L’engagement de la Lorraine ducale dans les guerres européennes du xviie siècle, l’occupation française de son territoire, et l’exil des ducs qui s’en est suivi, de 1634 à 1661, puis de 1671 à 1697, ont fait voler en éclat les institutions locales. La cour, dont l’âge d’or remonte au règne de Charles III (1545-1608), a ainsi connu une longue éclipse. Il a fallu attendre le retour du duc Léopold dans ses duchés, en 1698, pour la voir renaître. Le prince profite d’une nouvelle occupation française de Nancy, à partir de 1702, pour quitter la capitale du duché et s’installer au bord de la Vezouze. C’est dans ce lieu de villégiature hérité de ses ancêtres que Léopold fait construire le château de Lunéville, dont la conception est confiée à Germain Boffrand. Si ce dernier s’inspire de Versailles pour la bâtisse, l’organisation de la cour et la sociabilité curiale témoignent d’un métissage culturel, entre France et Empire.
La résurrection de la cour
Bien que de taille modeste (400 à 500 personnes), la maison ducale présente la même matrice que celle des grandes monarchies voisines. Le duc introduit peu de nouveautés dans l’organisation des charges curiales, héritée de ses ancêtres : en 1699 le héraut d’armes cède une partie de ses fonctions à un maître des cérémonies, qui devient aussi, en 1703, introducteur des ambassades. En 1704, Léopold dissocie les charges de surintendant des Finances et de grand maître de l’hôtel (fonction la plus élevée à la cour). En 1717, apparaît la surintendance des plaisirs et en 1722 le poste de maréchal des logis, chargé des logements à la cour. Les charges n’étant pas vénales, Léopold décide seul de leur attribution. Conformément à la tradition, le duc attribue les postes les plus élevés aux familles de l’ancienne chevalerie et privilégie de vieux serviteurs qui ont passé de longues années sur les champs de batailles, aux côtés de ses ancêtres. Comme dans les autres États monarchiques, les carrières se font et se défont à la cour, désormais première pourvoyeuse d’emplois pour la noblesse qui détient entre 20 à 30 % des offices de la maison civile. Stimulés par la résurgence des bienfaits princiers, l’ancienne chevalerie doit cependant composer avec une noblesse plus récente, récompensée à son tour de sa fidélité dans les épreuves passées. Certains commensaux cumulent fonctions auliques et charges centrales ou administratives, tels les premiers officiers de la maison ducale qui sont aussi au Conseil d’État.
Une cour bigarrée
Outre la configuration géographique de l’espace lorrain qui, par ses frontières, constitue un carrefour, la personnalité du jeune Léopold, ouvert d’esprit et marqué par son expérience à la cour cosmopolite de Vienne, a beaucoup contribué à créer cette atmosphère pluriculturelle qui règne alors au château de Lunéville. Plutôt germanophile, le duc Léopold découvre la culture française à travers la nièce de Louis XIV, Élisabeth-Charlotte, qu’il épouse en 1698, ainsi que lors de ses séjours à Paris et Versailles.
Soucieux de compter dans la « société des princes » européenne, Léopold multiplie les initiatives pour rendre sa cour attractive, élargissant le champ de distribution des bienfaits auliques, ainsi que le marché matrimonial des élites européennes. Le prince utilise les emplois de la cour au même titre que la distribution de terres pour se constituer des clientèles au-delà des frontières de son État. Si le jeune prince favorise l’hérédité dans son mode de recrutement, il ouvre sa cour aux étrangers : le baron Sauter-Mansfeld, allemand, à la tête du cabinet, son ancien gouverneur, le comte de Carlingford, irlandais, sorte de ministre principal, Ferdinand de Lunati, chambellan et colonel de la Garde suisse, et Sylvestre de Spada, chambellan et premier écuyer, tous deux italiens, pour ne citer que quelques-uns des lignages étrangers qui l’ont accompagné en Lorraine et formé l’embryon de la cour en 1698. Pour accroître sa clientèle, il attire et distribue des charges curiales, le plus souvent honorifiques, telle que celle de chambellan dont il emprunte sans doute le modèle à Vienne, les chambellans ayant disparu en France au profit des gentilshommes de la Chambre. Si parmi les étrangers autour de Léopold les Allemands sont majoritaires, les Français sont présents dans le service de la bouche, parmi les médecins, et à la tête des jardins, avec, par exemple, Yves des Hours, disciple de Le Nôtre. Carlingford a, de son côté, favorisé la présence d’une communauté irlandaise à Lunéville. De plus, certains serviteurs partagent leur service entre la cour de Lorraine et une cour étrangère, ce qui favorise la circulation des élites et les interconnexions curiales. Tel est le cas, par exemple, de Louis de Beauvau, à la fois grand veneur du duc et au service de l’électeur de Bavière.
Outre ces familles désormais installées dans les duchés, Léopold ouvre sa cour à des hôtes de passage et en particulier à la jeune noblesse étrangère qui fréquente l’académie qu’il a créée à Nancy en 1699 et transférée à Lunéville en 1725. Avec cette institution, la Lorraine se positionne sur la route éducative du Grand Tour, voyage prisé par les fils fortunés de l’aristocratie européenne, dont Rome, Venise, Vienne et Londres restent les destinations privilégiées. L’académie accueille des Allemands (plus de la moitié de ses membres), quelques Français, des Italiens et des Anglais. 318 internes au total auxquels il faut ajouter les externes, probablement aussi nombreux. Bien que réservée aux étrangers, cette formation accueille également des Lorrains, ce qui donne l’occasion à la noblesse locale de s’initier à « l’Europe aristocratique ».
Étiquette et sociabilité curiale entre France et Empire
À défaut de pouvoir s’appuyer sur une tradition locale pour l’instauration d’une étiquette, le duc s’inspire des pratiques des monarchies voisines, comme il l’indique dans Projet d’établir un cérémonial (vers 1720). Sous sa plume, étiquette et cérémonial se confondent parfois, mais le second terme, plutôt en usage à Vienne, a sa préférence. Simple et surtout utilitaire, sa conception de l’étiquette vise moins à mettre en scène sa grandeur qu’à régler les questions de rang et mettre fin aux conflits de préséance. La réglementation concerne surtout le cérémonial du lever et du dîner, inspiré de Versailles et pour lequel les convives ne dépassent pas une vingtaine de personnes. Plus pointilleux au sujet des cérémonies occasionnelles, Léopold indique l’ordre des grands officiers dans la procession, ou légifère, par exemple, sur la durée du deuil. Quant à la duchesse Élisabeth-Charlotte, elle participe à cette représentation du pouvoir ducal grâce à la cérémonie de la toilette publique qui se déroule chaque matin dans la « chambre de toilette », entouré de courtisans.
Amateur de divertissements comme ses homologues européens, le prince partage de longs moments avec les courtisans de son choix, à la chasse, au jeu et aux spectacles. Amateur d’art et de lettres, le duc a créé une bibliothèque en 1708, et son goût pour les sciences explique l’installation d’une « salle des machines » confiée à Philippe Vayringe (1684-1746). Nul doute que le bouillonnement culturel favorisé par le duc Léopold a contribué à donner cette impression rapportée par Voltaire qu’« on ne croyait presque pas avoir changé de lieu, quand on passoit de Versailles à Lunéville ».
En ce début de xviiie siècle, le duc Léopold a réuni les conditions propices à la diffusion des Lumières qui atteindront leur apogée en Lorraine avec le duc-philosophe Stanislas Leszczynski (1737-1766).