de nombreuses régions du monde ne cessent de réduire la liste des États prohibitionnistes.

Pour l’heure, l’EuroMillion est la plus importante des trois super-loteries européennes, et elle illustre bien les stratégies expansionnistes déployées par les opérateurs pour accroitre leurs profits. Ces associations de loterie à géométrie variable, largement affranchies des dynamiques politiques de la construction européenne et de l’union monétaire mais sachant tirer avantage des politiques de dérégulation, résultent d’un décloisonnement des marchés rendu possible par le démantèlement progressif des opérateurs publics et la numérisation des jeux. La World Lottery Association qui regroupe 140 loteries dans 70 pays et dont l’objectif est de favoriser la convergence des normes de jeu, permettra-t-elle un jour la création d’une loterie mondiale, à la promesse de gains inédits ? 

Citer cet article

Boris Lebeau , Marie Redon , « Du Loto à l’EuroMillion (2004) : le pari gagnant des loteries nationales européennes », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 13/03/25 , consulté le 22/04/2025. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22538

Cette notice est publiée sous licence CC-BY 4.0. La licence CC-BY signifie que les publications sont réutilisables à condition d’en citer l’auteur.

Bibliographie

Freundlich, Francis « L’invention de la loterie royale », dans Nétchine, Ève (dir.), Jeux de princes, jeux de vilain, Paris, Seuil, BnF, 2009.

Muñiz, Álvaro, Pérez, Levi, « The market for EuroMillions: jackpot sharing and implicit transfer of funds among countries », Economia Politica: Journal of Analytical and Institutional Economics, Vol. 40/3, 2003, p. 817-833.

Redon, Marie, Lebeau, Boris, Géopolitique des jeux d’argent, Paris, Le Cavalier Bleu, 2020.

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