L’émergence du protestantisme, dont les doctrines prennent forme au xvie siècle, a des conséquences variées pour les femmes européennes. Aux xviie et xviiie siècles, les dogmes protestants, désormais établis, régissent la vie des fidèles en Europe. Loin d’être homogène, le protestantisme est composé de nombreux courants théologiques qui influencent les pratiques sociales de leurs fidèles de diverses manières : le calvinisme aux Provinces-Unies, en France, en Suisse et en Écosse ; le luthéranisme en Allemagne et en Scandinavie ; l’anglicanisme en Angleterre, qui connaît lui-même des dissensions internes et externes, rassemblées sous l’appellation de puritanisme. S’il est difficile de définir précisément la place des protestantes en Europe, tant leurs expériences peuvent varier selon le contexte social, politique et théologique, il se dégage toutefois quelques caractéristiques communes.
Quelles opportunités pour les protestantes dans la sphère publique ?
Dans différents mouvements protestants, des femmes exercent les fonctions de prédicatrices. En effet, les fidèles sont encouragés à lire les textes bibliques et, à l’inverse du catholicisme, un intermédiaire clérical n’est pas nécessaire pour les pratiquer, même si la présence du pasteur est souvent jugée nécessaire pour les expliquer. Par ailleurs, le protestantisme laisse à chaque fidèle la responsabilité d’agir en accord avec sa foi, instaurant ainsi un certain égalitarisme spirituel, en pratique très nuancé. S’appuyant sur ces deux piliers du protestantisme, des femmes profitent de leurs connaissances théologiques pour prêcher, à l’instar des méthodistes Sarah Crosby et Mary Bosanquet Fletcher au milieu du xviiie siècle. Certaines communautés, comme les Frères Moraves en Europe centrale ou les Quakers en Angleterre, confient la prédication aux deux sexes.
Mais de nombreux courants, notamment dans les protestantismes plus institutionnalisés, désapprouvent la prédication féminine. Les fidèles peuvent néanmoins lui trouver une certaine légitimité quand elle est assurée par des « prophétesses », qui se présentent comme des messagères divines, lorsqu’ils croient que leur autorité vient directement de Dieu. Ce prophétisme reste un phénomène minoritaire qui ne convainc généralement pas tous les membres d’une communauté, mais auquel des femmes adhèrent puisqu’elles y occupent une place importante. Essentiellement observé au xviie siècle, le prophétisme prend des formes très différentes. En Angleterre, il revêt une dimension politique dans les années 1640 et 1650 : une cinquantaine de prophétesses publient des œuvres littéraires, à l’instar d’Anna Trapnel, qui critique le régime d’Oliver Cromwell (1653-1658) et écrit, entre autres, The Cry of a Stone. En France, dans un contexte de clandestinité du protestantisme après la révocation de l’édit de Nantes (1685), il touche un temps les classes populaires et se manifeste sous forme mystique. Les prophétesses luthériennes, elles, remettent régulièrement en cause l’autorité des pasteurs en Scandinavie ou en Allemagne aux xviie et xviiie siècles.
Les protestantismes dissidents, par l’implication active qu’ils demandent aux fidèles, offrent aux femmes des opportunités d’occupation hors du foyer, au-delà de leurs rôles d’épouse et de mère. En Angleterre, les Quakers et les courants anabaptistes (qui considèrent que le baptême doit être un choix découlant de la foi du fidèle et, en conséquence, ne baptisent que les adultes) encouragent les femmes à prendre part à des évènements en public : œuvres de charité, travail missionnaire, etc. Leur participation à ces activités peut même devenir prioritaire par rapport à leurs obligations matrimoniales : si les ordres de leurs époux vont à l’encontre des enseignements bibliques et empêchent des femmes de participer à ces activités, elles peuvent désobéir. En France, à la suite de la révocation, des femmes choisissent l’émigration par fidélité à leur foi, émigrant vers d’autres pays au péril de leur statut social. Les femmes célibataires sont alors plus nombreuses à émigrer que les couples ou les familles, même si elles sont deux fois moins nombreuses que les hommes célibataires à quitter la France : il leur est plus difficile de trouver une source de revenus en terre étrangère.
Dans la sphère privée, une vie encadrée mais des possibilités d’affirmer leur autorité
La vie quotidienne et spirituelle des communautés protestantes des xviie et xviiie siècles est encadrée par une discipline stricte. Les Anciens sont nommés spécifiquement pour veiller sur les mœurs des fidèles. Par exemple, les tenues vestimentaires des femmes, qui doivent respecter la pudeur, font l’objet d’une vigilance particulière. En France, les Églises protestantes clandestines du xviiie siècle surveillent activement les comportements des fidèles qui, s’ils sont jugés inappropriés, peuvent donner lieu à une interdiction de Cène (la communion). Institution morale considérée comme une relation tripartite entre les époux et Dieu, le mariage est également surveillé de près : femmes et hommes doivent avoir un comportement exemplaire. Dans les Églises calvinistes et luthériennes du xviie siècle, les épouses de pasteurs en particulier doivent se conformer aux attentes de leurs communautés en étant un modèle pour les fidèles.
Dans leurs couples, leurs familles et leurs foyers, les femmes peuvent atténuer, voire contourner l’autorité masculine paternelle, fraternelle ou maritale en trouvant, dans les idées fondatrices de la Réforme, la justification d’un certain pouvoir. Seules responsables de leur salut, elles peuvent prendre en main leur vie spirituelle. Ayant souvent une bonne connaissance des textes bibliques et s’appuyant sur un certain égalitarisme spirituel, notamment chez les Puritains, les femmes d’un milieu aisé sont en position d’évaluer la piété de leurs maris et de les réprimander si elles estiment que leur conduite n’est pas chrétienne.
Plusieurs courants protestants considèrent la famille comme une Église, dans laquelle les parents, font office de guides spirituels qui doivent instruire leurs enfants dans la religion. Si le père s’occupe généralement de l’étude biblique du dimanche, c’est souvent la mère qui se charge de l’instruction spirituelle quotidienne, sous forme de prières et/ou de lectures de passages bibliques. Chez les Puritains, les femmes d’un statut social aisé se chargent également de l’éducation religieuse du foyer et du personnel qui y travaille. Dans les familles luthériennes du Saint-Empire, les jeunes filles doivent recevoir une éducation de qualité leur permettant de former les générations futures par une instruction spirituelle complète. En France, après la révocation de 1685, l’apprentissage de la religion protestante, désormais clandestine, ne peut se faire qu’en privé. Ce sont souvent les femmes, traditionnellement responsables de l’éducation des enfants, qui le prennent en charge.
Ce rôle d’instruction spirituelle ne se cantonne pas au foyer. Des femmes éduquées exercent une influence auprès de leurs proches à travers leurs écrits. Leurs journaux intimes, en particulier, révèlent leurs cheminements spirituels. S’ils sont avant tout privés, ils peuvent servir de témoignage au xviiie siècle : dans les courants baptistes, méthodistes et anglicans d’Angleterre, ils sont diffusés par leurs auteures auprès des femmes de leurs communautés pour servir de modèle de piété aux nouvelles générations.
Si les protestantismes européens des xviie et xviiie siècles sont souvent organisés de manière patriarcale, des femmes s’appuient sur les idées de la Réforme pour accéder à certaines positions d’autorité. En outre, les protestantismes dissidents accordent souvent une place plus importante aux femmes que les courants institutionnalisés.