Le Portugal met en place des équipements de production électrique en Afrique de la fin des années 1890 à 1976, soit deux ans après son retrait du continent. En effet, malgré l’insurrection militaire de 1974 qui fait tomber la dictature et ouvre la voie à la démocratie et à la décolonisation, les chantiers en cours sont menés à leur terme. L’électrification des colonies portugaises (Cap-Vert, Guinée-Bissau, Sao Tomé et Principe, Angola et Mozambique) débute par l’installation de petits générateurs autonomes destinés à l’éclairage des plantations, des usines et des municipalités, soit sous l’égide de l’administration coloniale, soit par des initiatives privées. Les choses prennent une tout autre ampleur après la Seconde Guerre mondiale.
Au lendemain du conflit, le développement des territoires d’outre-mer, auquel une partie des fonds du plan Marshall est alloué, joue un rôle important dans le redressement de l’Europe. S’impose aussi l’urgence d’améliorer la condition des peuples indigènes grâce à la planification de l’investissement public. Toutes les puissances coloniales adoptent donc des plans de développement économique pour leurs empires. C’est le cas de la France dès 1946 ; la Belgique fait de même pour le Congo en 1948 ainsi que l’Italie pour la Somalie en 1954. Au Royaume-Uni, le processus s’étale sur plusieurs années en fonction des territoires. Le développement de l’hydro-électricité en Afrique prend une place centrale dans ces projets, car on considère que le continent dispose d’atouts exceptionnels pour produire de l’énergie hydraulique, à savoir de l’eau en quantité et de fortes dénivellations, ce qui permet d’obtenir de l’électricité à très bon marché. À l’époque, les ressources, exploitées ou potentielles, permettent d’estimer la production mondiale d’hydro-électricité à 500 millions de kilowattheures (KWH). L’Afrique se taille la part du lion, avec 200 KWH, contre 130 pour l’Asie, 50 pour l’Europe et 125 pour les Amériques. Cela incite la France, la Belgique et le Royaume-Uni à développer la production d’électricité du continent noir et à y transférer leurs industries les plus énergivores, notamment l’industrie chimique ou l’industrie électrométallurgique, comme les usines d’aluminium.
Au début des années 1950, le secteur est encore dominé par des particuliers dans les possessions portugaises, tant pour le nombre d’unités de production que pour la quantité d’énergie produite. La plupart des centrales sont thermiques et leur production se répartit équitablement entre les transports et l’éclairage. La dispersion des unités de production et leur coût élevé reflètent le retard de développement et la faible densité de population de ces territoires. La nécessité d’une rationalisation rapide du secteur s’impose donc aux acteurs de l’époque. Pour un pays peu industrialisé comme le Portugal, qui doit administrer un vaste empire et en justifier l’existence aux yeux de la communauté internationale, le développement et la prospérité économique passent par l’énergie à bon marché.
L’administration portugaise opte donc pour la planification économique, notamment en matière d’énergie hydroélectrique. Le plan d’exploitation du réseau hydrographique vise d’abord à augmenter la production agricole grâce à l’irrigation, ensuite à produire de l’électricité à bon marché pour favoriser l’industrialisation, et enfin à améliorer les communications. Il est censé s’appuyer sur une solide expertise scientifique et technique grâce au rôle prépondérant donné aux scientifiques et aux ingénieurs.
Parmi les barrages de toutes tailles figurant sur le tableau, Gove et Cabora-Bassa offrent un bon exemple de l’ingéniosité dont les Portugais font preuve. Alors que le pays, fortement critiqué à l’étranger, doit conduire une guerre coûteuse pour ses maigres finances, il dispose d’ingénieurs bien formés pour mener à bien des projets ambitieux. Le plan d’exploitation de la rivière Kunene (1962) prévoyait que l’usine hydroélectrique de Matala ne tarderait pas à arriver à saturation. La construction du barrage de Gove est donc planifiée afin de réguler l’alimentation de Matala en eau et d’augmenter sa production jusqu’à 100 KWH. Ce barrage est au cœur des négociations entre le Portugal et la république d’Afrique du Sud portant sur « l’usage de la ressource hydrique dans le bassin de Kunene ». Aux termes de l’accord signé en 1969, l’Afrique du Sud s’engage à en financer la construction dans des conditions très avantageuses pour le Portugal, puisque la moitié de ce financement n’aura pas à être remboursée. En contrepartie, le Portugal s’engage à ne pas capter plus de la moitié de la retenue d’eau du barrage pour l’irrigation. La centrale hydroélectrique de Ruacana et le barrage de Calueque sont également financés par l’Afrique du Sud.
Au Mozambique, de fortes contestations, au niveau national comme à l’étranger, et plusieurs attaques de la guérilla indépendantiste n’empêchent pas la construction du barrage de Cahora-Bassa. Ce barrage-voûte de 164 mètres de hauteur et de 303 mètres de longueur en crête a une capacité de 63 milliards m3 et peut produire jusqu’à 2 075 GWH. Les études préparatoires, y compris sur l’impact environnemental, sont principalement menées par des experts du pays, mais c’est un consortium international comprenant des intérêts sud-africains qui supervise les travaux. Cahora-Bassa, avec une capacité de 2 000 MW, est aujourd’hui la plus grande source de production d’électricité du Mozambique. 250 MW alimentent le réseau national tandis que 1 100 MW sont destinés à l’Afrique du Sud et 400 au Zimbabwe. De l’indépendance à 2006, le site est géré par l’entreprise Cahora Bassa, dont les parts sont détenues à hauteur de 82 % par le Portugal et 18 % par le Mozambique. Aujourd’hui, comme on peut le lire sur le site officiel, l’ouvrage fait « la fierté du Mozambique ».
Le programme d’électrification des colonies portugaises en Afrique fait donc apparaître autant de continuités techniques et économiques que de ruptures politiques. Son histoire permet de mieux comprendre pourquoi le rôle de l’électrification reste central dans les politiques actuelles d’aide au développement en Afrique.
Traduit de l'anglais par Emmanuel Roudaut