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C’est pour son enfant convalescente que Victoire Babois (1760-1839) compose quant à elle ses premiers couplets. Dans la troisième édition de ses Élégies et poésies diverses (1828), elle explique que cette « Romance à ma Fille » (1788) a été écrite pendant un « intervalle que [s]on cœur avide d’espoir avait pris pour une convalescence. C’était une chanson de fête ». Ces vers joyeux émanent d’une mère par la suite endeuillée, qui connaît plus tard le succès avec ses Élégies sur la mort de sa fille âgée de cinq ans (1805). À l’heure où la mortalité infantile est importante (au xviiie siècle, la moitié des enfants meurent avant 10 ans), la poète évoque ici un sentiment d’espérance fort et présenté, a posteriori, comme trompeur. Aussi, et plus généralement, le regard rétrospectif de Babois montre que si la convalescence est une fête, elle a par ailleurs un caractère incertain. L’entrée en convalescence fait espérer une entière guérison, mais aussi craindre des rechutes fatales.
Les poèmes sont le fait d’une constellation d’auteurs et d’autrices anonymes, pseudonymes ou célèbres. Ils relèvent de la sociabilité, au-delà de la sphère privée, et ils sont l’occasion d’adresser publiquement une marque d’estime, de reconnaissance ou d’affection.
Poétiser sa/la convalescence relève de discours et représentations relatifs aux différents états de l’âme et du corps, au temps et à l’espace, aux pratiques de santé, à l’expérience de la maladie, et aux figures du patient et du médecin.
Médecine et lyrisme
Dans son épître adressée à sa sœur, Jean-Baptiste-Louis Gresset (1709-1777) narre les affres de sa maladie, chante le retour de la Santé divinisée puis exalte, dans des vers qui demeurent longtemps connus, les « [j]ours d’une pure volupté » de sa convalescence passée à la campagne, au printemps. Le printemps serait non seulement bienfaisant pour qui est en rétablissement, mais il offre encore des rapprochements significatifs entre nature revivifiée et santé recouvrée.
Dans bien des textes, l’univers champêtre apparaît comme un lieu de choix pour passer sa convalescence. En témoignent par exemple « Convalescence » (mai-juin 1801), de Pierre-Louis Ginguené (1748-1816), journaliste retiré à Saint-Prix, et l’ode du poète et médecin Mark Akenside (1721-1770) intitulée « Sur le rétablissement d’un accès de maladie, à la campagne » (« On recovering from a Fit of Sickness, in the Country ») datée de 1758. Dans « Le Bal des champs, ou la convalescence » (1825), de Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859), le je lyrique est celui d’une convalescente en plein « bonheur », mais aussi « languissante et penchée,/ Comme une fleur que l’orage a touchée ».
Le poème sur la convalescence est l’occasion d’évoquer des thérapeutiques, et il peut concourir à forger la réputation d’un praticien. Parfois désigné nommément, le soignant se voit loué et par là distingué au sein du « marché thérapeutique » (soit l’ensemble des acteurs de l’offre médicale, de la guérisseuse au médecin diplômé de l’Université) du xviiie siècle. Plus tard, Babois exprime encore sa reconnaissance envers son médecin et célèbre, à sa demande, les vertus du quinquina, un remède à la mode réputé guérir la fièvre, dans « La Convalescence. À mon frère » (1818). Adélaïde-Gillette Billet Dufrénoy (1765-1825) compose La Convalescence (1823), élégie dédiée à son docteur, où s’établit là encore un lien étroit entre environnement naturel et état corporel :
Le suave parfum de la naissante fleur,
Qu’un zéphyr caressant entrouvre avec douceur,
Ranime par degrés ma force languissante ;
Mes pas sont moins tremblants, ma tête moins brûlante,
Sous les acacias avançons-nous, ma sœur,
Leur voisinage est salutaire.
En Angleterre, au cours de la première modernité, la nature (qui agit dans le corps), Dieu et le praticien sont considérés comme les trois agents du rétablissement. Les hymnes remerciant Dieu lors de la guérison d’une maladie abondent sous la plume des poétesses britanniques du xviiie siècle et forment un sous-genre entremêlant poésie religieuse et lyrisme personnel (Ill. 2). Témoin « Un hymne d’action de grâces après un dangereux accès de maladie pendant l’année 1715 » (« An Hymn of Thanksgiving after a Dangerous fit of sickness in the year 1715 »), de la fameuse Anne Finch (1661-1720). L’adresse à Dieu peut s’accompagner de l’évocation de phénomènes physiologiques et du rôle du soignant : c’est ainsi que Mary Chandler (1687-1745) décrit le processus menant à la guérison comme l’œuvre de la miséricorde divine, dont le médecin se fait l’habile opérateur (Ill. 3). Cours du fluide vital, fréquence du pouls, diminution de la fièvre, disparition des douleurs : elle s’attache avec une précision certaine aux signes parfois ténus qui caractérisent le corps biologique quittant l’état pathologique.
Quand convalescence rime avec renaissance
La convalescence mérite d’être chantée car elle succède à une maladie qualifiée de grave et/ou longue. Les titres de certains poèmes sont à cet égard éloquents, même quand la pathologie n’est pas nommée (Ill. 4).
Ainsi, les convalescent·e·s reviennent d’entre les morts, comme on peut le lire dans le premier vers d’un poème paru dans The Gentleman’s Magazine en novembre 1746 et adressé à une malade « réchappée des ténèbres de la mort » (« Welcome, dear Cynthia, from the shades of death »). Gresset fait rimer convalescence avec « une nouvelle naissance ». En septembre 1777, le Journal de politique et de littérature comprend une poésie intitulée « À ma mère, sur sa convalescence », dont l’auteur est Jean-François Ducis (1733-1816), dramaturge élu l’année suivante à l’Académie française. Sous sa plume, un hémistiche associe encore convalescence et renaissance : « Tu revis, je renais. »
Notons que l’espérance vie à la naissance est de 24,7 ans en 1740-1745 en France. En 1740-1749, le taux de mortalité est de 32 à 35 ‰ en France et de 25 à 28 ‰ en Angleterre, et c’est à partir de la seconde moitié du xviiie siècle qu’il commence à baisser dans les deux pays. La convalescence comme renaissance est un lieu commun qui permet toutefois de prendre la mesure de la souffrance liée aux maux et de représenter l’intensité de la santé recouvrée, tant pour les malades que pour celles et ceux qui sont à leur chevet (Ill. 1).
La poésie investit considérablement la convalescence, y compris quand elle ne revêt pas d’enjeux politiques comme c’est le cas du rétablissement de Louis XV et de celui de George III, respectivement en 1744 et 1789. Circonstance permettant d’interroger des catégories telles que maladie/santé, topique/lyrique, fictif/biographique, intime/public, la convalescence intéresse per se en tant que processus et état, et elle s’inscrit dans les relations qu’entretiennent la médecine et la littérature au xviiie siècle et dans les premières décennies du siècle suivant.