Le tuyau de fonte de Pont-à-Mousson, entre la Lorraine, l’Europe et le monde

Utilisé pour l’adduction de l’eau et du gaz, le tuyau de fonte de Pont-à-Mousson s'est imposé en Europe et dans le monde depuis la seconde moitié du xixe siècle. Ancrée en Lorraine, sa production est issue d’une culture technique partagée à travers un espace rhénan marqué par la vitalité des activités liées à la sidérurgie. La modification de son processus de production et de sa composition lui a permis de demeurer jusqu’à aujourd’hui concurrentiel face aux autres matériaux. Depuis le milieu du xixe siècle, il s’agit d’un objet qui, bien qu’invisible, témoigne à la fois du développement urbain mondial, des défis rencontrés par la métallurgie rhénane, et du positionnement économique de la France à l’étranger.

Illustration 1 : Tuyaux Saint-Gobain PAM (nom de l’entreprise Pont-à-Mousson depuis 2000) NATURAL BioZinalium® (revêtement composé d’un alliage de zinc-aluminium enrichi en cuivre) à emboîtement standard de diamètre nominal 350 mm (revêtement intérieur : mortier de ciment centrifugé ; revêtement extérieur : ®BioZinalium et peinture). Source : Photographie de Carole Lamoureux, 2020.
Illustration 1 : Tuyaux Saint-Gobain PAM (nom de l’entreprise Pont-à-Mousson depuis 2000) NATURAL BioZinalium® (revêtement composé d’un alliage de zinc-aluminium enrichi en cuivre) à emboîtement standard de diamètre nominal 350 mm (revêtement intérieur : mortier de ciment centrifugé ; revêtement extérieur : ®BioZinalium et peinture). Source : Photographie de Carole Lamoureux, 2020.
Illustration 2 : Action de PAM émise en 1937, représentant la diffusion internationale des tuyaux mussipontains. Source : Archives de Saint-Gobain, 2 PH 02523.
Illustration 2 : Action de PAM émise en 1937, représentant la diffusion internationale des tuyaux mussipontains. Source : Archives de Saint-Gobain, 2 PH 02523.
Sommaire

L’entreprise Pont-à-Mousson s’est souvent référée aux canalisations des jardins de Versailles comme une illustration de la supériorité technique des tuyaux de fonte : on les y avait préférés au bois, au cuivre ou encore à la terre cuite. Toutefois, ce n’est pas cette firme lorraine qui a équipé la monarchie française, et pour cause : elle est fondée bien plus tard, en 1856, dans une commune de l’actuelle Meurthe-et-Moselle dont elle prend le nom. Elle est rebaptisée Société anonyme des hauts-fourneaux et fonderies de Pont-à-Mousson (abrégée « PAM ») en 1886. De 1946 jusqu’à sa fusion avec Saint-Gobain en 1970, la Compagnie de Pont-à-Mousson assure les fonctions de holding (c’est-à-dire de société financière) du groupe PAM. En parallèle, la Société des Fonderies de Pont-à-Mousson, qui devient Pont-à-Mousson S.A. (1971) puis Saint-Gobain PAM (2000), hérite des activités industrielles originelles, qu’elle poursuit jusqu’à aujourd’hui.

Malgré une diversification de ses productions, PAM a conservé sa spécialisation dans le tuyau en fonte pour l’adduction de l’eau et du gaz. Si d’autres sociétés en Belgique ou encore en Suisse ont associé leurs noms au tuyau en fonte, celui de PAM s’est accolé de manière singulière à cet objet-type issu de la culture technique et économique européenne des secteurs de la sidérurgie et de la canalisation. 

Le tuyau mussipontain, enfant de l’Europe industrielle

Depuis la fin du xviiie siècle, la fonte, devenue un substitut à la pierre dans la construction, fait ses preuves en termes de solidité et de longévité. Les opportunités offertes par l’expansion du chemin de fer et la découverte de gisements de minerai en Lorraine suscitent un véritable essor sidérurgique dans cette région française. La création de PAM en 1856 est contemporaine d’une augmentation notable du nombre de mines, d’usines productrices de fonte brute et de fontes moulées. 

Productrice de fonte brute, PAM s’oriente aussi dès ses débuts vers les fontes moulées, c’est-à-dire les produits finis, afin de réduire sa dépendance vis-à-vis des aciéries auxquelles elle vend sa fonte de première fusion. PAM, comme nombre de ses consœurs, propose une vaste gamme de produits, allant de la canalisation aux objets d’ornement. Selon le discours mémoriel de l’entreprise, l’année 1866 marque une nouvelle fondation. Après des visites d’usines britanniques, les dirigeants de PAM auraient choisi de suivre leur exemple en se spécialisant dans le tuyau en fonte. Il est probable que cette tournée ait en réalité eu pour objet de confirmer une stratégie déjà ébauchée.

Le tuyau de PAM s’inspire en tout cas des tuyaux britanniques d’entreprises comme Stanton et Staveley (Derbyshire). L’industrialisation et l’urbanisation suscitent en Grande-Bretagne le déploiement précoce de réseaux de distribution d’eau. Comptant sur le développement à venir des réseaux d’adduction d’eau en France, PAM choisit un secteur de niche pour se différencier des autres sidérurgistes français. Positionnée tôt sur les marchés continentaux du tuyau de fonte, elle y côtoie à partir de la fin du xixe siècle d’autres fondeurs belges, allemands, italiens et suisses et français.

Un chef de file européen

Cent ans plus tard, le « pontamousson » désigne en Russie le tuyau en fonte. Comme pour d’autres produits qui ont emprunté le nom de marques courantes, c’est le signe de l’ascendant pris par PAM sur la concurrence. L’entreprise est devenue le principal fabricant français et le premier exportateur sur nombre de marchés. La société Aubrives-Villerupt (Meurthe-et-Moselle et Ardennes actuelles) l’avait pourtant rattrapée sur les ventes à l’étranger vers 1900. Cependant, une forte augmentation de ses productions a ensuite permis à PAM de s’affirmer à nouveau comme chef de file français incontestable sur le marché intérieur comme à l’international. En 1910, elle écoule ainsi trois fois plus de fabrications qu’Aubrives-Villerupt et représente 60 % des exportations.

À ses débuts, PAM vend auprès des pays rhénans et en Italie, avant de conquérir des marchés extracontinentaux (ill. 2). Vers 1900, elle investit l’Europe du Nord, expédiant notamment 146 kilomètres de tuyaux à Stockholm entre 1901 et 1930. Les Pays-Bas constituent son marché étranger le plus constant, avec une estimation basse de 2 800 kilomètres de canalisations (eau et gaz) expédiées entre 1904 et 1972. Au niveau international, la concurrence reste le plus souvent européenne, voire états-unienne, jusqu’à la fin des Trente Glorieuses : les usines françaises (PAM, Aubrives-Villerupt) rivalisent avec les britanniques (Stanton, Staveley) et les allemandes (Gelsenkirchen, Buderus) avec succès. Elles représentent en général la plus forte proportion des volumes expédiés hors d’Europe, soit entre 30 et 40 % dans les années 1930.

À partir de 1960, la prépondérance de PAM mène à des absorptions (Aubrives-Villerupt en 1965, Stanton et Staveley dans les années 1980), et à la création de filiales comme Funditubo en Espagne ou encore Tubi Ghisa en Italie. Par ses lieux de production, d’abord mussipontains, puis lorrains (1906), français (1916) et rhénans (prise de contrôle d’un fondeur sarrois en 1920), le tuyau de PAM s’affirme comme un champion européen et un leader international à l’issue des Trente Glorieuses.

Caractéristiques techniques et compétitivité : un tuyau modèle ?

Ces géographies rappellent que le tuyau de fonte de PAM ne consiste pas en une gamme figée d’objets identiques. L’évolution de ses caractéristiques assure sa prépondérance et sa survie. D’abord coulés à l’horizontal ou inclinés, les tuyaux de PAM sont progressivement coulés debout, emboîtement en haut, à partir des années 1860. La remontée des scories de la fonte fragilisant alors l’emboîtement, le sens de fabrication est inversé au début du xxe siècle, permettant de couper, en bout de tuyau lisse, la partie fragilisée.

Fournisseur de Paris à partir de 1878, PAM peut se prévaloir de fonder, dans ses gammes de canalisations, son tuyau « type ville de Paris » sur le cahier des charges exigeant de la capitale. Diamètres, épaisseurs de métal, revêtements, emboîtements, joints, éventuelles brides : les variables s’adaptent à la concurrence technique, amenant à produire notamment des tuyaux aux standards britannique (BSS) et américain (AWWA) durant la première moitié du xxe siècle.

Devenu « tuyau debout », le tuyau de PAM manque de peu le virage de la centrifugation (fabrication par projection de la fonte en fusion sur un moule), procédé adopté dans les années 1920 par certains concurrents européens. Mais le retard est largement rattrapé ensuite, et PAM reste vigilante face aux tuyaux concurrents, en fonte ou en d’autres matériaux. Depuis la fin du xixe siècle, l’acier est un rival sérieux, plus mince et plus flexible, mais moins résistant et plus sensible à la corrosion. Après la Seconde Guerre mondiale, le béton et l’amiante-ciment sont la principale menace. PAM investit à partir de 1950 dans l’application de la fonte ductile (fonte ayant été traitée au magnésium). Ce procédé récent permet d’obtenir une finesse et une malléabilité similaires à celles de l’acier. La métamorphose complète du tuyau de PAM, dans ses différentes gammes, prend deux décennies. Par la présence historique de la société sur les marchés et par ses services d’engineering (assistance technique aux entreprises), ce nouveau tuyau séduit partout dans le monde. La fonte ductile signe ainsi la survie à long terme du tuyau de fonte de PAM, en marginalisant le traditionnel tuyau « de fonte grise » (ill. 1). Au début du xxie siècle, alors que ces produits sont toujours une référence sur les marchés, PAM doit surtout faire face à la concurrence des producteurs de fonte chinois.

Citer cet article

Carole Lamoureux , « Le tuyau de fonte de Pont-à-Mousson, entre la Lorraine, l’Europe et le monde », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 02/02/24 , consulté le 17/09/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22254

Bibliographie

Baudant Alain, Pont-à-Mousson (1918-1939) : stratégies industrielles d'une dynastie lorraine, Paris, Publications de la Sorbonne, 1980.

Hamon Maurice, Du Soleil à la Terre : histoire de Saint-Gobain, Paris J.-C. Lattès, 2012.

Moine Jean-Marie, Les Barons du fer : les maîtres de forges en Lorraine du milieu du xixe siècle aux années trente. Histoire sociale d'un patronat sidérurgique, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2003.

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