Le système PEGI (2003) : une classification européenne des jeux vidéo

Le système PEGI (Pan European Game Information) est une classification des jeux vidéo à l’échelle européenne. Son objectif est de remplacer les différentes réglementations nationales, de répondre aux critiques et de soutenir le secteur face à la concurrence extra-européenne. Il trouve en effet son origine au début des années 2000, période de tournant pour l’industrie vidéoludique européenne : face à la crise économique du secteur et à une augmentation des critiques politiques contre le jeu vidéo, l’Union européenne en appelle à l’autoréglementation par les professionnels. 

Illustration 1 : Ensemble des logos du système PEGI (2003)
Illustration 1 : Ensemble des logos du système PEGI (2003). Source : https://pegi.info/fr
Illustration 2 :  « Harry shoots at nurses », capture d’écran du jeu Silent Hill, 1999
Illustration 2 : « Harry shoots at nurses », capture d’écran du jeu Silent Hill, 1999. Source : https://screenrant.com
Sommaire

Un nouveau système de classification des jeux vidéo par âge et contenu est mis en place au niveau européen en avril 2003 (ill. 1). Visant à éclairer le choix du consommateur, il supplante les classifications nationales précédentes. Promu par les professionnels du secteur et présenté par les responsables politiques comme une réussite européenne, le PEGI (Pan European Game Information) s’impose rapidement. Sa genèse fut pourtant compliquée. Mis en place dans un contexte de crise du secteur vidéoludique, il est aussi le marqueur d’une volonté industrielle d’uniformiser et de réglementer un marché en perpétuelle évolution.

Un contexte favorable à la réglementation

Entre 1997 et 2002, la perception du jeu vidéo évolue en Europe à la suite de plusieurs faits-divers impliquant des adolescents. À la critique – déjà formulée pour la télévision – de l’effet des images violentes viennent s’ajouter des inquiétudes liées à l'interactivité. Spécificité du médium vidéoludique, celle-ci est présentée comme un facteur de déconnexion du réel, et une cause de la dérive de certains jeunes. On passe ainsi d’une critique centrée sur la passivité des joueurs à une critique ciblant les conséquences de l’(inter)action. 

Ces critiques d’ordre social se conjuguent à une crise économique qui touche le secteur vidéoludique au début des années 2000. En effet, après six années d’augmentation continue des bénéfices, les ventes du marché européen, notamment français, s’effondrent en 2003. Les causes sont multiples. L’éclatement de la bulle internet qui s’était formée à la fin des années 1990 met fin à la croissance spéculative et touche l’ensemble du secteur des nouvelles technologies. Cette crise se confond avec la fin du cycle technologique des consoles de salon ouvert en 1995 avec la sortie de la Playstation de Sony. Dès lors, la baisse des investissements va de pair avec une stagnation voire une baisse des ventes. Cette dernière est aussi liée à la nouvelle concurrence des jeux en ligne tirée par la popularisation des micro-ordinateurs. Enfin, les entreprises d’Europe occidentale doivent faire face à la montée en puissance de nouveaux acteurs plus compétitifs, notamment venus de l’Est de l’Europe. Face à cela, certaines entreprises ferment, comme les studios français 4X Studio (2002) ou Silmarils (2003), et d’autres déménagent : Ubisoft installe une grande partie de son studio de développement au Canada, où le cadre réglementaire est jugé plus favorable. 

Cette crise multifactorielle fragilise ainsi le tissu industriel ouest-européen, qui semble désuni face à la concurrence nord-américaine et asiatique. Dans le marasme, les secteurs allemand, britannique et français se mobilisent toutefois au niveau européen pour inverser la tendance. L’harmonisation du système de classification des jeux vidéo leur apparaît comme un levier prioritaire de transformation.

L’enjeu de la classification des contenus 

À l’époque, un grand nombre d’États membres de l’Union européenne possède déjà un système de classification selon l’âge. C’est notamment le cas pour la Grande-Bretagne avec le British Board of Film Classification (BBFC) ou l’Allemagne avec l’Unterhaltungssoftware Selbstkontrolle (USK). Mieux, une signalétique reconnue par de nombreux États européens comme la France existe déjà depuis 1989, produit par l’Entertainment and Leisure Software Publishers Association (ELSPA). Mais au début des années 2000, cet organisme créé par des éditeurs britanniques ne fait plus l’unanimité auprès des instances européennes et des professionnels du secteur. Chaque système de classification semble en définitive refléter la diversité culturelle et les différentes sensibilités nationales et locales, et des recommandations divergentes apparaissent. Par exemple, le jeu horrifique japonais Silent Hill (Konami, 1999) (ill. 2) est conseillé par le SELL (Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs) en France aux personnes de plus de 16 ans, tandis que la signalétique britannique ELSPA le conseille aux « 15+ », et que l’USK le classe « 18+ » en Allemagne. Dès lors, des informations contradictoires peuvent parfois se retrouver présentées sur la même boîte : le système de classification ne joue plus son rôle et participe plutôt de la confusion, d’autant plus qu’aucune autre information n’est donnée quant au contenu. 

Lors de sa séance du 1er mars 2002, le Conseil européen fait état de ses préoccupations pour les utilisateurs et pour les producteurs de jeux vidéo européens, reprenant le diagnostic déjà évoqué. Estimant que les polémiques pourraient s’atténuer dès lors que les acheteurs pourraient faire un choix éclairé, le Conseil conclut à la nécessité d’uniformiser la signalétique indiquant l’âge minimum recommandé pour jouer aux différents jeux vidéo. L’idée directrice est de rassurer et d’informer les parents plutôt que de réguler légalement la pratique des mineurs.

Pan European Game Information : classer et informer

L’initiative européenne est en réalité promue par les professionnels du jeu vidéo eux-mêmes qui, par l’intermédiaire d’un lobby, encouragent et proposent des solutions auprès des instances européennes. En 2003, ils se mobilisent à travers l’Interactive Software Federation of Europe (ISFE). Cette fédération indépendante créée en 1998 et installée à Bruxelles pour représenter les intérêts du secteur auprès des instances européennes ou internationales, s’ouvre à partir de 2002 à une grande partie des pays membres de l’Union européenne, plus la Norvège, la Suisse, le Liechtenstein et l’Islande. Ces membres couvrent les principaux éditeurs de jeux vidéo comme Ubisoft, Square Enix ou Nintendo of Europe, mais aussi un certain nombre d’associations professionnelle nationales telles que le Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisir (SELL) en France, le Romanian Game Developers Association (RGDA) en Roumanie ou encore le Video Games Federation Belgium (VGFB) en Belgique. L’ISFE regroupe aujourd’hui 14 associations professionnelles européennes et 19 sociétés internationales de jeux vidéo. L’ISFE est gérée par des professionnels qui aspirent à participer à la réglementation du secteur. 

Avec l’appui du Conseil européen, l’ISFE lance en avril 2003 le système d’évaluation PEGI, le premier véritable système de classification européen. Le système reprend le même concept que les classifications précédentes. Chaque éditeur répond à une série de questions sur les situations dans le jeu et obtient une recommandation d’âge à la vente. L’âge conseillé est accompagné de logos justifiant la décision et informant les consommateurs des types de représentations auxquels ils pourraient être confrontés comme le logo « violent » illustré par un poing fermé.  D’autres logos signalent la présence de drogue(s) ou de jeux de hasard, le caractère effrayant du jeu, la grossièreté du langage, la sexualité, et enfin d’enjeux liés à la discrimination. Un jeu peut donc se voir associer plusieurs logos, accompagnant l’âge conseillé pour le joueur. Avec cette signalétique, le consommateur est informé explicitement du contenu du jeu. Cela signifie que l’ensemble des jeux édités par les sociétés membres du regroupement ISFE, y compris extra-européennes comme Bandai Namco (Japon) ou Activision-Blizzard (États-Unis), sont soumis au même système d’évaluation. Géré par un comité indépendant composé de représentants de l'industrie du jeu vidéo, de consommateurs et d'experts en éducation, le PEGI fournit un conseil de consommation mais aucunement une interdiction. 

Finalement, la mise en place de la signalétique PEGI au niveau européen montre une volonté d’autoréglementation du secteur sous le regard bienveillant et l’aval des pouvoirs publics européens qui ont validé le projet et ouvert la voie à sa mise en œuvre.  Si le nouveau système de classification semble calmer les appréhensions exprimées par une partie de l’opinion publique et des politiques, dans un contexte de crise de la filière, faire un lien direct entre le PEGI et la baisse relative des critiques serait sans doute simplificateur. L’uniformisation de la réglementation au niveau européen participe toutefois bien d’un regard à la fois social et politique apaisé sur le jeu vidéo, qui est de plus en plus considéré comme un bien culturel. Le fait que 26 pays extra-communautaires comme la Turquie ou l’Inde aient ensuite rejoint le système PEGI atteste du succès international de cette initiative européenne.

Citer cet article

Julien Lalu , « Le système PEGI (2003) : une classification européenne des jeux vidéo », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 24/09/24 , consulté le 23/03/2025. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22452

Bibliographie

Conseil européen, « Protection des consommateurs, les jeunes en particulier, par l’étiquetage de certains jeux vidéo et jeux informatique selon la tranche d’âge », Résolution du Conseil du 1er mars 2002,C 65/02, publiée le 14 mars 2002.

Genvo, Sébastien, Le game design de jeux vidéo : une approche communicationnelle et interculturelle, Thèse de doctorat en sciences de l’information et de la communication, Université de Metz, 2006.

Lalu, Julien, « La violence dans les jeux vidéo : discours politiques d’un thème polémique au tournant des années 2000 en France », dans Cousseau, Vincent, Jeux interdits. La transgression ludique de l’Antiquité à nos jours, Limoges, Presses Universitaires de Limoges, 2016, p. 99-112.

Lalu, Julien, « L’industrie vidéoludique française face à la crise de 2003 : l’exemple d’une nouvelle implication politique », Entreprises et histoire, vol. 109, n°4, 2022, p. 64-80.

Mauco, Olivier, Jeux vidéo : hors de contrôle ? Industrie, politique, morale, Paris, Questions Théoriques, 2014.

Recommandé sur le même thème

Illustration 1 : Dessin « Infrastructure » réalisé par l’Europeana Foundation et Sketchy Business, 2020.
Illustration 1 : Dessin « Infrastructure » réalisé par l’Europeana Foundation et Sketchy Business, 2020. Source : pro.europeana.eu / domaine public
Signature des accords CII, Philips, Siemens, le 4 juillet 1973. De gauche à droite, assis à la table de conférence : Dr Bernhard Plettner (président du directoire de Siemens A.G.), Dr P.H. Le Clercq (vp de Philips) , H.A.C. Van Riemsdijk (président de N.V. Philips Gloeilampenfabrieken), Dr. Ir. A.E. Pannenborg (Philips), Jean Gaudfernau (DGA de la CII), Michel Barré (PDG de la CII), Robert Gest( DG de la CII), Paul Richard,(PDG de Thomson).
Signature des accords CII, Philips, Siemens, le 4 juillet 1973. De gauche à droite, assis à la table de conférence : Dr Bernhard Plettner (président du directoire de Siemens A.G.), Dr P.H. Le Clercq (vp de Philips) , H.A.C. Van Riemsdijk (président de N.V. Philips Gloeilampenfabrieken), Dr. Ir. A.E. Pannenborg (Philips), Jean Gaudfernau (DGA de la CII), Michel Barré (PDG de la CII), Robert Gest( DG de la CII), Paul Richard,(PDG de Thomson). Source : www.feb-patrimoine.com.
Les opératrices du Centro per l’Automatizzione dell’Analisi Letteraria produisent les quelques milliers de cartes perforées de l’Index Thomisticus dans la salle de codage de Gallarate en juin 1967.  Illustration reproduite par Steven E. Jones dans Roberto Busa, S. J., and the Emergence of Humanities Computing : The Priest and the Punched Cards, New York, Routledge, 2016, p. 123. Source : Busa Archive, Università Cattolica del Sacro Cuore, Milan.
Les opératrices du Centro per l’Automatizzione dell’Analisi Letteraria produisent les quelques milliers de cartes perforées de l’Index Thomisticus dans la salle de codage de Gallarate en juin 1967. Illustration reproduite par Steven E. Jones dans Roberto Busa, S. J., and the Emergence of Humanities Computing : The Priest and the Punched Cards, New York, Routledge, 2016, p. 123. Source : Busa Archive, Università Cattolica del Sacro Cuore, Milan.
/sites/default/files/styles/opengraph/public/image-opengraph/pegi.jpg?itok=GWIu99f8

Ne manquez aucune nouveauté de l’EHNE en vous abonnant à nos newsletters :

The subscriber's email address.
Gérez vos abonnements aux lettres d’information
Sélectionnez la newsletter à laquelle vous souhaitez vous abonner.