Les cours européennes sont un univers dominé par les hommes qui occupent la plupart des charges et offices. Les femmes de la famille régnante disposent toutefois de leurs propres maisons, composées de nobles et de domestiques à leur service. C’est en leur sein qu’on trouve un personnel féminin parfois nombreux qui, contrairement aux femmes qui séjournent occasionnellement à la cour, constitue le noyau pérenne de la présence féminine à la cour.
Une place nouvelle à la cour
La taille de l’entourage féminin des reines et princesses varie d’un pays et d’une époque à l’autre. À partir du xve siècle, il se réduit dans certains pays germanophones et en Suède, alors que les maisons des hommes gagnent en taille. Dans le Saint-Empire romain germanique, la maison de l’impératrice passe ainsi de 200 personnes (vers 1500) à 80-90 personnes vers 1675 ; la même année, celle de Léopold Ier (1640-1705) compte 1 125 serviteurs. En Angleterre et en France, l’évolution prend le sens inverse. Les postes réservés aux femmes se multiplient et gagnent en prestige, surtout si leur maîtresse est issue d’une famille de haut rang. Ces différences régionales s’expliquent par différents facteurs, dont la faculté des femmes à régner ou à exercer la régence et le degré de leur association – symbolique ou réelle – au pouvoir. La religion joue également un rôle, les princes protestants privilégiant une vie de cour plus simple.
L’exemple de la France permet d’illustrer les variations qui peuvent impacter le personnel féminin. Du xvie au xviiie siècle, la maison de la reine correspond à 46 % de la taille de la maison de son époux. Elle compte en moyenne 54 femmes au xvie siècle, 28 au xviie siècle et 30 au xviiie siècle. Avec les maisons de la reine mère et d’autres princesses, la cour peut réunir plusieurs centaines de femmes.
Dans la plupart des pays européens, les femmes jouent un rôle croissant dans la sociabilité et la vie culturelle de la cour, une évolution qui débute au xve siècle en Italie et en Bourgogne. Le quotidien est transformé par la multiplication d’activités partagées par les deux sexes : banquets, lectures, jeux, chasses, bals, concerts et festivités. Ce changement atténue le caractère viril de l’entourage princier, à quelques exceptions près. Sous les Vasa, rois de Suède à partir de 1523, les femmes sont soumises à un encadrement strict et ne disposent ni de temps libre, ni de la liberté de mouvement ; des plaisirs comme la danse et les banquets sont rares.
Les espaces palatiaux dédiés aux femmes se modifient dans leur taille et leur structure. Ils peuvent former un univers clos et en retrait de la vie de cour (Alcazar, Madrid) ou s’y intégrer par la présence de pièces dédiées à la rencontre des hommes et des femmes (Palazzo Vecchio, Florence). Ils reçoivent parfois un décor genré, mettant en scène des qualités associées au sexe féminin.
Charges, fonctions et gages
Les maisons féminines réservent certaines charges aux femmes de la noblesse. En France, il s’agit des « Dames » qui sont dirigées par une « Dame d’honneur » (à partir de 1512) et des « Filles demoiselles » ou « Filles d’honneur », dirigées par une « Gouvernante des filles » dès 1530. Un personnel féminin subalterne les entoure, composé de femmes de chambre, lingères et lavandières. Une structure hiérarchique similaire existe dans toutes les cours européennes avec des variantes en ce qui concerne le profil matrimonial du personnel. Chez les Habsbourg, les Hofdamen (dames) et Hoffräulein (demoiselles) ne sont pas mariées. Dans d’autres pays, femmes mariées et célibataires se côtoient.
Les attributions des charges varient d’un pays à l’autre ; la dame d’honneur française n’a pas les mêmes fonctions que la Camarera major espagnole, la Obersthofmeisterin impériale ou la First Lady of the Privy Chamber en Angleterre. En France, cette dignitaire a pour responsabilité d’assister sa maîtresse au quotidien et de l’instruire des usages de la cour. Quand la reine ou la princesse reçoit, elle introduit les visiteurs et leur indique la place dans la salle ou à la table qui leur a été attribuée par sa maîtresse. Elle participe à la gestion du budget de la maison et encadre l’ensemble du personnel féminin.
Les dames et demoiselles participent au lever et au coucher de la princesse, partagent ses repas et assistent aux bals et autres occupations de la journée. Anne de France (1461-1522) expose dans ses Enseignements à sa fille les règles qui doivent guider le quotidien des demoiselles. Leur langage doit être humble et sans moquerie, leurs vêtements en correspondance avec leur âge et leur rang et sans parure superflue. De menus travaux doivent occuper la journée, tout en respectant les besoins de la jeunesse : chants, danses et « honnêtes jeux » sont permis.
Une partie du personnel féminin ne sert que pendant un quartier ou un semestre, d’autres toute l’année. La plupart des femmes reçoivent des gages dont le montant reflète la hiérarchie des charges. Ils se rapprochent de ceux des hommes : au xvie siècle, la dame d’honneur reçoit comme le chef du personnel masculin, le chevalier d’honneur, 1 200 lt par an. Des avantages matériels liés à la charge (vêtements, linge, objets, etc.) peuvent s’ajouter. Les femmes bénéficient aussi des exemptions d’impôts et avantages juridiques dont profitent tous les courtisans.
Engagements politiques et familiaux
En formant un écrin prestigieux autour de leur maîtresse, les dames et demoiselles marquent son rang. Certaines ont servi la princesse dès son plus jeune âge et la suivent au moment de son mariage ; d’autres ont un lien de parenté avec elle ou comptent parmi les clients de sa famille d’origine. L’entourage féminin présente ainsi un caractère international qui peut constituer une source de tensions au moment de crises. Ainsi, en 1630, la journée des Dupes trouble l’entourage de la reine d’Angleterre Henriette de France (1609-1669), dont certaines femmes doivent leur charge à Marie de Médicis.
Les compatriotes de la princesse peuvent s’investir dans le maintien des liens avec son pays d’origine et œuvrer pour la défense de ses intérêts. Les Habsbourg d’Espagne prennent ainsi la décision de limiter à quelques mois le séjour de ces étrangères ; la cour de Suède réduit leur nombre au xviie siècle.
Les maisons féminines disposent d’un degré d’autonomie souvent suffisant pour servir les intérêts politiques et religieux de leur maîtresse et de factions à la cour. Jane Drummond, comtesse de Roxburghe (1585-1643) et dame de la reine d’Angleterre Anne de Danemark (1574-1619), fournit ainsi des informations sensibles à l’Espagne et assure la circulation des lettres entre la reine et l’ambassadeur espagnol, soutenant de cette façon les démarches de l’Espagne pour la conclusion d’un traité de paix qui mettra un terme à dix-neuf ans de guerre.
Lors des règnes et régences féminins, les femmes participent à l’exercice du pouvoir en tant qu’intermédiaires et représentantes de leur maîtresse. Ainsi les dames d’Élisabeth Ire d’Angleterre servent d’yeux, d’oreilles et de bouche à la reine, multipliant sa présence là où elle ne pouvait se rendre. Bien instruites et informées, en particulier quand elles ont servi plusieurs générations de princesses comme le fit Sophie Marie von Voß (1729-1814, Oberhofmeisterin à la cour de Prusse), leur conseil est recherché à la cour et au-delà.
La présence dans les cercles du pouvoir permet aux femmes de jouer un rôle actif dans la défense des intérêts de leur famille et leurs alliés. Leurs interventions concernent la justice et la finance, les projets matrimoniaux et l’obtention de titres et d’offices. Certaines, comme la première femme de chambre d’Anne d’Autriche, Catherine Henriette Bellier, dame de Beauvais (v. 1614-1690), réussissent de belles carrières à la cour et obtiennent des gratifications et dons leur permettant de constituer une fortune personnelle.
La cour constitue ainsi un territoire riche d’opportunités dont les femmes surent tirer profit comme leurs homologues masculins.